vendredi 11 décembre 2015

Un euro million 12 Papy Aloïs


12 PAPY ALOÏS

« Viens plus près de moi, petite, que je te voie mieux » furent ses mots. Les retrouvailles se firent dans la joie et des larmes de bonheur.

  • Papy Aloïs, tu as l'air si bien !
  • 92 ans, sais-tu ? Quant à toi ma Laurette, tu es magnifique, comme ma Jeanette. Vous êtes aussi élégantes l'une que l'autre et de la personnalité aussi, que de chemins parcourus.
  • 3 ans de folie pendant lesquelles j'ai appris à m'habiller « top model », à marcher avec élégance et plus encore à m'affirmer ajoute Laure. De retour chez moi, délestée de quelques dizaines de milliers d'euros, je me suis sentie à l'étroit, le village me faisait la tête, mon fils et ma fille me regardait avec méfiance, il était temps de vivre autrement, ailleurs.
  • Oui, grâce à une clé fait Jehane en riant. Papa, je vais t'apprendre une grande nouvelle : Laure m'a proposé de m'occuper avec elle de son magasin, un magasin d'antiquités. J'en tiendrai la comptabilité, c'est mon domaine, et nous partagerons la garde de celui-ci 4 jours par semaine, du mercredi au samedi.
  • Bien, bien ! La maison que tu as achetée à la Grd'Rue, a-t-elle une tourelle dans le toit ?
  • Oui, pourquoi ?
  • C'était la demeure de Louis-Louise, de grands amis de mon père. A l'intérieur, les murs sont-ils toujours garnis de bois ?
  • Oui, cette maison est inscrite au Patrimoine historique, donc nous ne pouvons modifier ni l'extérieur, ni l'intérieur, c'est la raison pour laquelle les propriétaires avaient tant de peine à la vendre. De toute façon, je n'y aurais pas touché.
  • Louis avait fait cela pour sa Louise, atteinte d'une maladie orpheline et qui avait de ce fait toujours froid, le bois tient chaud.
  • C'est très beau, vous viendrez à l'inauguration du magasin, Jehane vous y conduira. Au fait, Papy Aloïs, pourquoi avez-vous orthographié le prénom de Jehane avec un « h », j'avais toujours eu envie de vous le demander ?
  • Tours est une ville médiévale, n'est-ce pas, alors ma femme et moi avons eu l'idée de lui donner un nom de cette époque.

Aloïs évoqua sa vie de cheminot, ses débuts comme conducteur de train,  puis petit à petit sa montée en grade jusqu'à celui de chef de gare. Il était fier de ses gallons.


Tous trois prirent le thé sous la tonnelle jusqu'à ce que Jehane interrompe le flot des bavardages par un : « j'ai quelque chose d'important à te dire, Papa »

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La suite de ce récit reprendra le 8 janvier 2016. En attendant je vous souhaite de Joyeuses Fêtes de Noël et une excellente année 2016

vendredi 4 décembre 2015

Un euro million 11 Jehane





11 JEHANE

Elle pousse le double battant du portail et pénètre dans le jardin. Des images de sa jeunesse l'assaillent et elle entend une voix lui dire :

