vendredi 16 décembre 2016

Coourts récits : Père Noël répond






Dès la semaine prochaine, je vous proposerai 
un jeu d'écriture à faire ensemble.
A bientôt

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Joyeux Noël plein de lumière
Heureuse Nouvelle Année 2017 pleine de bonnes choses

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12 PERE NOEL REPOND


C'est bien la première fois que l'on m'écrit non pour me demander
un cadeau mais pour m'en faire un :
ton merci !

Hier je suis rentré fourbu, le dos cassé à force de grimper
sur les toits, de descendre dans les cheminées,
transportant des centaines de cadeaux
et tu me dis merci, non pour ceux-ci
mais à moi, pour ce que je fais,
le mieux que je peux :
apporter de la joie aux enfants.

De simple marionnette de bois, tu me fais vivre
puisque utile aux autres.
L'année prochaine, je te le promets, je reviendrai...




vendredi 9 décembre 2016

Courts récits : 12 Un enfant écrit au Père Noël

11 UN ENFANT ECRIT AU PERE NOEL

Mais je ne suis plus une enfant et je n'ai jamais écrit au Père Noël.
Et bien c'est le moment me dites-vous !
Oui, mais des cartes de voeux, je n'en utilise plus,
ça circule par SMS ou par e-mail.

Bon, enfin, poussée par vous, je me décide
et je t'envoie, cher Père Noël, ce message par Internet.
Il va faire le tour de la terre en 2 secondes, il doit bien arriver à te trouver dans ta cabane de rondins,
perdue, isolée au fin fond du Grand Nord,
là où l'on me dit que tu habites.
Mais à quelle adresse es-tu ? Sais-tu que pour compter au nombre
du vivant, il faut en avoir une, tu n'es pas un pauvre SDF que je sache ou alors tu comptes sur ta notoriété pour que le facteur te trouve, enfin que dis-je, ça marche par onde ce truc là...

Excuse moi, je me perds en remarques stupides.
Vois-tu, dans mon enfance on ne parlait pas tant de toi,
tu n'étais pas dans toutes les vitrines, grimpant sur les balcons,
te balançant au bout d'une corde ou d'une échelle.
Maintenant tu fais partie de nos traditions, je ne parle pas
des commerces qui attendent ton retour
pour faire leur chiffre de l'année.

Abrégeons. Que vais-je te demander ? Car c'est bien pour recevoir
un cadeau qu'on t'écrit, n'est-ce pas ?
Et bien non, ce message ne te demande rien, il est pour te dire que j'aime bien te voir dans nos rues en décembre,
avec ton habit rouge, ton long bonnet et tes grandes bottes fourrées, c'est qu'il fait froid de là où tu viens.
J'admire ton renne attelé, les lumières clignotantes
de son traineau débordant de paquets aux beaux rubans
couleur arc-en-ciel.
En les apercevant, je retrouve mes yeux d'enfant dans ceux-ci, leur joie, leur impatience, leur attente. Tu distribues le bonheur,
tu fais partie de nos traditions, tu reviens chaque fin d'année,
toujours fidèle et c'est ça que je veux te dire,
tout simplement : Merci !


vendredi 2 décembre 2016

Courts récits : 11 La marmite


10 LA MARMITE

Je suis une grosse marmite ronde, joufflue, noire à l'extérieur, presque brillante à l'intérieur à force d'avoir été récurée à coup de brosse. Suspendue derrière le sac à dos, me voilà brinquebalée au rythme de la marche de celui qui me transporte. Le pas est devenu long, régulier, j'ai le temps de contempler les champs de colza et à l'horizon les crêtes des Alpes vaudoises, fribourgeoises, légèrement teintées de violet.

Le pas se ralentit, devient plus lourd. Lui et moi, comme accouplés, nous grimpons, mais moi, au dos de lui, je vois la descente ! On tourne, on zigzague. Je compte les pas : vingt d'un côté, vint-cinq de l'autre ; on tourne encore ; je guigne pardessus de son épaule pour suivre l'itinéraire sur la carte-topo qu'il tient dans la main et je compte 14 virages avant d'arriver au sommet. Pourvu que je n'attrape pas le mal de mer alors que je n'ai rien encore dans le ventre.

Arrivés sur cette hauteur coupée de murs de pierres sèches limitant les pâtures à herbes courtes et drues, protégeant les intrépides des falaises qui forment le Creux du Vent, moi je suis toute fraîche et lui en sueur ! Maintenant on m'a abandonnée au pied d'un sapin, heureusement ses branches vont m’offrir une ombre bienvenue avec ce soleil radieux, surtout quand approchera midi, il va « taper » fort ; je m’endors puisque je ne serre à rien.

Des petits pas suivis de rires, d'exclamations et je sors de mon engourdissement sans rêve. Brusquement, sans ménagement, on me tire par mon anse, verse, me semble-t-il, des kilos de légumes coupés, deux litres d'eau froide par-dessus le tout et me voilà, cette fois-ci, tout à fait réveillée. A côté crépite un feu de bois et je passe du froid au chaud, sans transition ni cérémonie ! Savez-vous ce que cela me fait ces brusques changements de température ? De quoi attraper la fièvre des escapades les plus lointaines ...


vendredi 25 novembre 2016

Courts récits : 10 Ferdinand

9 FERDINAND

Je suis une grande bâtisse de bois avec une porte cochère au-dessus d'un pont de terre sur lequel et sous laquelle passaient les chars de foin qu'il fallait vider à coups de fourches et entasser dans ma grange aux poutres larges, puissantes, chevillées entre elles, soutenant un immense toit de tuiles beiges et brunes, certaines recouvertes de fleurs de lichen.

Dans ma partie est, faite de brique rouges, habite Ferdinand, seul ; il a tant d'années qu'il ne les additionne plus. Le savez-vous, je l'ai vu naître et il doit bien avoir 70 ans ou plus, je ne sais pas compter ; enfin il me semble que c'est encore jeune à notre époque.

Les enfants sont partis à la ville, il n'y a plus de cris autour de la maison, plus de rires étouffés dans le foin ; les tracteurs se sont tus, le fourneau reste trop souvent bien froid.

A côté, dans la dernière maison du village, vit Zozote, enfin c'est ainsi que tout le monde la surnomme, au point d'avoir oublié son nom de baptême, et parce qu'elle zézaie un peu. Garnements qu'étaient Ferdinand et ses copains, ils en riaient, se moquant ouvertement d'elle, alors que leurs aînés chuchotaient entre eux qu'elle devait être un peu « retardée ».

Faisant des va-et-vient incessant dans les escaliers, arpentant sa grange vide, regardant tristement son jardin potager où subsistaient quelques poireaux jaunis et deux choux levés, Ferdinand se demandait que faire de sa vie si solitaire. Il jeta un coup d'oeil indifférent à sa voisine la Zozote, et prit soudainement conscience qu'elle bêchait son potager. Il y remarqua de grosses tomates murissantes, une alignée de haricots, de si belles salades. Puis des yeux, lentement, il parcourut, comme pour la première fois, les lézardes dans les murs, le toit dangereusement incliné, les fenêtres de guingois de cette vieille maison, si près de la sienne.

Une lueur de joie subite visita son coeur... Peu de temps après, lui, serrant sa main à elle dans la sienne, je les observais tous deux faisant le tour des communs, enchantés par ma solidité, ma vastitude, mon confort et je les vis monter les escaliers et disparaître dans mon intérieur.



Cette affaire fit le tour du village : vous pensez la Zozote avec le Ferdinand, c'est' y dieu pas possible ! Et tu as vu le jardin potager du Ferdinand, et les courses qu'il fait au marché le samedi. Ça sent même bon quand on passe sous ses fenêtres. Et ça zozotait, ça zozotait sur la grande place, au café, parfois même on entendait des chuchotements à l'église le dimanche matin :

  • T'as vu la Zozote avec sa nouvelle robe, c'est' y dieu pas possible !

Avec mes volets repeints de neuf, je suis une grande bâtisse de bois et sous mon toit protecteur monte des rires et des chants ; des petits pas courent sur mon plancher. Dehors des tables aux nappes blanches attendent des convives. Mon coeur de ferme est plein de renouveau.





vendredi 18 novembre 2016

Courts récits : 9 Mais non !


