vendredi 30 janvier 2015

Domaine Le Patriarche 8 Inondation


Il écouta, la mine de plus en plus grave et dit qu'il allait le rejoindre au bas de son terrain. Il croisa le regard interrogatif de son fils.

  • C'est Maximilien. Il y a un lac au bas de son champ et des éboulements de terre sur la route, je pars le rejoindre.
  • Je prends 2-3 hommes, des pelles et j'arrive fit Greorg.

Cela faisait 10 jours qu'il pleuvait, une pluie diluvienne et des rafales de vent à ne pas sortir les bêtes. Père et fils pensaient de même : cette eau, cette boue, s'écoulant des champs situés plus haut, devaient provenir en grande partie de chez Marci...

Soixante centimètres d'eau, elle allait passer par-dessus leurs bottes. Fallait-il ouvrir une tranchée pour qu'elle s'écoule jusqu'à la rivière ? Contamination ? D'un commun accord, ils y renoncèrent et remontèrent la route pour atteindre un endroit éboulé et commencèrent à peller, rejetant la terre dans le champ au-dessus. Greorg, qui était monté sur le talus, vit quelque chose qui le surprit, le choqua même, en tout cas l'interrogea. Il allait s'approcher quand la voix agressive de Marci le figea sur place.

  • Mais qu'est-ce que vous foutez, vous n'avez pas le droit de tout rejeter dans mon champ ! Je vous ferai un procès, vous traînerai en justice !
  • Nous ne faisons que te rendre ce qui t’appartient, lui fit remarquer Julien.

Julien et Greorg firent un détour par l'étang qui avait débordé et constatèrent que la maison des canards avait été emportée dans le canal. Ils trouvèrent le couple de colvert caché sous les noisetiers, transi, boueux, penaud, avec des allures de clodos, mais bien vivants.

  • Viens, papa, allons sur la bute, j'ai quelque chose à te montrer. Regarde le champ de maïs, que remarques-tu ?
  • Des maïs couchés.
  • Regarde bien la forme des tiges.
  • Elles sont pliées, non, à angle droit, elles sont cassées.
  • Oui, au lieu d'être souples et de se coucher sous le vent, elles se sont rompues.

Ils se regardèrent atterrés, anxieux. Ils n'avaient jamais vu une chose pareille. La récolte serait-elle perdue ? Un réel souci pour son ancien ami Marci, pour eux aussi, et si cela arrivait chez eux ? Heureusement ils avaient planté des arbres fruitiers à la place des maïs, espérant qu'ils seraient assez forts pour ne pas subir la loi imposée par des gènes modifiés.

Domaine Le Patriarche 7 Demeter


Quelques jours après le retour de Niangha, Greorg avait déployé, devant leurs yeux stupéfaits, un dessin stylisé de sa petite soeur Olingha : une femme en robe longue, à la grec, devant un champ labouré et avec ces mots : ô bio.
  • Demeter, murmura son père, déesse de la moisson, seulement nous ne faisons pas de blé.
  • J'y ai réfléchi en sachant que vous alliez faire cette remarque et j'ai demandé à Olingha d'y ajouter un dessin de légumes. Et voici ce que cela donne et il déplia un second dessin, jouissant en son fort intérieur de l'effet produit sur l'assemblée.
  • Magnifique, s'écria Niangha, des poireaux ! Cela me rappellera mes premiers pas sur notre domaine.
  • J'ai pensé que nous pourrions le prendre comme logo, le peindre sur les portières de nos camions de livraison. Si vous êtes d'accord, j'irai le faire agrandir et préparer un chablon avec Olingha.
  • Nous pourrions aussi l'utiliser comme entête de nos lettres, factures, etc, ajouta Julien. Puisque tout le monde est d'accord, je prendrai un « brevet » pour l'officialiser.