  • Tu revois le jour de l'anniversaire de mes 18 ans, la grande table là-bas dehors, dressée pour le repas et la plus petite croulant sous tous les cadeaux
  • Tu lis dans mes pensées, chère Jehane ?
  • Je me pose la même question. Cela m'arrive parfois, mais je me dis qu'en ce moment c'est à cause de notre affinité, ou simplement parce que j'ai vu où se dirigeait ton regard, alors en même temps que toi j'ai revu la grande table et les cadeaux.
  • Il y avait eu cette affaire de broche qui avait disparu.
  • Oui, cela me hante à certains moments, comme celui-ci où je te retrouve.
  • Je comprends, notre amitié est profonde.
  • Il n'y a pas que cela... Jehane laisse la phrase en suspend.
  • On dit que l'avenir nous appartient, mais je suis persuadée que nous ne possédons que l'instant présent.
  • Nous ne pouvons pas effacer notre passé, poursuit Jehane avec un profond soupir.
  • Que se passe-t-il ma Jeanette ?
  • Je revois cette journée et je vais enfin soulager ma conscience : C'est moi qui ai volé ce bijou !
  • Un bijou qui allait t'être donné de toute manière.
  • Oui, mais je ne vois pas la chose de cette façon, je me suis dite : « j'ai volé ! » et je n'ai jamais pu l'avouer à ma mère. J'ai été bien punie car, pendant toutes les années qui suivirent, je n'ai pas pu le porter et maintenant que maman n'est plus de ce monde, je ne le retrouve pas.
  • C'est curieux en effet, cette expérience. Je ne sais que te dire pour apaiser ta conscience, il faut que j'examine la situation. Mais dans un premier temps sache que tu as eu raison de m'en parler. Toutes ces années de silence ont dû te peser, c'est peut-être là ce que tu as eu de plus lourd à porter, ce sentiment de culpabilité et, à la réflexion, ne plus jamais pouvoir le dire à ta mère, donc ne jamais être pardonnée, selon toi. Nous allons réfléchir au moyen de te libérer, il y en a un, sûrement, peut-être en parler à ton père ?

Se ressaisissant, Jehane entraîne son amie à l'intérieur de la maison où Aloïs attend Laure avec impatience, se réjouissant si fort de la revoir.

Vous pourrez lire la suite de ce récit dès le 11 décembre 2015


vendredi 27 novembre 2015

Un euro million 10 Un musée


10 UN MUSEE

  • Ainsi, continue Laure, j'ai acheté la maison de la Grd'Rue n0 3, enfin la moitié, l'autre l'a été par la Commune, conjointement avec le Département du Patrimoine culturelle où un musée de la Reliure s'y installe en ce moment ; déjà un grand nombres d'outils sont exposés dans des vitrines :
poinçons
tranchefils
compas
équerres
couteau à parer
ciseaux à découper les cuirs
pinces à nerf
plioirs pointus
presse à dorer les tranches des livres
cousoir en bois pour tendre les ficelles
presse à endosser
scalpel
traçoir en bois d'if
marteau à endosser
scie à grecquer
  • Mais que vient faire là-dedans cette histoire de clé dont tu me parles et reparles ? dit Jehane de plus en plus impatiente.
  • Mais ces outils, c'est le trésor que j'ai trouvé dans la malle, dans une deuxième malle derrière celle-ci et à part, plus au fond du galetas, un étau à livre avec un magnifique volant en fer forgé et une presse à percutions, fort lourde. J'ai fait don de tout cela au Fond pour la reliure ancienne qui travaille en collaboration avec le Département culturel et la commune de Tours. La conservatrice du nouveau musée m'a mandatée, avec un petit budget que je rallongerai certainement de ma poche, pour dégoter d'autres outils spécifiques à la reliure ; ils ont souvent des manches en bois, et, comme tu le sais, j'en connais la variété des textures.
  • Oui, je me souviens combien tu aimais te promener dans la scierie de Victor, humant les parfums dégagés par les billots de différents bois fraîchement coupés, tu savais les différencier rien qu'à leur odeur. Tu ramassais aussi certaines essences de copeaux pour les mettre autour des rosiers, dans les plates-bandes et tu savais quelles étaient celles qui convenaient à telle ou telle fleur, j’avais trouvé cela très étonnant.
  • C'est curieux comme certains dons peuvent ressortir et trouver subitement une nouvelle voie dans laquelle s'exprimer, fit Laure, rien n'est jamais perdu.
Les deux amies restèrent encore un long moment assises sur leur banc à échanger souvenirs et projets. Laure fit part à Jehane d'une idée survenue au moment même de leurs retrouvailles et toutes deux quittèrent les lieux en fredonnant « La grande vie » de Benabar.

suite du récit le 4 décembre




vendredi 20 novembre 2015

Un euro million : 9 Amitié


 9 AMITIE

Marchant en pestant contre ses hauts talons et les pavés irréguliers de la rue principale de Tours, Laure s'arrête nette, l'autre, arrivant en face, fait de même. «  C'est toi, c'est bien toi » disent-elles en même temps. Elles tombent dans les bras l'une de l'autre, se reculent pour mieux se regarder, des gouttes de rosées perlent au bord de leurs cils.