8 MAIS NON !


  • Je leur marchais dessus...
  • Comment ça, tu leur marchais dessus ?
  • Ah oui, nous étions au Col de la Croix...
  • Qui ça nous ?
  • Bin les copains-copines
  • Ah tu étais avec un groupe de marcheurs
  • Mais non, enfin oui, nous marchions et je leur marchais dessus
  • Tu marchais sur les copines-copains ?
  • Mai non, enfin, tu ne comprends rien, tu m'embrouilles avec ce délicieux parfum qui sort de ta cuisine...
  • C'est bien ce que tu m'as demandé de te cuisiner, non ?
  • Mais oui et je tente de t'expliquer que la première fois que je suis sortie avec la Société mycologique de la Riviera, nous étions au Col de la Croix et, étant novice en la matière, je marchais sur les minuscules chanterelles d'automne, chapeaux beiges et pieds oranges, si fines que je ne les voyais pas.
  • A table !
  • Quel régal, je me crois dans la forêt ; je la hume, la savoure, l'emporte avec moi, elle imprègne mes habits, me colle à la peaux, réjouit mon estomac, c'est divin. Merci chère Elizabeth.

vendredi 11 novembre 2016

Courts récits : 8 Exister

EXISTER

Cette grosse machine et tous ses tuyaux en forme de science-fiction , qui crache , suinte , fulmine , assourdit ; ce marteau piqueur , cette perforatrice qui te secoue de la tête aux pieds , te couvre de poussière , as-tu pensé à tes poumons ? D'où viens-tu ? D'un pays de l'Est, d'Afrique, plus loin encore, d'Amérique du Sud peut être. Avec ce bruit d'enfer tu ne peux pas m'entendre , mais , malgré tout je te dis ceci : quand je roule sur l'auto-route et que je te vois suant sous le soleil , coulant le béton, étalant le goudron brûlant , je ralentis en pensant à ta femme , à tes enfants.

***

Mon pinceau coure sur la feuille, tente de dessiner un pont pour nous relier , des arbres pour t'abriter de la chaleur , te vêt d'un manteau chaud en hiver .

***

Cette affreuse machine me fait penser à une planète fric : Hauts salaires indécents , bonus exonérés d'impôt , j'étouffe sous la montagne exorbitante des dettes . Même ma petite commune en a , des dettes .

Planète jeux : Le monde entier joue , a joué au moins une fois dans sa vie . Loto , loterie , c'est enfantin , mais qui joue avec les subprimes , qui spécule à la bourse , fait monter , ou descendre les cours du blé , du sucre , des matières premières ? OGM , Monsanto , Pharmas , jouez-vous avec notre santé ?

Planète poubelle : Tiens il y en a même une sur l'écran de mon ordinateur ! Je m'arrête , je me tais ! Mes neurones s'emmêlent à vouloir comprendre comment nous en sommes arrivés là , à chercher des solutions qui me dépassent , à peser les conséquences . Qui est responsable ?

***





Mon pinceau danse sur le papier , dessine une passerelle ; je m'y hasarde , me cramponne aux cordes , j'avance ... A l'autre bout , lui , l'ouvrier , avance aussi . Il a ôté son casque , ses gants , le vent emporte
la poussière de ses vêtements . Nous allons nous rejoindre , nous embrasser , nous serrer l'un contre l'autre .

Il me dira : « SURVIVRE »
Je lui répondrai : « EXISTER »

***

Et toi petite fille , spectatrice de tout cela , avec ton sourire , ta plume , tes pinceaux , tu existes aussi ,
tu existes dans un coin de ciel bleu , dans la brise qui caresse tes cheveux , le reflet sur l'étang , la pierre que tu ramasses sur le chemin , dans le chant des oiseaux , une nuit étoilée au firmament .

EXISTER




dessin de Françoise Dapples

vendredi 4 novembre 2016

Courts récits : 7 Complicité

7 COMPLICITE

La complicité, une entente ancienne et très jeune à la fois puisque 50 ans les séparent, cette grand-mère et ses petits-enfants. Des sourires échangés, des rires en cascades, une connivence dans les heures partagées, des balades, des visites de musées, de châteaux, des jeux, des pic bics en forêt, des feux avec de si bonnes grillades sentant le charbon de bois.
  • Vous vous souvenez, je vous avais enregistré des histoires sur cassettes
  • Oui, nous les écoutions le soir avant de nous endormir
  • Le bel habit de Tirili, n'est-ce pas ?
  • Que de fois nous l'avons mise, passée et repassée ; je pense que maman devait la connaître par coeur, aussi bien que nous !
  • Tirili, l'oiseau qui voulait que l'on peigne ses plumes en jaune
  • Et qui finit dans une cage comme un canari, pauvre moineau.
  • De plus il ne savait pas chanter, ajouta l'autre enfant devenu adolescent.
  • De cette journée à St-Tryphon où je vous avais montré l'ail des ours dont vous aviez rempli vos poches, j'en ris encore à la pensée de votre maman qui a du certainement vous plonger tout entier dans la baignoire pour enlever l'odeur !

Au Signal de Belmont, ensemble, ils sont allés chercher des petits bouts de bois, des pives, de la mousse, et ils ont construit une vaste ferme sur le sol, un jardin potager, un puits au milieu de la cour avec de petites pierres. Quelle fierté dans les yeux de ses autres petits-enfants en contemplant leur oeuvre.

Elle n'oubliera jamais le jour où elle avait lu son texte « Exister » et que son petit-fils lui avait dit : « il t'a fallu autant de force et de courage pour exister que lui pour survivre ». La maturité de ce jeune homme de 24 ans
l'a sidérée, et lui vaut toute son estime. Il a compris qu'elle a mis autant
de force et de courage dans la douceur, la transparence de ses aquarelles, en y ajoutant toutes ses expositions, simplement pour exister.

Aujourd'hui elle reçoit des e-mails de sa merveilleuse petite-fille qui lui raconte des détailles sur ses journées. Elle a si bien compris le message

de sa GDMum : « maintenez-moi dans le courant de la vie ».


Cette grand-maman a eu le privilège de ne recevoir que les bons côtés de ses petits-enfants car elle n'a pas eu à les élever. Leur complicité était dans le plaisir d'être ensemble. Elle menait le train, prévoyais, proposait, allait les chercher, longtemps ils ont suivis ; les temps ont changé, ils sont devenus adultes mais la complicité demeure, tous ensemble ils partagent de nombreux souvenirs heureux et de belles journées prévisibles et imprévisibles les attendent.





vendredi 28 octobre 2016

Courts récits : 6 Une citadelle

6 UNE CITADELLE

La forêt était sombre, mystérieuse, enfermée sur elle-même. Des bruits, des craquements, un vol furtif, le silence aussi, interrompu par les pas crissants de Martine sur les feuilles mortes ; elle se mit à traîner les pieds, froissants ce tapis comme elle le faisait dans son enfance. Devant elle le rideau d'arbres s'écarta, s'ouvrit à un vaste espace qui faisait place à un ciel d'un bleu doux, harmonieux, l'invitant à s'avancer. Les rayons d'un soleil levant ourla de rose l'horizon, révélant au loin un château, une ville peut être.

Les yeux ravis de Martine découvrirent une cité merveilleuse, citadelle gardienne de la vallée, s'élevant devant elle avec de majestueuses tours de verre sous des dômes argentés, dorés ; des ponts aux arches légères les reliaient, leurs barrières ajourées de fines dentelles se découpant sur le ciel, enjambant des terrasses qui descendaient en cascades et débordaient de fleurs aux vives couleurs.

Toujours en se rapprochant de la cité de verre, Martine aperçut son reflet dans les grandes vitres : sa jupe turquoise aux grandes poches, sa blouse aux manches courtes et bouffantes et ses cheveux bruns, mi-longs et bouclés. Surprise, étonnée, elle se vit multipliée par dix, par cent sur ces tours. Curieuse elle regarda de plus près et réalisa que sur cette façade elle portait un short vert, ultra court ; sur cette autre des cheveux raides, blonds, descendaient jusqu'à sa taille ; au-dessus, elle se vit en tunique blanche, à la grec, mesurant elle ne savait quoi ; puis derrière cet autre reflet elle distingua vaguement des toits en forme de pagode.

Ce n'est pas moi, pensa-t-elle ; pourtant une voix lui murmurait : « mais oui c'est bien toi ». Voulant en avoir le coeur net, elle tenta de se rapprocher encore, mais une brume diaphane, arrivant par l'est, voila le soleil, éteignit les dômes les uns après les autre, enroba les tours, les effaçant petit à petit. Autour d'elle tout était devenu ouateux, cotonneux .

Martine avait mal à la tête, son cerveau lui semblait brouillardeux, ses jambes tremblaient, elle sentait battre son coeur plus vite que d'habitude. Elle sursauta : une main chaude s'était posée sur son épaule. Une voix de basse, de chanteur d'opéra, qu'elle aimait tendrement, la tira de cette torpeur envoûtante, peut être même un peu inquiétante.

Cette voix profonde, chaleureuse, celle de son frère, lui demanda si elle était fatiguée pour s'être assise sur ce banc alors que les enfants jouaient, riaient, se pourchassaient autour d'elle. Il demanda à Guillaume d'apporter un verre d'eau à sa mère.