Sourires à la ronde ; tout le monde avait compris que « le patriarche », ainsi appelaient-ils Julien, faisait de l'humour en utilisant ce mot en pensant aux centaines de brevets pris, à tort, sur le vivant. Un brevet n'est-il pas fait pour protéger une invention et non ce qui existe ? La loi sur les brevets stipulait clairement que ceux-ci concernaient exclusivement les machines et les procédés industriels, mais en aucun cas les organismes vivants, et donc les plantes. Où, quand et par qui cette loi a-t-elle été biaisée se demandait-il. Concernant leur projet, il parlait « d'homologation » bien sûr, mais il restait songeur.

Niangha était rose de bonheur à l'idée qu'un de ses enfants allait participer au développement de leur entreprise et cela à pas 12 ans. Elle regarda Julien avec un amour profond et admiratif et pensa que pas un jour elle n'avait regretté d'avoir suivi cet homme et partagé sa destinée. Après le retour de Greorg et sachant que sa mère vivait en Moldavie, il y avait bien eu quelques échanges assez secs entre eux la fois où il avait été question à nouveau de mariage, mais Julien était resté ferme sur sa décision. Niangha avait fini par comprendre qu'il y avait des choses fondamentales chez un être qui ne pouvaient être changées et qu'elle devait l'accepter. Il faut dire à son actif que Julien avait reconnu officiellement leurs trois enfants, c'était l'essentiel.

Julien allait reprendre la parole lorsqu'il en fut détourné par le grésillement de son portable.

vendredi 23 janvier 2015

Domaine Le Patriarche 6 De la moutarde


Encore bien des mois plus tard, la nuit, Julien surprenait sa femme secouée de pleurs et de soubresauts. Il la prenait tendrement tout contre lui ; elle nichait sa tête dans le creux de son épaule et finissait par s'endormir. L'hiver arrivant et les travaux des champs terminés, elle partit pour le Nepal, vers sa source, se plonger dans ses racines, voir sa famille, sa mère qui saurait la réconforter.
Niangha revint avec quelques kilos en plus et sa petite soeur qui se mit de suite au service de Madeleine vieillissante, et se révéla fort bonne cuisinière, avec parfois un peu trop d'épices ! Elle apprit à se modérer ; cependant un gros pot de moutarde trôna au milieu de la table à tous les repas, même au petit déjeuner ! Niangha raconta la visite qu'elle fit près de Katmandou où son autre soeur, elle en a trois et quatre frères, lui montra l'usine où elle travaillait : une belle bâtisse moderne, sans fioritures mais aux larges fenêtres, de magnifiques tapis noués à la main par une foule d'ouvrières gaies, habillées de frais tabliers comme elle. A côté, une école toute neuve où allaient leurs enfants. C'était la réalisation d'une Népalaise, Sulo Shrestha Shah** qui, après avoir étudié en Allemagne, fonda la « Formation Carpets » et fit construire une usine de tissage pour combattre, comme elle le disait elle-même, la pauvreté, l'illettrisme et la lourdeur administrative.

champs de moutarde, Nepal

Heureuse, Niangha rentrait pleine de beaux souvenirs de l'un de ses frères qui vivait près de Baglund, au centre du Nepal. Là vivait une jeune fille qu'il épousa. II avait appris de son beau père l'art de cultiver la moutarde et collaborait maintenant avec lui. Ils occupaient, avec leurs quatre jeunes enfants, une maison bâtie en pierres et en bois, sur deux étages, le deuxième reposant en retrait sur le toit du premier, donnant à l'ensemble un léger air de pagode, sans les ailes aux quatre coins. Quand Niangha y arriva, après un voyage de deux jours inconfortables : un vieux train traînard et bondé, des chemins peu carrossables dans une camionnette grinçante, aux amortisseurs aux oubliettes et qui longeaient des chantiers ouverts, gargantuesques, pour la construction de routes, elle fut royalement reçue par sa belle-soeur et entourée joyeusement par ses neveux et nièces. C'était la saison où les plans de moutarde blanche étaient en fleurs. Les cultures s'allongeaient en vagues jaune citron au milieu de champs « vert de vessie » , entourées de hautes montagnes abruptes, rousses, brunes, blanches au sommet : l'Anapurna ; poètes à vos plumes, artistes à vos pinceaux, que c'était beau !