L'amitié est faite de partage. Plus la rencontre est tardive, plus elle risque d'être courte, elle s’évanouit dès que l'on ne partage plus rien. Dans l'amitié qui vient de l'enfance, il reste toujours ces souvenirs complices que l'on retrouve chaque fois que l'on se revoit, même après plusieurs années de séparation. Ainsi est l'amitié entre Jehane et Laure. Elles avaient sauté ensemble à la corde, regardé les même garçons, s'étaient séparées lors de leur mariage respectif, s'étaient revues quand leur garçon fréquentèrent la même école, la même classe ; puis Jehane quitta le pays, suivant son mari à Johannesburg, appelé à de plus hautes fonctions.

    Bras-dessus, bras-dessous, toutes deux traversent la place et s'assoient sur un banc du parc municipal. A la double et même question posée comme d'une seule voix «  que fais-tu ici ? » , Jehane est la première à s'expliquer :
  • A la suite d'un infarctus, Jacques est décédé subitement, alors je suis revenue au pays. J'habite dans la maison de mes parents, ici, à Tours.
  • Moi aussi, fait Laure, je suis entrain d’emménager.
  • C'est pas croyable, s'exclame Jehane, comment cela se fait-il ?
  • C'est à cause d'une clé !
  • D'une clé, de quelle clé parles-tu ?
  • Celle qui m'a permis d'ouvrir une grande malle entreposée dans mon galetas, répond lentement Laure
  • Mais raconte, fait Jehane, pressante.
  • Cette clé m'a ramenée à Tours où j'espérais ne plus remettre les pieds car cette ville a été témoin du commencement de mes trois années de folie. Mais tu le sais, sans doute.
  • Oui, bien sur, Tours est une petite ville de 60'000 habitants et nous sommes connues. Je t'ai toujours défendue en disant : « c'est son argent, pas le vôtre, libre à elle d'en faire ce qu'elle veut ».
  • Ainsi est la véritable amitié. Bon, je reprends. Cette clé m'a donc conduite ici, auprès du conservateur des archives communales, je voulais savoir où se situait la maison de mon grand oncle maternel Jules Sismon. Sismon est le nom de jeune fille de Maman qui m'avait raconté l'histoire de son atelier de reliure. Nous avons retrouvé son emplacement, derrière la gare, mais le quartier a été rasé pour faire place à ces affreux immeubles locatifs et bon marché.
  • Tu me fais languir, je m'y perds, viens-en au fait.
  • Excuse-moi, mais plus je raconte et plus je comprends le rôle merveilleux joué par cette clé dans ma vie actuelle. D'ailleurs, je l'ai encadrée et suspendue dans mon magasin.
  • Ton magasin ? J'y comprends rien de rien !
  • Donc, je vais commencer par le commencement.

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c'est-à-dire, par le chapitre 8 que vous lecteurs, lectrices avez déjà lu. Alors rendez-vous le 27 novembre pour la suite de ce récit.




vendredi 13 novembre 2015

Un euro million : 8 La clé


8 LA CLE

Sous les combles elle découvre la cause de la fuite d'eau : cela vient du toit, elle voit le ciel entre des tuiles disjointes. Elle continue son inspection, s'aventure de coins en recoins, là où elle se faufilait enfant à la recherche d'un trésor, d'une terre imaginaire, inexplorée, plus encore de vieilles nippes à revêtir avec ses cousines pour jouer à la princesse, au docteur ; ah ça, c'était avec les cousins ! Tiens, cette grosse malle avec son couvercle en dos d'âne recouvert d'un papier à fleurs jauni, Laure n'avait jamais su ce qu'elle contenait. Et bien c'est le moment de le découvrir, se dit-elle.

Impossible d'ouvrir cette malle ; avec plus de mal que de bien, elle la tire sous la lucarne et constate qu'il faut vraiment une grosse clé pour l'ouvrir. Se souvenant d'un tiroir à la cuisine plein d'un ramassis de vieilles clés, elle remonte avec celui-ci, mais elles ne sont pas assez grosses. Elle réfléchit : l’atelier de Victor ! Tiens donc, cela faisait trois ans qu'elle n'y pensait plus ; la folie guérirait-elle de trop d'attachement ?