Le frère sourit à la soeur, sa soeur lui rendit son sourire et il lui raconta qu'il avait pu entraîner leur père jusqu'à leur cachette d'autrefois. Ils avaient donc traversé la forêt, marché sur le vieux pont en dos d'âne, passé au travers des champs de maïs, Jules répétant sans cesse de faire attention aux jeunes pousses, pour arriver enfin à ces blocs de pierres élevées, entassées n'importe comment, dont le frère et la soeur avaient bâti leur royaume, leurs châteaux, forteresses ou citadelles, inventant à tour de rôle des récits de chevaliers, de dames dans de sombres donjons, des hommes en armes partant pour les croisades. Jules, leur père, qui n'avait vu là qu'un ramassis de pierres juste bonnes à casser le soc de la charrue d'un paysan, entra, pendant de longues minutes, dans le monde romanesque de ses deux enfants. Il se demanda si c'était alors que sa fille Martine avait pris goût à la lecture, la littérature, l'écriture et fait naître les contes dont elle remplissait ses journées et ses cahiers ; Martine, vous l'avez compris, était devenue écrivaine.








vendredi 21 octobre 2016

Courts récits : 5 Deux mondes

5 DEUX MONDES


Ce matin en déjeunant, je regardais par la fenêtre de la cuisine,
côté sud-ouest : pendant la nuit la neige s'était déposée délicatement sur les branches de la foret. Soudainement un coup de vent et la voilà
qui s'envole, tourbillonnante, recouvrant le paysage d'un tulle de voile ajouré, opalescent, presque transparent, laissant apparaître, ici et là, le roux du feuillage automnal. Mais la neige continue de tomber, se colle aux branches noires, saupoudrant les arbres en douceur.
La température a chuté, pourtant il me semble entendre les oiseaux chanter.

Au-dessus de la foret, juste en face de moi, je vois cette blancheur courir en nuages diaphanes, s'enroulant les uns sur les autres et au milieu desquels apparaissent, fugaces, quelques teintes de verts oubliées.
Une lumière hivernale, ouatinée, dégage subrepticement
un coin de bleu.

Au nord, derrière la maison, tout est blanc, uniforme, sans distinction de contrastes, tout est silence aussi, on ne voit que des toits enneigés dans une lumière pale, diffuse, terne. L'étendue neigeuse se dissout dans la couverture nuageuse, le ciel et la terre se confondent ; sur la route aucune trace de voitures, rien ne bouge.


Ainsi, à quelques mètres l'un de l'autre, au même instant, deux mondes co-habitent. L'un est mouvement, couleurs, murmurent, l'autre se tait, immobile, figé. Cette durée, cette éternité de deux mondes passagers. Déjà le soleil se lève...

vendredi 14 octobre 2016

Courts récits : 4 Le vase



4 LE VASE

Lorsque je me suis mariée, une amie de ma mère m'a offert
un petit vase en argent en me disant : « Tu y mettras
toujours des fleurs ».

De temps en temps il y en avait une ; parfois je culpabilisais lors qu’il
n'y en avait pas. Les années passant, il fut oublié au fond d'une armoire.

Quelques années plus tard j'ai déménagé, passant d'un grand appartement dans un autre beaucoup plus petit.
Trier, débarrasser, donner, je voulais vivre autrement.
Alors j'ai vendu mon argenterie et le petit vase en même temps,
il était devenu tout noir !
J'ai acheté des services avec des manches en couleur,
à la mode chez mes amies.

Je me demande ce que mes petits enfants auraient dit en recevant un cadeau assorti d'une contrainte. Celle-ci a certainement pesé sur mes épaules sans que j'en aie été consciente,
si ce n'est à cet instant même où j'écris.

Aujourd'hui, je le revois ce petit vase tout brillant,
avec son pied rond, renflé sur les anches, serré à la taille,
resserré au col. Par la pensée et pour la dernière fois,
j'y mets une fleur, puis... je tourne la page.


vendredi 7 octobre 2016

Courts récits : 3 Un objet introuvable

3 UN OBJET INTROUVABLE

Un clou, nous savons tous ce que c'est et il n'est pas introuvable ; un clou courbé, nous sommes certainement assez nombreux à rater notre coup pour en avoir courbé plus d'un, donc il n'est pas rare ; peut-être qu'il n'y en a pas partout simplement parce qu'ils ont fini à la poubelle. Un clou courbé deux fois, oui si vous l'avez frappé deux fois de travers, mais un clou en forme de tir bouchon, en avez-vous déjà vu ?

Celui-ci a une belle double courbe, il sourit, s'étonne, rit encore, nargue l'homme que je suis, moi Rulf, si adroit de mes dix doigts, penché sur mon établi, trifouillant dans mes dizaines de boîtes pour en trouver un semblable. Ce clou ci a bien une tête, comme tous les clous, mais lui taper dessus ne permettrait pas de l'enfoncer, nous pourrions éventuellement le courber d'avantage et en faire une boucle d'oreille, mais ce n'est pas mon propos. A la recherche d'un clou pareil, moi Rulf, je suis entré dans une quincaillerie que je sais bien achalandée, avec mon modèle. Un dialogue s'établit entre le vendeur et moi :

  • J'aimerais un clou
  • Un seul, fit le vendeur, un léger sourire moqueur au bord des lèvres
  • Oui, un seul, et courbé comme celui-ci. Cette fois le vendeur fait les yeux ronds d'étonnement
  • Et bien, fait-il, prenez celui-ci, il est assez long pour que vous puissiez donner plusieurs coups de marteaux de travers
  • Non, lui dis-je, il faut qu'il ait une forme de pas de visse sans fin et calibré
  • Calibré ! Alors achetez directement un tire bouchon, vous n'aurez plus qu'à le démonter
  • C'est trop gros, il faut qu'il entre dans un trou très petit
  • Bon, alors, je vous vends des visses, de quel diamètre ?
  • Pour un vendeur, vous ne me paressez pas très futé, remarquai-je
  • ça fait 10 ans que je suis dans la branche, fit-il irrité
  • Oh là, oh là, ne nous énervons pas
  • Je pense, dit le vendeur, que cet article n'existe pas
  • Alors comment ce fait-il que j'aie cet exemplaire ?

Moi, Rulf, je sortis de la quincaillerie, furieux d'avoir passé pour un... idiot, avec mon clou qui n'existe pas et avec celui que j'ai finis par acheter pour mettre fin à notre échange verbal avant qu'il ne devienne un échange de calottes.


De retour dans mon atelier, j'ai tapé comme un sourd sur ce foutu clou, je l'ai raté et me suis blessé la main. Ayant ensuite un clou à enfoncé, j'ai emmailloté ma main blessée dans un linge éponge, seulement voilà, elle était devenue trop grosse pour tenir le clou. A partir de ce jour, ma vie se compliqua terriblement car, voyez-vous, je suis tapissier...




vendredi 30 septembre 2016

Courts récits : 2 Le Gris

2 LE GRIS

C'est la mi-juin à 1'500 m d'altitude. La saison de ski est terminée depuis plus d'un mois et les dameuses hibernent pour l'été. De multiples appartements et chalets se sont fermés, les amateurs de glisse ayant quitté la station pour redescendre dans la plaine. Cependant, ceux-ci ont laissé des traces derrière eux, pas des marques dans la neige, celle-ci ayant fondu, mais des chats ! Des chats errants, abandonnés dans le quartier. Il paraît qu'il en est ainsi presque tous les printemps.

Si l'Occident avait opté pour le karma et les vies successives, peut être serait-il plus vigilant aux conséquences de ses actes. A voir revenir en pleine figure la monnaie de sa pièce, tel un boomerang, il y aurait de très nombreux yeux au beurre noir !

Alors que nous bavardons tranquillement, ma nièce France et moi, bien installées dans de confortables fauteuils sur sa terrasse donnant directement dans le jardin, toi, Le Gris, probablement attiré par le son de nos voix, tu arrives subrepticement, tout de silence sur tes coussinets de velours. Tu es certainement jeune car ta démarche est vive, souple, féline ; ta fourrure est grise, d'où le nom que je t'ai donné ; tu es hirsute, sale, tes poils, ici ou là, sont collés les uns aux autres et tu es trop maigre, pauvre vagabond. Tu vois Le Gris, je n'aime pas ta couleur, je n'ai aucune envie de te caresser et je ne dois pas être la seule. D'ailleurs tu ne te laisse plus approcher, tu n'accordes aucune confiance à cette gente debout sur deux pattes, dédaigneuse, méprisante, te toisant de haut et te chassant de chez elle, peut être à coup de balais, alors que tu espérais trouver abri et nourriture. Mais là, au moins, et tu le sais, ma nièce t'offre toujours quelques biscuits, c'est la seule nourriture qu'accepte sa belle chatte nommée India, toute blanche, douce, obéissante, même un peu trouillarde : lorsque le merle la chasse loin de son nid, elle rentre en poussant des cris terrifiés.