Le Nepal est un monde minéral ; Niangha avait le coeur qui dansait de joie en promenant son regard sur les montagnes escarpées, les hautes cimes enneigées, rochers à pics, stupas naturels montrant le ciel du doigt et dominant de profondes vallées étroites, mystérieuses, sauvages,
son pays. Elle en fit provision pour son retour en Normalie.

** authentique, lire « 80 hommes pour changer le monde » de Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux




jeudi 22 janvier 2015

Domaine Le Patriarche : 5 Une petite vie s'en va

Accaparé par le retour de son fils, Julien n'avait pas remarqué que sa femme donnait des signes de fatigue, très peu dans sa nature, et qu'elle se pliait parfois en deux, suite à des douleurs dans le bas ventre qu'elle tentait de lui cacher. Ce fut Madeleine qui le prit en aparté pour lui en parler. Cette quatrième grossesse ne semblait pas se dérouler avec la facilité des trois précédentes. Puis un jour Julien surprit Niangha alors qu'elle se tenait le ventre en frissonnant par une belle matinée d'été.

Celle-ci dut bien le reconnaître, quelque chose ne se passait pas normalement. Puis un matin : perte de sang, contractions, fièvre et départ en urgence à l’hôpital, en ambulance. A l'arrivée, Niangha avait perdu connaissance et le gynécologue appela Julien qui, heureusement, avait suivi sa femme.

  • Voila, dit le médecin, à 7 mois, le bébé peut être viable, mais l'état de votre épouse est grave, une infection de l'utérus qui est déjà entrain d'atteindre d'autres organes. Malgré toute mon expérience en la matière, je dois vous dire que je ne peux pas sauver les deux : l'enfant et la mère. Celle-ci étant dans l'incapacité de choisir, c'est à vous que revient la responsabilité de la décision, et il faut faire vite.
Julien avait déjà choisi : sauver la mère de ses trois enfants. Il expliqua au médecin, qui marquait un certain étonnement face à l'âge de Julien, que ceux-ci avaient tous moins de 10 ans et un grand besoin de leur mère. Quant à ses propres sentiments, il les garda pour lui : son amour profond, indéfectible pour Niangha, la joie de l'avoir près de lui, ce partage de toute la vie du domaine, il ne voulait pas perdre ce trésor.

Plus tard, de retour chez eux et après avoir appris qu'elle ne pourrait plus avoir d'enfants, elle en voulu à Julien de l'avoir choisie elle plutôt que leur petit. Jamais Julien, d'entente avec le gynécologue, ne lui confia que leur fils avait une malformation du côté gauche, la jambe plus courte et le bras recroquevillé. Le chirurgien présent avait fait la remarque : « Dans de tels cas, on ne pouvait assurer que le cerveau ne soit en partie endommagé ». Julien avait assisté, dans la famille de Maximilien, son ami, aux complications terribles qui suivirent une telle naissance, le sentiment de culpabilité et de honte que vécut la mère, il pensait donc qu'il était sage de se taire. N'y a-t-il pas des secrets à garder toute sa vie ? La transparence totale n'existe pas ; d'ailleurs il avait constaté que plus les gens en parlaient et s'en gargarisaient, plus ils lui paraissaient opaques ! En exigeant toute la transparence, n'allait-on pas provoquer la rechercher de moyens pour la contourner ?


Domaine Le Patriarche 4 Les Maïs


4 LES MAÏS

Ce soir là, ils étaient réunis tous les trois : Niangha raconta les événements qui avaient conduit à la destruction de toute la récolte de maïs deux ans au paravant. En effet elle y avait aperçu des feuilles brunissantes et enroulées sur elles-mêmes, des épis aux grains restés trop petits, pas d'insectes ravageurs, pas d'indice. Le phénomène se répandant, une équipe de ses ouvrières les surveillèrent et une nuit elles attrapèrent un gars avec une boille dans le dos qui aspergeait les pieds des maïs. Un pauvre bougre d'une quarantaine d'année qui bafouilla tant et plus lors de son interrogatoire, avouant puis se rétractant tour à tour, rien à en tirer. L'analyse du produit utilisé se révéla bien inoffensif : du sucre, de la glycérine et de l'eau. Nangha avait retiré sa plainte. Il vivait chez sa mère qu'il terrorisait selon certains. Un matin, on le retrouva mort, étendu sous son tracteur qui s'était retourné sur lui.