L’atelier est attenant au garage, monté sur un socle en béton, des lattes de bois tout autour, un toit de tôle ondulée au-dessus, suivit d'un hangar dont elle ouvre la porte et constate que son fils y a entreposé son canapé bleu devenu vieux, une table brûlée en son milieu, des chaises qui ne sont pas à elle. Laure sourit : ainsi Marc a utilisé cet endroit sans lui en parler ; alors exéco mon ami, je n'ai rien dit, toi non plus, mais moi je ne te le reprocherai pas, il y a des événements qui maintenant n'ont plus aucune importance, mon ordre des valeurs s'est modifié.

Laure pénètre enfin dans l'atelier. La fenêtre est entre-ouverte, le sol balayé, on y a travaillé récemment. Entretenir l'atelier et pas la maison, il y a des mesquineries inattendues... « Passons, cherchons » dit-elle tout haut. Il y en a de ces clés, combien de générations d'occupants les ont-ils laissé traîner ? Pourquoi les garder ? Il y en a qui sont minuscules, d'autres très longues, plates ou rondes, épaisses, toutes les forme de dents. Là, sous l'établi, une caisse de bois clair en est pleine ; elle en prend une très lourde dans la main, un beau travail d'artisan forgeron, presque de l'art. Elle veut soulever la caisse pour l'emporter, mais le poids l'arrête. Elle en saisit cinq au hasard et remonte sous le toit. Aucune n'entre dans la serrure ; c'est alors qu'elle remarque que la serrure a une tige métallique en son centre, il faut donc une clé vide en son milieu, voilà qui va permettre une sélection.

Fourrées dans un sac, Laure remonte avec 15 clés, cette fois conformes à la serrure, croit-elle, mais elles n'entrent toujours pas. Bien sûr, suis-je stupide, marmonne-t-elle, la tige métallique n'est pas ronde, elle a une forme de losange. Elle redescend en pensant qu'il faudrait un ascenseur pour l'aider dans tous ses va-et-vient pour une vieille malle.

Pas de clé en losange dans l'atelier. Où chercher ? Il reste la cave. On est têtue ou on ne l'est pas ! Pas possible tout ce désordre, cette accumulation d'objets disparates, cassés, conservés, entassés, oubliés. Elle réfléchit : où cacherais-je une clé importante ? Pas sous le paillasson, ni sous le pot de fleur. Dans un coffre ? Ne soyons pas ridicule, cette clé n'est pas si importante, elle a été délaissée dans un endroit improbable, illogique. Dans les toilettes ? Elle y fait un tour, rien. Elle a été sans nul doute jetée au hasard, déplacée de gauche à droite, au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux dépôts. Alors elle est dessous, sous quoi ?

Assise au soleil dans le jardin, côté cuisine, devant un café-croissants à l’arôme invitatif, un éclair illumine ses réflexions : la chambre de grand- mère ! Celle qui est devenue la chambre d'amis et qui a une grande armoire pleine de draps brodés mais qui ne servent plus depuis longtemps. Enfin, je te tiens, là, cachée entre deux piles de linge !

Est-ce la clé du paradis ou des songes, la clé qui ouvre la boîte de Pandora ou la caverne d'Ali Baba ?

Quelques semaines plus tard, Laure fit réparer le toit et mit la maison en vente.