Puis un jour, Le Gris tu m'as regardée droit dans les yeux, cela n'a duré qu'un instant, un éclair, mais tu m'as montré un lac, une mer, un océan de désespoir. As-tu été délaissé, jugé quantité négligeable, encombrante? Je veux bien accorder à tes maître le bénéfice du doute, il est possible qu'ils t'aient appelé avant de partir mais tu étais probablement trop loin pour les entendre, très occupé auprès d'une jolie minette qui te plaisait. Non, me murmure Sherlock Holmes, regarde il porte à son cou les traces d'un collier.




Ton regard de vérité, poignant, reste pour toujours inoubliable ; tes yeux étaient magnifiques, si ce n'est tragiques. Ils étaient d'un pâle jaune, d'une luminosité jamais vue jusqu'alors, extraordinaire, hors du commun, tout simplement indescriptible. Il y a quelques années j'avais demandé à une amie juive si sa religion croyait en la présence d'une âme chez les animaux et elle m'avait répondu qu'ils en avaient une étincelle. Dans ce cas précis, je suis persuadée d'en avoir vu une, une entière, dans sa globalité. Ah Le Gris quel précieux cadeau tu m'as fait et j'aimerais maintenant te donner un nom nouveau, mais lequel ? Alors vous qui me lisez, qui m'écoutez, avez-vous un nom à me suggérer ?

vendredi 23 septembre 2016

Courts récits : 1 Monsieur Bidochon


1 Monsieur Bidochon

J'ai la coupe avec mes bretelles larges, clipées sur un pantalon qu'on appellerait taille basse sur un bide bien là, les épaules étroites, des cheveux roulés en une grosse boucle sur le sommet du crane, que voulez-vous ce sont les seuls qui me restent disait-il, une Gauloise dans le bec, bref un vieux titi parisien, déambulant dans les rues du 11è.

J'ai été concierge, enfin on dirait maintenant gardien d'immeuble, mais pensez donc, pourquoi changer le nom de ma profession, alors que ma profession n'a pas changé ! Il faudra bien sortir les poubelles, nettoyer les escaliers, répondre, de ma loge, à tous ces « biens pensants » qui me demandent si j'ai vu leur chat, si j'ai trouvé leurs clés, si j'ai pensé à...

Aujourd'hui je suis retraité, j'ai les dents jaunes, ma dégaine n'a pas changé, juste un peu accentuée ! Elle, je la croise dans la rue, dans ma rue, jusqu'à ce jour je n'y faisais pas trop attention.

Elle, elle a un long nez, une queue de cheval, de fortes hanches et, tient donc, des souliers à hauts tallons, à son âge ! Je sens qu'elle va me faire la leçon : ne fume pas trop, ne mange pas autant, ne te promène pas les mains dans les poches. Il me semble déjà entendre ma mère.

Et alors, qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui je m'arrête en face d'elle ? Elle porte une blouse rouge, j'adore le rouge ! Elle a mis une jupette qui froufroute, j'aime bien ce qui se balance ! Quelque chose luit à ses oreilles, j'ai toujours été attiré par ce qui brille !

Voilà qu'elle s'arrête aussi ; j'attends, fébrile ; elle me tend un flacon en me disant : « c'est pour votre voix, la cigarette c'est mauvais ». Ah non vraiment, elle n'est pas comme ma mère !



vendredi 24 juin 2016

Deux vies parallèles : 16 Elle et Lui

Dès vendredi 23 septembre 2016

chers lecteurs, chère lectrices,
Vous allez trouver
chaque semaine une nouvelle histoire de 1-2 pages
qui, j'espère, vous feront rire, ou réfléchir un peu. 
Dans tous les cas je vous souhaite de bonnes
lectures




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vendredi 9 septembre 2016

Les jours sont plus courts, le soleil est encore chaud,
 les couleurs plus douces et l'air est devenu léger, 
il est temps de revenir sur mon blog.
En cliquant sur ma rubrique ARVA,
vous pourrez lire un interview de moi 
préparé par MaryLis Schindelholz.

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16    ELLE ET LUI


Un rayon de bonheur m'habite depuis que je vis dans le 7e arrondissement : bouquiner ! Je me nourris de noms d'écrivains, de titres : romans, poèmes, histoire ancienne et moderne, littérature, parfois des policiers pour l'intrigue, peu de géographie, je ne suis pas branchée sur les voyages, mais sur des atlas pour suivre les événements du monde. Je m'instruis, me remplis l'esprit, à mon insu, retiens quelques phrases originales, je ne les note pas, de descriptions inattendues qui me surprennent, étonnée par tant de talents.

En mourant, mon oncle m'a légué sa librairie. Ainsi, lentement, assidûment, je me fais connaître pour mon érudition, ma recherche de l'édition rare, mes conseils judicieux d'une traduction : celle de Bonnard pour les tragédies greques par exemple. Je suis devenu un libraire connu, respecté pour ma vaste connaissance du livre, des auteurs, des éditeurs. Je sais dénicher, souvent chez des particuliers où je suis appelé à faire une estimation ou racheter un lot, le livre souhaité par mon client, souvent devenu un ami.

Aujourd'hui, en quittant l’officine, je me dis :  « c'est décidé, le prochain après-midi de congé, j'irai à la librairie Voltaire dont on me dit tellement de bien pour demander ce volume épuisé que je cherche depuis plusieurs semaines et qui va égayer mon existence ».

Ma passion est la lecture ; ma passion est le livre. Ainsi je l'ai aperçu le long des quais sans rien en retenir ; je l'ai côtoyée sans vraiment la voir. Il me semble qu'il est un peu vouté ; elle est souvent habillée de noir. Il est toujours très absorbé par son travail; elle est toujours seule. Je ne lui ai jamais dit bonjour ; je ne m'arrête pas pour la saluer. Ma vie actuelle me suffit, je ne cherche rien d'autre ; Sarah est mon souvenir et cela remplit mon coeur. Je suis entrée dans sa librairie ; elle m'a demandé de lui trouver un titre. Un court instant de partage et c'est tout. Ils ignorèrent pour toujours qu'ils étaient nés le même jour, de la même année, à la même heure.

Deux parallèles ne se rejoignent jamais.

FIN

C'est l'Euro Foot. Regardez-vous les matchs ? Moi oui ! Alors une prochaine histoire c'est
pour plus tard… En attendant cliquez sur Expos… ou allez voir mes aquarelles sur
www.arva.ch
Je vous souhaite un bon été.




vendredi 17 juin 2016

Deux vies parallèles : 15 Déménagement

15 DEMENAGEMENT

Je vois maman décliner, doucement, comme une merveilleuse fleur qui perd son éclat, laisse pendre ses feuilles de lassitude, celles-ci commencent à jaunir, ses pétales se fripent, elle baisse la tête. J'ai un regret : ne pas avoir été à même de l'aider mieux, étant totalement ignare dans la question des soins à apporter à une personne d'un âge certain. Je pars aussi beaucoup plus tôt, rentre plus tard, ayant une heure et demie à parcourir en métro à chaque fois. En effet, le laboratoire pour lequel je travaille a délocalisé en périphérie, davantage de place, un loyer moindre, des places de parking à disposition, un air meilleur, ce qui reste à prouver.

Que d'heures j'ai passées entre quatre murs gris, mal éclairés par deux petites fenêtres sans soleil. Où sont les belles promesses de locaux spacieux ? Je pèse, compte, mélange, transvase des produits dont j'ignore l'utilité présente et future. Je répète les gestes comme si je travaillais à une chaîne de montage en usine, gestes tout de même moins abrutissants, dans un calme relatif. Je ne me suis pas faite d'amies, encore moins d'amis, je ne peux guère participer à des rencontres, il faut que je rentre pour maman. Cela ne me gene pas vraiment, le contact personnel avec les autres m'importe peu, du copinage, je m'en passe aisément.

Depuis que je suis restée seule, disposant d'heures peu utiles, je fais des offres et à l'un des employeurs qui me dit : « Vous devez apprendre à vous vendre », j'ai répondu « Je ne suis pas une marchandise, je ne suis pas à vendre ». Il n'est pas nécessaire d'ajouter que l'on me montra la porte ! Je ne comprends pas les employés qui ne se révoltent pas contre cet abaissement, pour ne pas parler de régression, l'esclavage n'est-il pas d'une époque révolue ? J'ai fini par trouver un poste à responsabilités dans une officine homéopathique et, prenant mon courage à pleine main, j'ai quitté la rue des Prouvères pour aménager dans le 7è arrondissement où elle se trouve.