  • Que devient la mère ? Il faudrait voir si elle a besoin d'aide.
  • Marie, notre fromagère, la connait et lui porte beurre et fromages de notre production.
  • Voilà bien ma chère Niangha toujours généreuse en pensant aux autres dans le besoin.
  • Et la destruction de la récolte dans tout cela ?
  • Les analyses, dit Julien, n'ayant rien révélé de particulier, nous avons décidé de tout arracher, y compris les plantes en bonne santé, tu comprends, Greorg, nous devons veiller à la qualité de nos produits Bio et pouvoir la garantir.
  • Nous avons laissé séché tout cela sur le champ puis nous les avons porté à incinérer, ajouta Niangha. C'était tellement triste à voir. Tu sais que nous n'avons plus le droit de faire du feu sur nos terres à cause du réchauffement climatique, les lois sont durs pour les paysans de ce pays. Ne serait-il pas mieux d'interdire les guerres, les armes, les bombes sous lesquelles brûlent des centaines de villes et villages ? Et pourquoi fabriquer des armes si c'est pour les vendre à la fois aux deux camps ennemis ?
  • J'ai terminé de labourer ce champ, interrompit Greorg. Avec cette machine qui retourne les blocs de terre en profondeur, j'ai mis à nu bien des racines. Le froid qui vient avec le gel va les tuer. J'ai appris ce mode de faire à l'Ecole d'agriculture de Varsovie. Peut-être que dans 2 ou 3 ans tu pourras à nouveau ensemencer ce champ, Niangha. D'autre part je propose que nous mettions des canards sur notre étang.
  • Tu ne vas pas te lancer dans cet élevage ?
  • Non, je parle de canards sauvages, des colverts qui se nourrissent en surface de larves et d'insectes. Quand ils verront la beauté de notre étang, ils vont bien arriver par les airs, sinon nous leurs donnerons un petit coup de main... La présence d'animaux sauvages est un bon test anti-pollution, comme celle des poissons dans les rivières. De plus le mur de pierres construit le long de la rigole au sud de nos champs est terminé, 4 m sous terre et 1 m au-dessus, pour empêcher les racines de nos arbres d'aller s'étendre jusque chez Marci.
  • Et vice versa fit remarquer Niangha.
  • Oui mais chut ! De cela nous n'en parlons pas ! L'énorme tas de pierres amassé au cours des générations, ajouta Julien, aura été vraiment très utile pour monter ce mur. J'entends encore mon grand-père, vous ne l'avez pas connu, qui gardait tout en disant : « Ca peut toujours servir ». Mon père fit de même, je continue aussi, par habitude, ainsi, nous, paysans, continuons à passer pour de vieilles « râpes ». Tous trois éclatèrent de rire !

vendredi 16 janvier 2015

Domaine Le Patriarche : 3 Le retour



  • Madeleine, tu as les yeux tout rouges et tu pleures ! Je ne t'ai jamais vu pleurer en cinquante ans.
  • Julien, il y a quelqu'un qui t'attend au salon.
    Cette silhouette devant la fenêtre, large d'épaules, les cheveux dorés dans la lumière et ces bras toujours ballants au bout de ces mains trop larges...
  • Je suis de retour... papa !
    Le coeur de Julien tambourinait, son émotion était si forte que sa voix s'étrangla dans sa gorge.

  • Oh Greorg, je savais que tu rev... Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre.
  • J'ai beaucoup marché, passé un grand nombre d'heures dans des roulottes tirées par de vieux chevaux. J'arrive des Carpates, nous campions près de Beltsy en Moldavie. Tu sais que maman a du sang gitan dans les veines, n'est-ce pas ? Maintenant, il faut absolument que je dorme au mois une heure ou deux.

