vendredi 24 juin 2016

Deux vies parallèles : 16 Elle et Lui

Dès vendredi 23 septembre 2016

chers lecteurs, chère lectrices,
Vous allez trouver
chaque semaine une nouvelle histoire de 1-2 pages
qui, j'espère, vous feront rire, ou réfléchir un peu. 
Dans tous les cas je vous souhaite de bonnes
lectures




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vendredi 9 septembre 2016

Les jours sont plus courts, le soleil est encore chaud,
 les couleurs plus douces et l'air est devenu léger, 
il est temps de revenir sur mon blog.
En cliquant sur ma rubrique ARVA,
vous pourrez lire un interview de moi 
préparé par MaryLis Schindelholz.

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16    ELLE ET LUI


Un rayon de bonheur m'habite depuis que je vis dans le 7e arrondissement : bouquiner ! Je me nourris de noms d'écrivains, de titres : romans, poèmes, histoire ancienne et moderne, littérature, parfois des policiers pour l'intrigue, peu de géographie, je ne suis pas branchée sur les voyages, mais sur des atlas pour suivre les événements du monde. Je m'instruis, me remplis l'esprit, à mon insu, retiens quelques phrases originales, je ne les note pas, de descriptions inattendues qui me surprennent, étonnée par tant de talents.

En mourant, mon oncle m'a légué sa librairie. Ainsi, lentement, assidûment, je me fais connaître pour mon érudition, ma recherche de l'édition rare, mes conseils judicieux d'une traduction : celle de Bonnard pour les tragédies greques par exemple. Je suis devenu un libraire connu, respecté pour ma vaste connaissance du livre, des auteurs, des éditeurs. Je sais dénicher, souvent chez des particuliers où je suis appelé à faire une estimation ou racheter un lot, le livre souhaité par mon client, souvent devenu un ami.

Aujourd'hui, en quittant l’officine, je me dis :  « c'est décidé, le prochain après-midi de congé, j'irai à la librairie Voltaire dont on me dit tellement de bien pour demander ce volume épuisé que je cherche depuis plusieurs semaines et qui va égayer mon existence ».

Ma passion est la lecture ; ma passion est le livre. Ainsi je l'ai aperçu le long des quais sans rien en retenir ; je l'ai côtoyée sans vraiment la voir. Il me semble qu'il est un peu vouté ; elle est souvent habillée de noir. Il est toujours très absorbé par son travail; elle est toujours seule. Je ne lui ai jamais dit bonjour ; je ne m'arrête pas pour la saluer. Ma vie actuelle me suffit, je ne cherche rien d'autre ; Sarah est mon souvenir et cela remplit mon coeur. Je suis entrée dans sa librairie ; elle m'a demandé de lui trouver un titre. Un court instant de partage et c'est tout. Ils ignorèrent pour toujours qu'ils étaient nés le même jour, de la même année, à la même heure.

Deux parallèles ne se rejoignent jamais.

FIN

C'est l'Euro Foot. Regardez-vous les matchs ? Moi oui ! Alors une prochaine histoire c'est
pour plus tard… En attendant cliquez sur Expos… ou allez voir mes aquarelles sur
www.arva.ch
Je vous souhaite un bon été.




vendredi 17 juin 2016

Deux vies parallèles : 15 Déménagement

15 DEMENAGEMENT

Je vois maman décliner, doucement, comme une merveilleuse fleur qui perd son éclat, laisse pendre ses feuilles de lassitude, celles-ci commencent à jaunir, ses pétales se fripent, elle baisse la tête. J'ai un regret : ne pas avoir été à même de l'aider mieux, étant totalement ignare dans la question des soins à apporter à une personne d'un âge certain. Je pars aussi beaucoup plus tôt, rentre plus tard, ayant une heure et demie à parcourir en métro à chaque fois. En effet, le laboratoire pour lequel je travaille a délocalisé en périphérie, davantage de place, un loyer moindre, des places de parking à disposition, un air meilleur, ce qui reste à prouver.

Que d'heures j'ai passées entre quatre murs gris, mal éclairés par deux petites fenêtres sans soleil. Où sont les belles promesses de locaux spacieux ? Je pèse, compte, mélange, transvase des produits dont j'ignore l'utilité présente et future. Je répète les gestes comme si je travaillais à une chaîne de montage en usine, gestes tout de même moins abrutissants, dans un calme relatif. Je ne me suis pas faite d'amies, encore moins d'amis, je ne peux guère participer à des rencontres, il faut que je rentre pour maman. Cela ne me gene pas vraiment, le contact personnel avec les autres m'importe peu, du copinage, je m'en passe aisément.