J'aime cet office, vieillot, aux étagères en bois de pin, odeur vivifiante, fermant avec des rideaux de bois qui s'enroulent, se déroulent, s'ouvrent avec une clé. C'est l'une de mes tâches, le soir avant de quitter les lieux et le matin en arrivant ; je porte les clés sur moi, je pourrais presque dire jour et nuit ! Même si tout paraît d'un autre temps, il n'y a pas trace de poussière, c'est moi qui suis chargée de l'éliminer ! Je suis occupée à la fois de la vente devant et des préparations derrière. De simples mélanges, les remèdes importants venant des Laboratoires Boiron à Berne et du Laboratoire Schmidt-Nagel à Meyrin. J'ai étudié la vie de Samuel Hahnemann, fondateur de la médecine homéopathique à la fin du 18e siècle, j'ai retenu les trois principes  qu'il a développés :

la similitude, l'individualisation, l'infinitésimal.

Me promenant dans mon nouveau quartier, j'ai découvert les étalages de livres d'occasion le long de la Seine. Je vais d'une caisse à l'autre, de bouquiniste en bouquiniste, cherche, sort, regarde, feuillette, repose, ouvre avec respect même le plus simple, le plus moche, le plus abîmé ; j'apprends, je compare, j'échange parfois, j'achète souvent.


suite du récit le 24 juin 2016

vendredi 10 juin 2016

Deux vies parallèles : 14 Après--guerre

14 APRES-GUERRE

Arrivé à la retraite, papa se trouve sans but, sans intérêt particulier qui peut le motiver, il n'a jamais eu de hobby, de curiosité pour autre chose que son travail. Alors il se traîne dans les rues, hante les bistrots, oublie l'heure des repas ; malheureuses, maman et moi lui avons suggéré : bricolages, lectures, aide à notre voisin qui a tant de peine à se déplacer, prendre des cours, acquérir quelques notions de menuiserie afin de pouvoir faire et poser des étagères chez nous. Il a vaguement essayé, pas pu ! Les Halles bruyantes, affairées, si vivantes, lui manquent et peut-être aussi la présence de son fils dont il ne parle jamais. Ce silence étouffe maman qui, ainsi, n'arrive pas à exprimer son propre chagrin que je vois si souvent dans son regard.

Cinq années ainsi, d'espoir en échec, et voilà que papa meurt soudainement d'un infarctus, les secouristes, arrivés pourtant très rapidement, ne réussirent pas à le réanimer. Maman et moi restons seules, elle de plus en plus fragile et moi simple aide de laboratoire, c'est-à-dire laver les éprouvettes et porter les cafés ! Nos revenus parviennent tout juste à nouer les deux extrémités de nos bourses mises en commun. Il faut dire qu'ayant manqué bien des cours pendant la guerre, j'ai raté mes examens de pharmacie, au grand regret de maman qui souhaitait si fort que je reprenne la pharmacie de son frère.

Pour ma part, je suis sans ambition, notre vie, petite peut-être pour vous, me convient. J'apprécie les heures fixes, le train-train régulier de mes journées qui succèdent à ces années vécues dans le danger de la Résistance ; je ne suis pas une héroïne, les médailles sont pour les autres, j'ai été une modeste femme de l'ombre. Ma joie est venue de cette école de littérature française, peu fréquentée et pour cause, j'y ai tout de même découvert des écrivains que je lis maintenant, devrais-je dire que je dévore ? Je fréquente avec délectation les Bibliothèques de quartiers, j'y reste des heures, oubliant le temps qui passe, sans moi me semble-t-il. Je parcours tant de couloirs, d'escaliers, de salles plus ou moins bien éclairées ; je vais d'un rayon à celui d'au-dessus, d'au-dessous, d'une étagère à celle d'en face ; je m'informe, cherche, dépose, emporte le livre de ma convoitise que je rapporte un autre jour, une autre semaine.


suite du récit le 17 juin 2016

vendredi 3 juin 2016

Deux vies parallèles : 13 Sans aurevoir

13 SANS AUREVOIR

Cette lettre, je l'ai gardée longtemps, un temps si long, abyssale, dans la poche intérieure de mon veston. J'en connais chaque mot, chaque phrase, points et virgules.

La Croix Rouge m'écrivait : « Suite à votre demande... recherches... Marseille... confirme départ... cargo El Paso... faisait partie d'un convoi... Canada... étendu nos investigations... un U-boat... cargo coulé... avons le regret... aucun survivant... »

Je ressassais ces lignes, les tournais en tout sens au plus profond de mon cerveau, de mon coeur pétrifié. J'étais anéanti, je ne mangeais plus, errais dans les rues de Paris, sans but, ne sachant même pas où je me dirigeais ; mon sang avait quitté mon corps qui semblait ne plus m'obéir. Ainsi, sans aucun au-revoir, sans un à Dieu, nous fument séparés à tout jamais. Je ne possède de Sarah aucun souvenir matériel, aucun objet ni vêtement, rien de notre vie à deux, le vide, mais nous avions tout l'avenir devant nous...

Cette lettre a beaucoup pesé sur ma décision de devenir libraire-bouquiniste en suivant les enseignements de mon oncle.

Maintenant je me sens heureux dans ce monde un peu poussiéreux, à la fois ancien et moderne, au milieu des éditions de luxe, numérotées, dédicacées par et pour des inconnus, cela peut faire perdre une partie de la valeur marchande du livre, ou par et pour d'illustres personnages et en augmenter le prix. Ils sont imprimés sur papier vélin, papier Japon, papier à la cuve, Arches, Sennelier, ou de simples recueils de poésies peut-être jamais lus et que je garde, on ne sait jamais ! Ah ces odeurs douceâtres de papiers, de colle, de cire appelant les abeilles, même de ficelles, de cotons imbibés d'encre de chine que mon oncle passe sur les dos et les couvertures pour raviver la couleur des cuirs fauves, verts, bruns, rougeâtres, parfois noires.

Mon appartement, au Quai Voltaire, juste au-dessus de la librairie, est devenu un vrai chantier : des piles de bouquins s'entassent sur et sous toutes les chaises, elles partent du sol, s'appuient contre les murs, incertaines, prêtes à s'écrouler, le canapé en est couvert ; quant à la table, n'en parlons pas, il n'y a plus une place où écrire ! Il y a la pile des livres à lire, les inintéressants, uniques ou inclassables, la pile de ceux qu'il faudrait porter dans les caisses sur les quais pour être vendus, « les » en mauvais états, « des » dont on ne sait que faire. Les lus, chéris, aimés, cajolés ou rejetés, en points d'interrogations. Il y en a environ trois cents qui sont alignés dans ma bibliothèque, comme des soldats au garde-à-vous ; grands formats, petits exemplaires, épais, minces, cartonnés, reliés plein cuir ou brochés, tout est pêle-mêle, il n'y a que moi qui peut y retrouver le titre cherché.

Je le dis volontiers en riant : mes livres sont en désordre chez moi, mais dans la librairie, ah non ! Tout est rangé, classé par ordre alphabétique, par genre, chacun de son côté : poésie, romans, grecs anciens et latins, égyptologie bien sur, même policiers, il faut de tout pour faire un monde. Ainsi les bibliophiles s'y retrouvent et se rendent directement au rayon de leur choix où ils vont peut-être découvrir l'objet de leur désir.

J'aime l’ambiance des quais, les Parisiens adorent fouiner dans tous ces étalages, parmi tout ce choix d'occasions, toucher, regarder. Je remarque de suite le vrai amateur à sa façon précautionneuse d'ouvrir un livre sans en blesser le dos, le caresser avec une délectation gourmande, le reposer délicatement avec un soupir. Ce livre est-il trop cher, me demandai-je alors ?

Une page de ma vie est tournée, comme les milliers de pages que je vais tourner de tous les livres qui vont circuler entre mes mains, telle que celle qui vient d'être écrite.

Suite de ce récit le vendredi 10 juin 2016

vendredi 27 mai 2016

Deux vies parallèles : 12 Ma mère

12 MA MERE

Je me réveille en sursaut, une serviette fraîche posée sur mon front, mes yeux suivent le mouvement des mains qui serrent les miennes, les plus belles mains que je connaisse, fines, souples, si chaudes, manucurées à la perfection, aux paumes fermes, celles de ma mère. Elle me sourit sans rien dire, attentive à mes réactions, je m'efforce à un sourire crispé, mais le regard perdu dans le vague, je sombre à nouveau dans la nuit où j'espère trouver l'oubli.