Se souvenant qu'il avait sa chambre au deuxième, Greorg allait monter l'escalier mais s'arrêta net en ayant perçu une hésitation de la part de Madeleine.

  • Mais oui, monte mon petit, ta chambre est toujours là. Elle allait ajouter qu'elle l'avait aérée ce matin, mais pas pour lui, alors elle se tut brusquement. Elle repensa à toutes ces années d'absence, pendant lesquelles Julien avait toujours insisté pour que cette pièce resta telle que son fils l'avait laissée. Mais de guerre lasse, elle avait fini par céder à Niangha et l'avait préparée pour son frère cadet qui allait arriver du Népal, oh avec inquiétude quant à la réaction de Julien. Quel soulagement pour elle, il n'en saura rien.
    Son silence, Greorg l'attribua aux changements intervenus dans la maison pendant qu'il parcourait les routes, encore enfant, avec ses « frères ». Il avait bien remarqué la présence d'une statuette de Bouddha dans la niche à côté de la cheminée. « Il y en aura beaucoup d'autres » se dit-il. Il savait qu'un autre monde aux coutumes, à la religion différentes, était entré chez lui. Il faudra qu'il s'y fasse et il n'avait pas encore rencontré Niangha, ses jeunes demi-soeurs et frère.
Pendant deux semaines on les vit, père et fils, arpenter, côte à côte, tout le domaine, prenant des notes, s'enfermant dans le bureau et discutant des heures durant. Ils s'arrêtèrent longuement dans le petit village que formaient des maison mitoyennes, étroites et sur deux étages, chacune avec un petit jardin.

  • Il me semblait que ce terrain nous appartenait, l'as-tu vendu, demanda Greorg à son père.
  • Il appartient à la Fondation Emilie.
  • Le prénom de ma grand-mère, s'exclama Greorg.
  • Oui, en mémoire de ma mère, douce comme son prénom ; cela convenait à mon père qui était très autoritaire !
  • Et alors ?
  • Viens, asseyons-nous sur ce banc, je pense que c'est bien le seul qui existe sur tout notre domaine ! Je vais te conter cette histoire.
Il y a bien des années, peut être à l'âge de Greorg aujourd'hui, Julien avait lu un livre sur la vie des membres de la famille Cadbury*. Ils étaient Anglais et chocolatiers de pères en fils. L'un d'eux avait eu l'idée et la générosité de faire construire des maisons, du genre de celles que Julien et Greorg avaient sous les yeux. Il en fit une Fondation à but non lucratif, et de ce fait exonérée d'impôt, et à laquelle la famille Cadbury fit don du terrain et des maisons qui y furent construites. Le but était de sortir le plus grand nombre de leurs employés des quartiers insalubres dans lesquels ils vivaient et cela pour un loyer modeste. Il faut ajouter que cette famille était quaker et, selon leurs principes, elle ne devait pas garder tous les bénéfices de leur entreprise pour elle-même, elle vivait donc relativement modestement par rapport à sa fortune, c'est à dire sans luxe.

Le succès fut énorme et les employés s'attachèrent à l'entreprise, d'autant plus qu'il fallait être ouvrier à l'usine Cadbury pour pouvoir en bénéficier. La famille Cadbury aménagea ensuite des jardins, y fit venir médecins, dentistes... Naturellement elle le pouvait avec les bénéfices engrangés, « ce qui n'est évidemment pas dans les possibilités du rendement de notre domaine » ajouta de Julien qui avait une famille de trois enfants de moins de 10 ans et un quatrième à venir. Cependant, la Fondation Emilie fonctionnait selon ces mêmes principes.