suite le 20 novembre

vendredi 6 novembre 2015

Un euro million : 7 Une serrure


7 UNE SERRURE

Elle tourne la clé dans la serrure, bruit métal rouillé, les gonds de la porte grincent. Une odeur de renfermé, de vide, de silence, l'accueil. Elle passe machinalement la main sur la commode et soulève un nuage de poussière. Le salon est plongé dans l'obscurité, les volets fermés. Dans la pénombre elle distingue une masse de journaux, de lettres, éparpillée sur le sol tout autour de la table. Elle tourne un bouton, un deuxième, pas de lumière. Dans la cuisine, elle se précipite pour ouvrir la fenêtre mais la poignée lui résiste. Le bois a du travailler, gonfler, se déformer. Le frigo est béant, vide. Que croit-elle ? A l'étage, ça sent le moisi ; en levant la tête elle remarque des ronds d'humidité au plafond de la chambre. Une fuite d'eau ? Son fils n'a rien surveillé malgré ses 2-3 téléphones qu'elle lui fit pendant son absence, vexé probablement qu'elle soit partie sans l'informer, maintenant elle est de retour sans prévenir. Au fond, heureusement pour elle, l’Ère Internet n'est pas encore arrivée, elle aurait été poursuivie jusqu'au bout du monde, sans avoir un instant de répit.

Elle fait le tour du jardin, la porte du garage est toujours de guingois, pas de voiture bleue. Le potager est envahi d'orties, les hortensias ont séché, quelques plantes vivaces vivotent dans les plates-bandes. Elle s'arrête, se fige devant la niche vide. Toby ! Mon compagnon si fidèle, aux yeux si doux quand tu me regardais ; tu as erré longtemps solitaire dans les rues du village, suivant nos pas, t'arrêtant devant « Chez Charles », gémissant, mangeant de moins en moins. Aucun homme n'a eu pour moi un tel amour et je t'ai abandonné. Le menton de Laure tremble, ses jambes ne la portent plus, elle s'assoit sur les escaliers de pierre. Trois ans de folie ont passé, l'argent rend fou, de cela elle n'en doute plus.


suite le 13 novembre

vendredi 30 octobre 2015

Un euro million 6 Trois petits Tours


6 Trois petits TOURS

Trois petits TOURS et puis s'en vont...





Effondrée dans un fauteuil du salon, pour la deuxième fois en peu de temps, Laure ferme les yeux, cherchant un réconfort qui ne vient pas. Elle se saisit d'un journal local qui traîne sur la table basse, le parcoure sans en retenir la moindre ligne, sauf ... elle revient à la page précédente, cette annonce :

TOURS

soirée festive          bal musette


Ce soir, maintenant, s'exclame-t-elle ! Elle court enlever sa vieille salopette brune enfilée ce matin pour jardiner, met n'importe quel pull, croit-elle, et un pantalon aux plis repassés, se saisit d'un sac en bandoulière, de ses clés, dévale les escaliers et disparait à l'angle du chemin, au volant de sa petite voiture bleue.

Ragaillardie par cet élan de jeunesse, l'air frais et joyeux de cette ville médiévale de Tours éclairée par des lampions multicolores, elle suit la Grd'Rue étroite, bordée d'anciennes boutiques, marche allègrement sur ses pavés ocres, longe une muraille, vestige d'une enceinte fortifiée. Le son de l’accordéon s’amplifie et l'attire sur la place centrale ; elle s'assoit au milieu de la foule sur une chaise bancale et suit des yeux les danseurs qui tournoient, voltigent, pas toujours dans le rythme. Subitement Laure sent une main chaude se poser dans le haut de son dos et une onde électrique parcoure sa colonne vertébrale, lui serre le bas ventre. N'avait-elle pas enfilé ce pull décolleté en V par derrière, oublié depuis longtemps dans son armoire ? Entre parenthèse, elle sait bien qu'elle a un joli dos.

Une voix lui murmure : « Allons danser ». La musique a passé d'une valse à un slow et son cavalier la serre de plus en plus fort contre lui. Elle appuie son visage dans l'échancrure de son tee-shirt, envahie par une odeur mâle, un parfum poivré. « Allons-nous en, ajoute-t-il, je connais une jolie auberge, pas loin d'ici ».

Bien coiffée, légèrement maquillée, vêtements à la mode, ainsi elle peut donner le change, paraître dix ans de moins. Mais le soir, fatiguée ? Et le matin au réveil ? Lui ? Beaucoup plus jeune, dix, quinze ans de moins, d'avantage ? Elle n'a jamais su évaluer l'age d'un homme ; de toute façon elle les préfère plus jeunes qu'elle. Il ne fit pas attention à leur différence d'age, ou sembla ne pas la voir.

  • Partons d'ici, je peux nous offrir une escapade et de petits hôtels.
  • Je peux nous offrir un cinq étoiles, enfin pour un temps.