Ma mère m'a découvert prostré, une lettre, une enveloppe, tombées au pied du fauteuil sur lequel je suis assis. Elle a du comprendre de quoi il s'agissait, le logo de la Croix Rouge étant présent sur l'entête ; elle a veillé sur moi tous ces jours de peine extrême, d'enfouissement sous le duvet, apathique, sans un mot, buvant à peine le bouillon de boeuf qu'elle me tendait. Mère chérie, toujours prise entre son amour pour son mari et son devoir envers son fils. Je me souviens combien il avait été difficile pour vous de quitter la vallée des rois pour m'accompagner au Caire, puis à Paris. Je vous revois, grande, presque autant que mon père, debout à ses côtés prenant des notes, ou assise sur un muret étiquetant des objets. Quel soin vous preniez de ses découvertes, de l'intérêt avec lequel vous l'écoutiez, transportée 3'000 ans en arrière. « Pourtant, m'aviez-vous dit, il fallait que je t'accompagne pour t'épargner un Internat où je savais que tu serais malheureux par son enfermement alors que tu es un enfant épris de libres espaces ».

Mère, vous ai-je dit ma reconnaissance ?

Je sors brusquement de mon apathie lorsque mon père fait irruption dans ma chambre en s'écriant : « Une maison d'édition a accepté de publier mon livre, debout mon fils, ton oncle et moi avons besoin de toi ! » Nous nous sommes tous attelés à la préparation de ce livre, ma mère établissant avec intelligence un fichier d'adresses, reprenant le vieux de la librairie, mal tenu, pas à jour, en y ajoutant nos relations, nos amis, nos connaissances, le nom des membres de notre famille pour les inviter à la dédicace que mon père allait faire dans les locaux de son frère. Elle déniche en plus des aides pour retoucher les photos en les améliorant et les mettre en page. De mon côté, je parcours les Ecoles, les Lycées, les Universités pour en faire la réclame, même les Ambassades. Le plein air s'ajoutant à tous ces éléments a progressivement adouci la perte de Sarah, cependant à jamais irréparable, pour moi. Pendant ce temps, mon oncle prépare les deux longues vitrines de sa librairie, réservant une première place bien en vue pour le livre de son frère, entouré de volumes sur l'Egypte : dictionnaires anciens et modernes, dictionnaires spécialisés sur la vie des Pharaons, écrits d'égyptologues, descriptions des sites archéologiques, itinéraires de visites pour touristes ignares ou pressés, quelques titres de romans célèbres dont l'intrigue se passe dans ce pays et, derrière, une grande carte de géographie. Quant à mon père, il n'arrête pas de bourdonner autour de nous, nous houspillant, inefficace !

Le livre se vendit assez bien en cette période d'après guerre et moi je me trouvais de plus en plus investi par mon oncle et sa librairie. Trois années s'écoulèrent, mon père repartit en l'Egypte, sur le site de Serabit El Khadem et le temple d'Hathor, au sud du Sinaï et des mines de cuivre, de turquoise. Hélas, il ne proposa pas à ma mère de l'accompagner, prétextant que l'endroit est trop éloigné de toute civilisation, ne portant aucune attention à la tristesse de celle-ci, à son regard si avide de le suivre mais qui n'osa pas le dire. Ses longues années de solitude, de vent, de sable, l'ont éloigné de nous, il ne s'est pas habitué à notre vie à Paris qui est pourtant sa ville natale. Mon père ne revint pas de cette expédition. Emporté par la fièvre du chercheur qui le tenaillait et augmentait avec les années, il s'égara dans le désert où une caravane découvrit son corps, le transporta à l'oasis Ayun Khodra. Avec cette chaleur, il y fut immédiatement enterré. Trois pierres marquent l'emplacement de sa tombe.

Ma mère noya son chagrin dans une sur-activité nerveuse, un affairement à la fois ordonné et désordonné : tri des notes, des articles de journaux, prenant un dossier, passant à un autre. Son salon était encombré de souvenirs disparates, des photographies de mon père à Saqqarah, d'elle et lui dans la Vallées des Rois, moi enfant, le tout disposé sur les meubles encombrés, contre les murs remises de prix littéraires, photos de réceptions... Je commençais à m'inquiéter pour son équilibre moral lorsqu'elle rencontra une amie, puis deux, trois pour former enfin un carré parfait et jouer au bridge. S'invitant à tour de rôle, ma mère du inévitablement débarrasser le salon, ne garda que quelques souvenirs, acheta une nouvelle nappe à thé brodée aux quatre coins de trèfles, carreaux, coeurs, piques. Puis un jour, elle s'éteignit tranquillement.

Sur sa tombe, chaque fois que je passe au cimetière, je dépose quelques petites pierres, associant ainsi, dans le souvenir, les deux femmes que j'ai le plus aimé au monde : ma mère et Sarah.


suite du récit le 3 juin 2016

vendredi 20 mai 2016

Deux vies parallèles : 11 Résistant

11 RESISTANT

Mes dons pour les langues font à nouveau merveilles, je traduis, écris messages, ordres, nouvelles qui passent de main en main, dans le silence : nous nous connaissons à peine, mais nous formons une grande famille et je le ressens profondément. Je me vêts de beige, une vielle casquette cache mes cheveux blonds, à mes pieds des chaussures éculées et je surveille ma démarche pour ne pas boitiller ; je rentre chez ma mère le plus souvent que je peux pour ne pas attirer l'attention, néglige mes études qui me paraissent insignifiantes en regard des bouleversements que nous vivons, tout est chamboulé : nos intérêts, nos habitudes, nos valeurs. Mais j'aime ce frisson, cette sensation excitante de tromper l'ennemi, ils me font oublier quelque peu l'absence de Sarah.

D'ailleurs je me sens de plus en plus loin de mon pays natal ; mon père l'a quitté par manque de fonds pour la recherche. Il nous a rejoint à Paris pour connaître l'occupation ; hélas : plus de travail, quelques conférences devant un auditoire clairsemé. Il a ramené un monceau de paperasses qu'il trie pour en faire un livre. Il bougonne, tourne en rond comme un tigre en cage, n'arrête ses va-et-vient seulement pour les repas, morose, chagrin. Ma mère, qui adore mon père, est navrée par cette situation, elle lui pèse, l'attriste aussi. Elle aussi a changé son look, fait attention à son accent, suit des cours de prononciation pour ne pas paraître anglaise au premier mot prononcé, donc une ennemie de l'occupant malgré sa nationalité française par mariage. Que de précautions à prendre en ces temps si sombres. Nous nous sommes tous regroupés dans l'immeuble de mon oncle, frère de mon père, rue Voltaire ; il faut se serrer les coudes, faire face à l'adversité, être toujours plus forts que faibles alors que faibles on nous veut, ne pas se courber devant l'occupant, redresser le dos. « Tiens-toi droit » disaient les parents de cette époque ; que de vérité il y a là.


suite du récit le 27 mai 2016

vendredi 13 mai 2016

Deux vies parallèles . 10 Sarah

10  SARAH

En déambulant sur le campus, j'ai rencontré Sarah. Un coup de foudre mutuel ? Oui, ou pas tout à fait : un enchantement, une symphonie où petit à petit les instruments s'accordent les uns aux autres, trouvent leur harmonie. Si un paradis existe, il est là, dans nos deux corps qui se cherchent, s’apprivoisent, d'abord timidement, nous sommes tous deux novices en la matière. Nous apprenons l'un par l'autre, elle me ralentit, je la stimule, ensemble nous arrivons enfin à la plénitude d'un désir accompli.

Un jour tu m'as surpris par un geste que je garde précieusement dans mon souvenir : nous étions allés nous recueillir sur les tombes de ton oncle, de ton grand-père et celles de lointains cousins. Tu y as déposés de petites pierres, et en réponse à mon air interrogateur, tu m’expliquas : « c'est pour continuer à bâtir leur mémoire ». J'ai trouvé ce geste de pérennité, indissociable de votre culture, si beau, une continuité au-delà des âges, un souvenir transmis de génération en génération, que je jurai de faire de même pour les miens.

Un mois de mai, fait de douceur, de chants d'oiseaux, de fleurs printanières, les arbres se revêtant de feuilles vert tendre, tu es arrivée au Parc Monceau où je t'attends, complètement transformée. De loin tu as l'élégance d'une parisienne et dans un premier temps, je ne t'ai pas reconnue. Tu as coupé à la garçonne tes longs cheveux bruns, tu portes une blouse bleu pâle aux manches très amples, le galbe de tes hanches souligné par la longueur de la jupe qui s'évase dans le bas. Tu as mis un peu de rouge à tes joues, même les traits de ton visage paraissent plus allongés, atténuant les signes révélateurs de ton origine sémite ; j'en suis resté médusé. « Je suis toujours Sarah, ta Sarah, m'as-tu dit. Ma mère et moi avons découvert une habile couturière à la rue Berger : elle a des doigts de fée, du talent pour copier les modèles de haute couture, à quelques différences près mais non moins élégantes ».