Depuis que je suis restée seule, disposant d'heures peu utiles, je fais des offres et à l'un des employeurs qui me dit : « Vous devez apprendre à vous vendre », j'ai répondu « Je ne suis pas une marchandise, je ne suis pas à vendre ». Il n'est pas nécessaire d'ajouter que l'on me montra la porte ! Je ne comprends pas les employés qui ne se révoltent pas contre cet abaissement, pour ne pas parler de régression, l'esclavage n'est-il pas d'une époque révolue ? J'ai fini par trouver un poste à responsabilités dans une officine homéopathique et, prenant mon courage à pleine main, j'ai quitté la rue des Prouvères pour aménager dans le 7è arrondissement où elle se trouve.

J'aime cet office, vieillot, aux étagères en bois de pin, odeur vivifiante, fermant avec des rideaux de bois qui s'enroulent, se déroulent, s'ouvrent avec une clé. C'est l'une de mes tâches, le soir avant de quitter les lieux et le matin en arrivant ; je porte les clés sur moi, je pourrais presque dire jour et nuit ! Même si tout paraît d'un autre temps, il n'y a pas trace de poussière, c'est moi qui suis chargée de l'éliminer ! Je suis occupée à la fois de la vente devant et des préparations derrière. De simples mélanges, les remèdes importants venant des Laboratoires Boiron à Berne et du Laboratoire Schmidt-Nagel à Meyrin. J'ai étudié la vie de Samuel Hahnemann, fondateur de la médecine homéopathique à la fin du 18e siècle, j'ai retenu les trois principes  qu'il a développés :

la similitude, l'individualisation, l'infinitésimal.

Me promenant dans mon nouveau quartier, j'ai découvert les étalages de livres d'occasion le long de la Seine. Je vais d'une caisse à l'autre, de bouquiniste en bouquiniste, cherche, sort, regarde, feuillette, repose, ouvre avec respect même le plus simple, le plus moche, le plus abîmé ; j'apprends, je compare, j'échange parfois, j'achète souvent.


suite du récit le 24 juin 2016

vendredi 10 juin 2016

Deux vies parallèles : 14 Après--guerre

14 APRES-GUERRE

Arrivé à la retraite, papa se trouve sans but, sans intérêt particulier qui peut le motiver, il n'a jamais eu de hobby, de curiosité pour autre chose que son travail. Alors il se traîne dans les rues, hante les bistrots, oublie l'heure des repas ; malheureuses, maman et moi lui avons suggéré : bricolages, lectures, aide à notre voisin qui a tant de peine à se déplacer, prendre des cours, acquérir quelques notions de menuiserie afin de pouvoir faire et poser des étagères chez nous. Il a vaguement essayé, pas pu ! Les Halles bruyantes, affairées, si vivantes, lui manquent et peut-être aussi la présence de son fils dont il ne parle jamais. Ce silence étouffe maman qui, ainsi, n'arrive pas à exprimer son propre chagrin que je vois si souvent dans son regard.

Cinq années ainsi, d'espoir en échec, et voilà que papa meurt soudainement d'un infarctus, les secouristes, arrivés pourtant très rapidement, ne réussirent pas à le réanimer. Maman et moi restons seules, elle de plus en plus fragile et moi simple aide de laboratoire, c'est-à-dire laver les éprouvettes et porter les cafés ! Nos revenus parviennent tout juste à nouer les deux extrémités de nos bourses mises en commun. Il faut dire qu'ayant manqué bien des cours pendant la guerre, j'ai raté mes examens de pharmacie, au grand regret de maman qui souhaitait si fort que je reprenne la pharmacie de son frère.

Pour ma part, je suis sans ambition, notre vie, petite peut-être pour vous, me convient. J'apprécie les heures fixes, le train-train régulier de mes journées qui succèdent à ces années vécues dans le danger de la Résistance ; je ne suis pas une héroïne, les médailles sont pour les autres, j'ai été une modeste femme de l'ombre. Ma joie est venue de cette école de littérature française, peu fréquentée et pour cause, j'y ai tout de même découvert des écrivains que je lis maintenant, devrais-je dire que je dévore ? Je fréquente avec délectation les Bibliothèques de quartiers, j'y reste des heures, oubliant le temps qui passe, sans moi me semble-t-il. Je parcours tant de couloirs, d'escaliers, de salles plus ou moins bien éclairées ; je vais d'un rayon à celui d'au-dessus, d'au-dessous, d'une étagère à celle d'en face ; je m'informe, cherche, dépose, emporte le livre de ma convoitise que je rapporte un autre jour, une autre semaine.


suite du récit le 17 juin 2016

vendredi 3 juin 2016

Deux vies parallèles : 13 Sans aurevoir

13 SANS AUREVOIR

Cette lettre, je l'ai gardée longtemps, un temps si long, abyssale, dans la poche intérieure de mon veston. J'en connais chaque mot, chaque phrase, points et virgules.