Cette fois il la regarde, émerveillé... par son look ou par son argent ? Se pose-t-elle cette question, ce n'est pas certain et puis, elle s'en moque totalement ! L'homme lui plait, il a réveillé en elle des sensations, une soif oubliée.


suite le 6 novembre 2015

vendredi 23 octobre 2015

Un euro million 5 Des listes


5 DES LISTES

En faisant la liste de mes besoins, je me rends compte qu'être riche c'est voir le mauvais côté des choses murmure Laure : le tissu élimé de mon canapé, la chaufferie qui tousse, le mur froid de la maison côté nord, ce que je ne remarquais pas dans ma jeunesse, la porte du garage qui ne ferme plus, ma garde-robes démodée, mes rides, les vieilles casseroles de la cuisine, la chasse-d'eau qui quine, ma voiture qui a 12 ans. L'usure du temps...

Elle note ce qu'elle ne pourra jamais acheter, même avec tout l'or du monde : le retour de Victor, l'éternelle jeunesse, effacer mes erreurs, mes mauvais choix. Me garantir une place au Paradis ? Quelle utopie !

Un demi million à dépenser, c'est beaucoup pour celui qui a peu, presque rien pour un multimilliardaire. C'est vite loin, aussi vite qu'arrivé, dans de telles circonstances. Donc encore attention, toujours être vigilante. Alors une autre liste : ce que je ne peux pas m'offrir parce que trop cher : une île dans le Pacifique, un jet privé avec pilote, trois Rolls, un château en Espagne, en fait des choses dont je n'ai pas besoin et qui ne m'intéresse pas vraiment. Alors quoi ?

Le nécessaire, l'urgent : réparer la porte du garage ? Non, ça peut attendre. Faire un lifting ? Est-ce important ? Prendre un secrétaire comme me l'a suggéré mon fils ? Mi-temps 2'000 euros, 24'000 par an ; à ce rythme, dans 10 ans je n'aurai plus rien. Je lui ai suggéré, à lui et à sa femme, de venir habiter le 1er étage de ma maison. J'aurais agrandi la cuisine, mis une douche, fait une chambre supplémentaire sous le toit pour l'un des deux enfants, séparé le jardin en deux pour qu'ils soient indépendants. Malgré cela, ma belle-fille n'était pas chaude du tout, probablement que l'idée de la proximité de sa belle-mère lui déplaisait. Tout ce que je propose ne va pas. Ils ont certainement d'autres idées pour lesquelles ils auraient besoin d'argent, du mien évidemment !

Tout cela est négatif, négatif, absolument négatif ; si je continue ainsi, je vais me mettre à soupçonner tout le monde. Brusquement, prise d'un mouvement de colère, Laure se lève et quitte la pièce en claquant la porte.


suite du récit le 30 octobre 2015

vendredi 16 octobre 2015

Un euro million 4 Un chèque


4 UN CHEQUE

Environ trois semaines auparavant, Laure se trouvait à la Française des Jeux avec son billet gagnant et sa carte d'identité. Assis en face d'elle un homme costume-cravate, maigre, tiqueux, le cheveu rare, lui présenta son chèque en même temps qu'un psychologue qui avait pour mission de la mettre en garde des risques qui l'attendaient :

« Vous allez recevoir une pléthore de lettres d'amour, de haine, on vous proposera le mariage, on se fera passer pour un membre lointain de la famille en difficulté, vous recevrez des demandes d'argent par exemple pour une enfant gravement malade. Poussée par la cupidité, la convoitise et la jalousie, l'imagination ne connait pas de borne dans son inventivité : ruse, mensonges, trahison provoquant des drames, un divorce, vos enfants voudront leur part, vous pourriez faire une dépression, le suicide est bien connu dans ce genre de situation. Je vous rends attentive à ceci : l'argent qui arrive ainsi subitement, peut repartir tout aussi vite et le détenteur se retrouve même avec des dettes, une situation pire qu'au paravant.