Ne connaissant rien à la mode, un domaine qui ne me touche guère, je peux à la rigueur dire si cela me plait ou non, aussi n'ai-je attaché ni importance ni curiosité à tes paroles. Ce n'est que bien plus tard que je compris le pourquoi du sacrifice de tes merveilleux cheveux qui tombaient en ondulant jusqu'à tes épaules.

Sachez seulement que Sarah est ma femme devant Dieu, elle le serait devenue devant les hommes si la guerre ne nous avait pas séparés. Elle me parle des mauvaises nouvelles qu'ils reçoivent de leur famille vivant en Allemagne, Autriche, Pologne : ils sont arrêtés, escortés, entassés dans des wagons à bestiaux et partent pour des destinations qui nous sont inconnues. Disparus, plus aucun contact. Que se passe-t-il ? Que sait-on ?

Le canon tonne aux portes de Paris. Comme souvent, je sonne à la porte de Sarah, son père m'ouvre, une grosse valise posée à ses pieds. « Ils sont partis, me dit-il, c'est mieux ainsi, ma fille n'aurait pas supporté cet aurevoir. Nous allons à Marseille où nous attend le paquebot « La Louisiane » qui va appareiller pour New York, j'ai réservé nos places. Dès que possible Sarah te donnera de nos nouvelles, je suis ambassadeur, ex-ambassadeur, je connais les filières. Vos deux coeurs sont jeunes, courageux, aimants, vous saurez prendre patience ; je conte d'ailleurs aussi sur toi : ne me suis pas, tu ferais le malheur de celle que tu aimes ». Je reste planté là, au pied de l'escalier, le souffle court, les mains tremblantes ; j'obéis, je ne cherche pas à le suivre, je respecte les coutumes, les lois dictées par leur origine ; c'est ainsi dans les familles juives, le père doit être respecté quel qu'en soit le prix, il a l'expérience, la sagesse, c'est leur force de survie.

L'attente fut longue, si longue : 5 semaines, 5 semaines à traîner dans les rues de Paris, déboussolé, et je reçois enfin de Sarah une courte missive, des mots hâtivement appondus les uns aux autres m'apprenant qu'ils ont été retardés sur les routes par l'exode de tous ceux qui fuient l'ennemi en descendant vers le sud alors que des files de soldats, de matériel de guerre, remontent vers Paris, à contresens. La famille est arrivée à Marseille trop tard : le paquebot était parti. « Nous allons, m'écrit-elle, monter à bord d'un cargo en partance pour le Canada, de là nous rejoindrons les Etats-Unis où nous attend un frère de mon père. Le voyage sera moins confortable, mais ne te fais pas de soucis pour nous, tu sais combien nous sommes résistants à la douleur. A toi pour toujours, Sarah ».

Ce soir là, je suis entré dans un réseau de la Résistance. 


suite du récit le 20 mai 2016





vendredi 6 mai 2016

Deux vies parallèles : 9 39-45

9 39-45

Avec ma mère, j'ai quitté l'Egypte à l'âge de 15 ans afin de suivre un Lycée à Paris, « sérieux » comme dit mon père, lui qui reste dans ce fabuleux pays pour continuer ses fouilles sur le site de Saqqarah. J'ai dit adieu à mon enfance, à mes copains Africains, merveilleux de joie, de rires, vies inventives de mille jeux inoubliables. Une page se tourne vers un avenir que je crois tout tracé puisque maintenant je suis entré à l'Université où j'étudie l'histoire ancienne des civilisations, mon rêve de toujours.

A vingt et un ans, ayant toujours eu une jambe, la gauche, légèrement plus courte, je porte, depuis mon enfance, une chaussure à semelle compensée, cela ne se remarque guère, mais je suis refusé pour le service actif. Cependant en 1939, on se souvient de moi et je suis affecté au service des traductions de l'Etat Major français. Je parle, j'écris trois langues : anglais, français, égyptien et j'ai de bonnes notions d'arabe ; quant à l'allemand, deux ans plus tard, je l'ai appris directement de l'occupant et avec une rapidité stupéfiante. Enfin, peut être pas si stupéfiante qu'il n'y paraît : on dit, et pour moi c'est prouvé, qu'une quatrième, une cinquième langue s'apprend beaucoup plus facilement que la deuxième.

Semblable à un laïc au milieu d'ecclésiastiques, je suis l'un des rares civils à déambuler dans les locaux de l'armée au milieu de tant d'uniformes. La capitulation de la France change toute la donne, je suis remercié, si l'on peut dire parce que sans merci. N'ayant ni titres ni galons, je figure à peine sur les registres ; l'occupant n'a pas pris garde à moi, c'est ma chance, sinon j'aurais été réquisitionné, avec toutes mes langues, qui sait, oh horreur, par la Gestapo.

Je partage donc mon temps entre l'Université que je déserte de plus en plus souvent, mon travail à l'Etat Major et la librairie du frère de mon père qui requiert de plus en plus mon aide vu qu'il est atteint d'une déformation de la colonne vertébrale. Sans le comprendre encore, il m'a ouvert une nouvelle porte vers l'avenir. Je passe donc de son immeuble aux boîtes ouvertes le long de la Seine, chargé de livres d'occasion que j'y dépose ; le matin, c'est moi qui ouvre le magasin, j'y reste jusqu'à dix heures, moment où apparait mon oncle, ensuite je vaque à mes autres occupations.


Suite du récit le 13 mai 2016

vendredi 29 avril 2016

Deux vies parallèles : 8 Résistante

8 RESISTANTE

Vêtue généralement de gris, parfois de beige, sans aucun signe distinctif, une vieille sacoche de « 14 » en bandoulière, je passe inaperçue. On ne me voit pas, on ne me remarque pas, parfait pour parcourir les rues de Paris livrant messages, lettres et ordres aux résistants. Ces faits vestimentaires qui me sont reprochés sont devenus subitement des qualités : « passe-muraille » est mon nom de code.  Pour la première fois de ma vie, je fais partie d'un groupe, j'y suis la bienvenue, intégrée, reconnue ; je partage avec lui des nuits sans sommeil, à l'écoute de Radio-Londres, cachée tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Une grandeur folle, une exaltation communicative nous animent, nous poussent à défier l'occupant.

Pédalant sur mon vieux vélo, je sens que des ailes poussent dans mon dos ; pour la première fois j'ai envie de chanter, de rire : nous avons le même espoir, nous vivons pour le même but, chacun à notre façon : libérer la France de l'occupant. Nous ne connaissons nos chefs de réseau que par leur prénom, ils nous en disent le moins possible, juste le nécessaire : moins nous en savons, moins nous aurons à les trahir si nous sommes pris et interrogés, car nous parlerons, c'est certain.

Sincèrement, oserais-je le dire au milieu de toutes ces noirceurs,
ces peurs, ces deuils ?
Oui, se sont-là les plus belles années de ma jeune vie.

Depuis mon enfance passée dans les Halles, les points cardinaux n'ont plus de secrets pour moi, quel atout dans mes livraisons ; les rues de la capitale ne sont plus des dédales énigmatiques. Je varie mes itinéraires, j'ai modifié mes heures de livraison depuis que je me suis fait fouiller par la Gestapo, un mauvais moment à passer, mais mon air absent, non concerné, les a bernés, ils n'ont pas enquêté plus loin. Sur le conseil d'un gars de la Résistance, je me suis inscrite à un cours de littérature française dans une école à l'autre bout de Paris, ainsi sont justifiées mes allées et venues. De temps à autre, j'y fais acte de présence ; mon prof m'a fait le signe de reconnaissance, je lui ai répondu par le mien. Il est « des nôtres » et je me sens protégée, il saura écarter les intrus s'ils venaient à prendre des renseignements sur moi. Un matin, une seule fois, quelqu'un passa voir si j'étais là. Mon prof répondit que j'avais cours seulement l'après-midi. Et cet après-midi justement j'y étais mais l'homme ne revint pas. Sur mon porte-bagage, j'ai attaché des livres et deux classeurs que je remplis de notes le soir à la maison. J'y ajoute des commentaires et appréciations de mon prof, ainsi le tour est joué pour le cas où ...

Je passe entre les mailles du filet qui se sont resserrées depuis que les alliés ont débarqué en Normandie et progressent vers Paris. Comment ai-je échappé aux bombardements, aux fusillades, aux conséquences des contrôles qui auraient pu être désastreuses, à tant de malheurs ? C'est peut-être par ma façon d'être, je n'en sais rien ; c'est ainsi, je suis comme cela et on ne m'a pas demandé d'être autrement, là est peut être le secret du simple bonheur de vivre.