  • Seul, interrompit Greorg tu ne peux pas être partout, tout prévoir, tout faire, bien que Niangha te soit d'une aide efficace, mais maintenant je suis là, papa ! Et j'ai des amis parmi les Gitans et les Tziganes qui m'ont promis de nous aider. Leurs promesses ne sont jamais lettres mortes. Et sais-tu que les Tziganes sont très riches ? « L'or des Carpates murmura Julien ». Nous sommes forts tous ensembles, continua Greorg qui fit semblant de ne pas avoir entendu mais effleura de la main sa poche boursouflée, ce que son père ne manqua pas de remarquer en souriant et en hochant la tête d'un air entendu. Tu sais papa, Niangha est super ! Elle a planté les pommes de terre que j'ai fait venir de Pologne, grâce à ces amis-là, et elle m'a dit qu'elles avaient du succès sur les marchés avec leur jolies pelures roses.

* read « Chocolate Wars » written by Deborah Cadbury. You can find that book at The English Library in Vevey



Domaine Le Patriarche : 2 De l'écologie


C'est écolo et bien pensant de laisser une bande de terrain en friche autour des champs cultivés et, au sud des siens, Julien avait planté des arbustes : noisetiers, cornouillers, épineux, une haie vive et diversifiée ; puis devant une rangée d'érables à pousse rapide ; pour cet ensemble il avait reçu un subside de l'Arrondissement puisqu'il avait fait foi de remplacer les arbres abattus dans ses champs afin que les machines, de plus en plus grosses, puissent passer. Il avait laissé un espace de 10m avant la rigole qui le séparait de son voisin. Là, il avait creusé un trou de 3m de long sur 2 de large, à titre d'essai, pour voir. L'eau y stagnait... il faudrait la pomper... la filtrer aussi s'il voulait l'utiliser comme eau d'arrosage et faire valoir ses droits à une contribution de l'état. Trop d'investissements, sans rendement et le tout à la charge de son entreprise agricole. Une chose en entraînant une autre, il a créé un étang allongé devant les érables ; il faudrait analyser l'eau en prévision de... chut, silence, le but principal, il ne l'avait confié à personne... C'était en 2000 et quelques, des articles élogieux avaient paru sur lui dans les journaux et il avait été félicité par le Préfet.

Julien se dit à voix basse qu'il avait vu venir le vent (c'est le cas de le dire...) Ce groupe « Ecochamp », dont il était l'un des piliers, avait commencé à se disputer : les purs et durs, les plus souples contre les plus violents, puis le départ par la petite porte de Marci qui avait semé (c'est le cas de le dire aussi...) autre chose que le doute. Il parlait d'OGM, de PGM... Maintenant il y était acquis, pourrait-on dire, vendu, qui sait ? Il avait commencé une culture de maïs transgénique, malgré nos conseils contraires, et cela dans le champ qui bordait le sien, au sud, le long de la rigole. Et voilà, Julien, une fois de plus, avait vu venir les choses et, avec cette barrière d'arbres, il avait protégé le mieux possible ses récoltes contre le pollen, issu du génie génétique et transporté par le vent. « Hélas », se dit-il, « mes prévisions se sont avérées parfaitement justes ». La raison de son silence était de ne pas attirer l'attention trop tôt sur lui et pouvoir manoeuvrer librement. Il fit analyser l'eau de son étang pour voir si elle contenait du pollen de plantes OGM mais cela ne servit à rien car le pollen de ses propres champs y était mélangé, donc aucune preuve. Il renonça à cette idée mais garda l'étang.

Niangha, encouragée par Julien, avait suivi les cours du Lycée agricole de Vionay et prit la responsabilité des cultures maraîchères ainsi que leur vente sur les marchés environnants. Elle avait appris que semer directement dans les résidus de la récolte précédente, appelé « le semi direct », sans labourer au préalable, limitait l'érosion du sol et une certaine perte en carbone. C'était une ancienne façon de procéder qui avait été perdue au profit des grandes cultures. Ainsi fut fait, moins de travail et un petit bénéfice supplémentaire qui fut versé chaque année au compte de l'Association Semences-Tradition qui ouvrit des stands lors de fêtes villageoises en proposant livres, DVD, semences traditionnelles, aide et conseils aux paysans et aux cultivateurs amateurs de petits potagers. (Voir Kokopelli à Bretonnières, Vaud).