Tout en écoutant, Laure tournait et retournait son chèque entre ses doigts, prenant lentement conscience du danger qu'il représentait. Elle avait entendu parlé de ce mari qui avait disparu, emportant le chèque ; et de cette femme, mariée sous le régime de la communauté de biens, qui ne pouvait rien en toucher sans le consentement de son mari, elles en avaient bien ri au Chit Chat ! Laure s'imaginait sortant de là son chèque enfoui tout au fond de son sac serré sous son bras, bousculée, recevant un coup et se le faisant voler, ce chèque de toutes les folies ouvertes. La peur lui fit dire :

  • Je ne veux pas de ce chèque et le tendit à l'homme présent qui, surpris, ébahi, se recula.
  • Non, je ne vous le donne pas, je veux simplement que vous versiez cet argent sur mon compte en banque, c'est trop dangereux de le garder sur moi, surtout après tout ce laïus. Comment se fait-il que vous ne le proposiez pas d'emblée ?
  • La coutume, c'est le chèque. Si le gagnant veut une autre forme de paiement, il faut qu'il le dise.
  • Et bien c'est ce que je fais.
  • Vous comprenez, si je vous verse cette somme sur votre compte, vous devrez payer 35 % d’impôt anticipé.
  • Et vous pensez qu'avec un chèque, je pourrai passer entre les goutte du fisc, comme si personne n'allait le savoir ?
  • C'est de votre responsabilité, à chacun son choix, fit l'homme costume-cravate.

Ah la bureaucratie, pensa Laure, on ne réfléchit pas, on exécute les ordres venant d'en-haut, même les plus bêtes, un point c'est tout.

Cependant, il fut fait selon son désire.


Suite le 23 octobre 2015

vendredi 9 octobre 2015

Un euro million 3 Le tri


3 LE TRI

Les jours suivants, les rares promeneurs marchant sur la petite route longeant sa maison, purent apercevoir Laure installée devant une grande table poussée contre la fenêtre de son bureau, sa machine à écrire ouverte à sa droite, elle penchée sur des montagnes de paperasses, la tête de son fidèle Toby appuyée sur ses genoux, comme pour la réconforter. Elle a fait quatre tas, la première pile « papiers à jeter », la deuxième « lettres à répondre », puis « factures à payer » et la dernière nommée « bizarreries ». Elle trie l'abondant courrier reçu. Au début, elle avait tout porté à la déchèterie, sans ménagement, tellement irritée. Seulement elle reçut ensuite des rappels d'électricité, de téléphone... Une fois de plus elle doit faire face à la situation. Enfin sa boîte aux lettres ne déborde plus depuis qu'elle y a collé « Publicité non merci ».

Bon et cette carte de visite de Mademoiselle Truc Muche, où la mettre ? Aucune pile ne lui convient ! Alors elle en commence une cinquième qu'elle nomme « les emmerdeurs ». Serait-elle devenue grossière, elle n'était pas comme cela avant. La première pile, c'est facile, direction grand carton pour la déchèterie, concernant la deuxième elle va envoyer la même lettre à tous, il faut bien qu'elle se simplifie la tâche. Elle tapote un brouillon sur sa machine, tout en veillant à ne pas fermer la porte, on ne sait jamais, cela peut-être important.

« Messieurs, Mesdames, Etant dans l'impossibilité de vous répondre pour le moment, vous voudrez bien patienter environ 3 mois et m'écrire à nouveau si votre présente lettre est toujours d'actualité. A ce moment- là, ma situation se sera éclaircie et j'étudierai attentivement votre demande afin de pouvoir vous dire si j'y donne suite ou non. Avec mes salutations ... etc »

Ceci étant fait, elle passe à la troisième pile «à payer » et prépare un ordre bancaire, comme d'hab dirait son petit fils. Ah, nous y voilà à cette quatrième pille « bizarreries ». Non d'une pipe, un faux, une imitation. Ah quel fourbe, voleur, perfide, tartufe... Elle s'emballe, s'arrête, repart, imagine : qui donc photocopie l'entête du papier à lettre de la Police Municipale en joignant une facture avec un bulletin de compte de chèque ? On lui a suggéré de porter plainte, mais la signature est illisible, le supposé détenteur du CCP ne répond pas au téléphone et son adresse est inexistante. En attendant, elle n'aurait pas été attentive en triant son courrier qu'elle aurait peut-être payé cette facture et pour se faire rembourser, niet ! Quelques personnes dans sa situation seraient-elles tombées dans le piège ?