Suite du récit le 6 mai 2016












vendredi 22 avril 2016

Deux vies parallèles : 7 Une rue

7 UNE RUE

En tournant l'angle de la rue pour prendre celle du Faubourg St-Honoré, je m'arrête pile en voyant arriver devant le no 8 deux grosses voitures noires, lugubres, un pressentiment, d'où descendent des soldats en uniforme de SS. Ils s’engouffrent dans l'immeuble et en ressortent rapidement, encadrant un homme et une femme tenant chacun une petite valise, suivis de deux enfants et d'une jeune fille que les soldats poussent dans les voitures. Celles-ci démarrent en trombe et disparaissent. Je reste figée sur place : j'ai reconnu mon amie et sa mère, une bonne cliente de la mienne, régulière, payant toujours immédiatement à la livraison.

Depuis quelques jours, mon amie est absente des cours de pharmacie que nous suivons ensemble. Hier, je l'ai aperçue et j'ai couru la rejoindre
mais elle a disparu, évaporée ; cependant, j'eus le temps d'apercevoir l'étoile jaune agrafée sur sa veste. Je sais que sa famille préparait son départ pour le midi de la France, mais je comprends maintenant que c'était déjà trop tard, hélas. Comment prévoir que de telles infamies puissent arriver ? Dans une Europe dite civilisée ? Il y a bien eu quelques avertissements, des ouï-dire, mais des témoins qui seraient arrivés chez nous pour raconter, je ne le pense pas. Alors que faire quand tout un pays comme la France se targue de gagner la guerre en moins de deux ans ?

J'ai les jambes qui flageolent, je m’appuie contre le mur d'une maison ; elles ne me portent plus, je m'assois sur le bord d'une fenêtre. Comme un automate, j'essuie les gouttes de pluie qui tombent sur mes mains, mais, il ne pleut pas ! Ce sont mes larmes, des torrents de larmes qui coulent ; je hoquette, je m'entends si fort que je réalise soudainement que cette rue, si vivante habituellement, s'est vidée de ses passants ; je la sens lourde d'un silence criant sa peine ; la peur rode, elle est devenue palpable tout autour de moi, en moi.

Le soir même j'entrai dans un réseau de la Résistance.


SUITE DU RECIT LE 29 AVRIL 2016

vendredi 15 avril 2016

Deux vies parallèles : 6 Mon frère

6 MON FRERE

La Pologne est envahie par l'Allemagne, la guerre est déclarée, des bruits de bottes se font entendre et tous les hommes de France sont appelés sous les drapeaux. Mon frère a 24 ans, il n'est pas beau, mais sympa ! Après un entraînement intensif, il est envoyé défendre la Ligne Maginot, près de Sedan. Presque élégant dans son nouvel uniforme de sergent, il part en affirmant : « ça ne sera pas long ». Ainsi s'expriment tous les Français et nous, qui restons à Paris, nous y croyons aussi. Nous attendons de ses nouvelles qui n'arrivent pas, l'attente se fait longue, de plus en plus longue, entrecoupée de soupirs, de réflexions : « ce sera pour demain ». Mais il ne revint pas, son corps ne fut jamais retrouvé. Maman espéra longtemps qu'il avait été fait prisonnier, envoyé dans un camp de travail. Elle nous disait : « s'il était mort, je le saurais, n'est-ce pas ? » Souvent, en rentrant de mes cours, je lui voyais les yeux rouges, cernés, un pauvre sourire au coin des lèvres, cela me faisait-il de la peine ? Certainement, mais mes sentiments n'apparaissaient pas, ils restaient bloqués au fond de moi, c'est ainsi, je suis une jeune fille effacée.

En 47, nous avons envoyé une demande auprès de la Croix Rouge pour qu'elle entreprenne des recherches. Encore un temps d'attente, interminable, mais elle ne trouva rien, son nom ne figure sur aucune de ses listes de survivants, de prisonniers, de morts. Elle enquêta en Allemagne et n'obtint aucun renseignements. Il y eut une cérémonie pour les disparus anonymes ; maman, papa et moi nous y sommes allés, mais tous ces tristes visages, ces points d'interrogations sans réponses, comme les nôtres, ne nous aidèrent nullement à faire notre deuil. Seul le temps effacera, plus ou moins, la douleur de maman.

Papa fut réformé après avoir reçu une balle dans l'articulation du coude qui l'empêchait de manipuler une arme. Il reprit son travail aux Halles qui avaient besoin de tous les bras disponibles, même handicapés. Il s'adonna au marché noir, bien placé pour cela et grâce à quoi nous ne manquâmes de rien, ou si peu. Sans vouloir le reconnaître, son fils lui manquait. Maman avait fermé son atelier rue Berger et s'occupait de retouches dans notre salon où elle avait installé sa machine à coudre. De plus en plus rarement, elle confectionnait des ensembles : elle devait se contenter d'allonger une jupe, une robe, élargir un pantalon ; elle récupérait tous les tissus encore « bons », retournait les vestes, découpait de petits vêtements dans les grands, supprimant les parties trop usées. Ainsi passèrent ces six années de guerre, ou presque...

suite du récit le 22 avril 2016

mardi 12 avril 2016

Deux vies parallèles : 5 Mode

5 MODE

Maman est couturière, son atelier se trouve à la rue Berger, à deux pas de la nôtre, celle des Prouvaires. Dans la vitrine trône un mannequin revêtu d'un ensemble dont elle est si fière : la blouse a de larges manches vaporeuses, la jupe aux hanches ajustées, les mettant en valeur, et la taille allongée bien au dessous des genoux, l’ampleur dans le bas, froufroutant, donne cette démarche si féminine aux dames de cette époque, un bibi incliné sur le sommet de la tête, boa de fourrure, de la fausse mais bien imitée, entourant le cou, le tout façon Coco Chanel. Maman a bien des clientes de moyenne fortune, qui ne peuvent s'offrir une robe griffée, mais qui cherchent des doigts de fée leur permettant tout de même de suivre la mode, c'est maman. Suis-je fière d'elle ? Aujourd'hui peut-être, par le souvenir ; à ce moment-là, je n'en suis pas sure, d’ailleurs voilà quelque chose qui ne m'intéresse nullement, je passe à côté sans voir, sans m'arrêter, presque indifférente.

Quand maman est lancée sur le sujet d'Elsa Schiaparelli, elle dit en rêver, de coudre pendant son sommeil, de se réveiller au petit matin avec des idées pour dessiner des patrons, tailler des étoffes, imiter ces grands noms. Elle est incollable sur l'histoire et la petite histoire de leur vie, nous ne pouvons pas l'arrêter quand elle est partie sur ce thème, elle lit tout ce qui paraît sur elles, sur eux, mais surtout sur elles.

La qualité de son travail vient également de celle des tissus qu'elle choisit souvent aux Filatures Prouvost : satin, gabardine, soie Romain, tweed, velours à grosses et fines côtes. La concurrence est devenue âpre depuis l'ouverture des boutiques de prêt-à-porter et des grands magasins tels que les Galeries Lafayette. Néanmoins, elle encourage ses clientes à acheter là leurs accessoires, ceux-ci, mariés à un de ses ensembles, peuvent passer pour des accessoires « classes », plus encore si la coiffure va avec !

Attenante à l'atelier, il y a une minuscule pièce, 2m/2m, que ma Grand-mère, Auvergnate, appelle "le cagnard », et qui comprend deux chaises paillées, une table en vieux bois ; dessus : un livre de compte (entrées, sorties, solde), un socle en laiton assez lourd, en son milieu un long clou sur lequel sont enfilées les factures, plus un carnet de reçus, pas toujours utilisé d'entente avec la cliente... Le métier de couturière est difficile et n'enrichit pas, alors il faut bien vivre, n'est-ce pas ? Sur la porte il est écrit  "Bureau » en lettres majuscules bleues sur fond blanc. Aux murs rien, car c'est aussi là que maman se réfugie pour reposer ses yeux ; dans un coin, à cet effet, elle y a ajouté un petit fauteuil au tissu fané.

En automne, elle engage une cousette, oh seulement pour cette saison, qui faufile, coud parfois certains vêtements si elle en est jugée capable. Maman raffole de cette saison animée, suractive, créatrice ; elle adore parler de points divers :

point de piqûre
point arrière
devant
horizontal
point de chausson
de feston
touret
barbette

mais aussi de coupes, modèles et défilés avec cette jeunette qu'elle instruit en même temps, et ne s'en prive pas.


suite du récit le 15 avril 2016