Domaine Le Patriarche : 1 Rencontre au Bout du monde


Son Opinel à la main, que faisait Julien assis devant ces caisses de fruits, de légumes ? Il prenait la température du marché, observait les habitudes des acheteurs, notait dans sa mémoire à quel stand il y avait le plus de monde et en cherchait les raisons ; plus tard cela lui servirait.

Sous son vieux chapeau de paille qu'il portait depuis des années, avec ses mains larges mais soignées, sa polaire bordée de violet de la même couleur que son pull, une coquetterie, Julien n'était certainement pas un ouvrier agricole, plus surement un propriétaire terrien.

Un bon sourire frisait ses lèvres. Il se voyait déjà bien loin de sa Normalie natale. A 50 ans, il avait décidé de voir le monde, comprendre comment d'autres peuples cultivaient leurs champs, encouragé par ses amis désireux de le voir secouer sa tristesse voilée. Attiré par les rizières en terrasses, deux récoltes abondantes par an, le voilà au Népal, dans une haute vallée, profonde, fraîche et dans ce gros village par journées de fêtes, danses, costumes traditionnels. Elle était là, si jeune, si belle avec sa longue chevelure noire et toute sa grâce, dans son gilet noir brodé de couleurs vives, laissant apparaître les manches rouges aux poignets entourés de noir de sa blouse ; on aurait dit qu'elle dansait pour lui, rien que pour lui. Ils se regardèrent, se sourirent, le contact était pris. Ils se revirent ; de loin, elle repiquant les pousses de riz dans une jupe bet un corsage bleu, un bandeau vert retenant ses cheveux ; de plus près, sur la terrasse de la petite auberge accrochée au pan de la montagne.

Puis une nuit, elle entra dans sa chambre. Il la serra dans ses bras, ils se caressèrent ... « Oh tu es vierge » lui murmura-t-il, il eut une hésitation, mais elle le serra plus fortement contre elle. Le langage du corps est le même sous toutes les latitudes.

Niangha quitta tout pour le suivre, enceinte, heureuse et confiante dans le beau visage doré par le soleil de Julien qui sentait si bon l'Eau de Cologne. De retour dans ce qui allait devenir son chez elle, à elle aussi, il lui fit visiter son domaine. Arrivés devant les champs de poireaux qui semblaient s'étendre à perte de vue, elle s'élança entre les lignes cultivées, les tirant prestement hors de terre. Ce faisant, elle avançait deux fois plus vite que les autres femmes qui s'y appliquaient et eut tôt fait de ranger les poireaux dans les caisses de bois, par simple imitation. Sans aucun doute ce travail lui rappelait les rizières de son pays lointain.

Julien pointa le doigt en direction de son ventre, Niangha se mit à rire, puis fut imitée par toutes les autre femmes présentes ; elles se comprenaient. Ainsi, déjà, elle était adoptée et même respectée, non seulement parce qu'elle était la femme du patron, mais aussi pour sa dextérité et un « on ne savait quoi » de fort, une autorité innée.

Julien était ravi en son fort intérieur car il était convaincu d'avoir enfin trouvé celle qu'il voulait pour devenir la responsable de ses cultures maraîchères, il y veillerait. Il avait toujours su mettre la bonne personne à sa juste place, l'un de ses secrets et certainement celui de sa réussite. Niangha avait accepté le fait de ne pas pouvoir l'épouser, il lui avait dit dès le début qu'il était déjà marié et que sa femme avait disparu. Elle avait alors remarqué un nuage gris passer sur son front. La regrettait-il ? Plus tard elle comprit qu' Esther était partie avec leur fils Greorg, alors âgé de 11 ans ; c'était lui qui manquait tant à Julien. Niangha sentit son coeur se serrer et fut plus heureuse encore de la venue tout soudain de leur premier enfant ; elle comptait bien en avoir encore beaucoup d'autres. L'avenir s'annonçait radieux.