La Croix Rouge m'écrivait : « Suite à votre demande... recherches... Marseille... confirme départ... cargo El Paso... faisait partie d'un convoi... Canada... étendu nos investigations... un U-boat... cargo coulé... avons le regret... aucun survivant... »

Je ressassais ces lignes, les tournais en tout sens au plus profond de mon cerveau, de mon coeur pétrifié. J'étais anéanti, je ne mangeais plus, errais dans les rues de Paris, sans but, ne sachant même pas où je me dirigeais ; mon sang avait quitté mon corps qui semblait ne plus m'obéir. Ainsi, sans aucun au-revoir, sans un à Dieu, nous fument séparés à tout jamais. Je ne possède de Sarah aucun souvenir matériel, aucun objet ni vêtement, rien de notre vie à deux, le vide, mais nous avions tout l'avenir devant nous...

Cette lettre a beaucoup pesé sur ma décision de devenir libraire-bouquiniste en suivant les enseignements de mon oncle.

Maintenant je me sens heureux dans ce monde un peu poussiéreux, à la fois ancien et moderne, au milieu des éditions de luxe, numérotées, dédicacées par et pour des inconnus, cela peut faire perdre une partie de la valeur marchande du livre, ou par et pour d'illustres personnages et en augmenter le prix. Ils sont imprimés sur papier vélin, papier Japon, papier à la cuve, Arches, Sennelier, ou de simples recueils de poésies peut-être jamais lus et que je garde, on ne sait jamais ! Ah ces odeurs douceâtres de papiers, de colle, de cire appelant les abeilles, même de ficelles, de cotons imbibés d'encre de chine que mon oncle passe sur les dos et les couvertures pour raviver la couleur des cuirs fauves, verts, bruns, rougeâtres, parfois noires.

Mon appartement, au Quai Voltaire, juste au-dessus de la librairie, est devenu un vrai chantier : des piles de bouquins s'entassent sur et sous toutes les chaises, elles partent du sol, s'appuient contre les murs, incertaines, prêtes à s'écrouler, le canapé en est couvert ; quant à la table, n'en parlons pas, il n'y a plus une place où écrire ! Il y a la pile des livres à lire, les inintéressants, uniques ou inclassables, la pile de ceux qu'il faudrait porter dans les caisses sur les quais pour être vendus, « les » en mauvais états, « des » dont on ne sait que faire. Les lus, chéris, aimés, cajolés ou rejetés, en points d'interrogations. Il y en a environ trois cents qui sont alignés dans ma bibliothèque, comme des soldats au garde-à-vous ; grands formats, petits exemplaires, épais, minces, cartonnés, reliés plein cuir ou brochés, tout est pêle-mêle, il n'y a que moi qui peut y retrouver le titre cherché.

Je le dis volontiers en riant : mes livres sont en désordre chez moi, mais dans la librairie, ah non ! Tout est rangé, classé par ordre alphabétique, par genre, chacun de son côté : poésie, romans, grecs anciens et latins, égyptologie bien sur, même policiers, il faut de tout pour faire un monde. Ainsi les bibliophiles s'y retrouvent et se rendent directement au rayon de leur choix où ils vont peut-être découvrir l'objet de leur désir.

J'aime l’ambiance des quais, les Parisiens adorent fouiner dans tous ces étalages, parmi tout ce choix d'occasions, toucher, regarder. Je remarque de suite le vrai amateur à sa façon précautionneuse d'ouvrir un livre sans en blesser le dos, le caresser avec une délectation gourmande, le reposer délicatement avec un soupir. Ce livre est-il trop cher, me demandai-je alors ?

Une page de ma vie est tournée, comme les milliers de pages que je vais tourner de tous les livres qui vont circuler entre mes mains, telle que celle qui vient d'être écrite.

Suite de ce récit le vendredi 10 juin 2016