Quant à porter plainte, non merci, elle en a assez des enquêtes, questions, suspicions, maladresses, tout ça pour une vitre brisée. Enfin, soyons juste, elle en a retiré un certain bien : les curieux ont déserté son jardin, plus personne ne l'arrête au village ; elle a même l'impression qu'on l'évite. Ce n'est pas trop dérangeant, au contraire, elle est moins tendue, plus libre dans ses déplacements ; elle doit s'y faire, c'est ainsi dans l'« après » !

Elle caresse la tête de Toby , le chatouille derrière les oreilles :

  • Allons , viens , faisons quelques pas dehors pour notre bien. Oui je sais tu boîtes encore un peu, nous nous arrêterons au café du coin, avec toi je suis rassurée.

Ils furent accueillis par un bonjour amical du Gros Charles. « Chez Charles », une salle sympa et légèrement voutée, comme son propriétaire, des tables aux nappes de coton à carreaux rouges et blancs, tels les rideaux contre les vitres à petits damiers. Quelle joie, là au moins, rien n'a changé. Le Gros Charles apporte une écuelle pleine d'eau pour Toby et Laure le gratifie d'un doux sourire et se plonge dans le journal .

  • Tu permets que je m'assoie à ta table , on ne t'as pas vue au « Chit Chat » la semaine passée. Tu sais on s'est souvenue que c'est un peu grâce à nous que tu as acheté ce billet de loterie.
  • Bonjour Andrée, comment vas-tu ? Et ton fils, est-il de retour chez toi après son long voyage en Asie , fit Laure, tentant de détourner la conversation.
  • Oui et il a trouvé un travail à la scierie.

Oh, pense Laure, sentant une pierre glisser dans sa poitrine et peser sur son coeur. Victor, pourquoi es-tu parti si jeune ? Tu sais, j'ai dû vendre ta scierie, oui je te l'ai déjà dit une multitude de fois. Vois-tu comme il serait doux maintenant, à l'aube de notre retraite, de nous promener la main dans la main dans les sentiers forestiers, admirant les troncs d'arbres, toi calculant en stères et moi griffonnant des dessins que je transformerais en points de croix sur le canevas.

Perdue dans ses souvenirs, elle ne prit pas garde au départ de sa copine qui a probablement compris, avant elle, que Laure ne reviendrait plus au « Chit Chat » du dernier jeudi de chaque mois.

Le Gros Charles s'est assis à côté d'elle et lui présente deux verres de vin rouge pour faire santé à l'un comme à l'autre et surtout remettre du rose sur ses pommettes qui en avaient bien besoin. Un simple geste, un mot réconfortant, en a-t-elle eu avant ? Dorénavant, elle y veillerait dans cet après. Tant de chose à apprendre sur elle-même, sur les autres.

Flip , flop... flop, flop... flip, flop, flop ! Les nuits suivantes, convaincue d'avoir rempli au mieux ses nouveaux devoirs, Laure s'endore le sourire aux lèvres en écoutant la pluie tomber sur le toit. Depuis son enfance, elle a toujours aimé entendre ce tambourinement sur les tuiles. C'est une chanson qui l'apaise, la fait rêver de beauté  sur la terre ; imaginer mille chimères ; gamberger, sauter par-dessus les montagnes, fantasmer d'un royaume irréel, dans la douceur d'être en harmonie avec l'univers.


Suite le 16 octobre 2015

vendredi 2 octobre 2015

Un euro million : 2 Gling, gling, bling


2 GLING, GLING, BLING !

Bang , gling gling bling ! Bang gling gling ! Un miroir qui tombe dans la cuisine ? Mais il n'y a pas de miroir à la cuisine ! Un trou en étoile dans la vitre, des bris de verre sur le carrelage... prendre un balai, nettoyer. Non ! Non ! Ne rien toucher ! Et cette grosse chaussure sur le sol, au milieu du verre cassé, elle allait se baisser pour la ramasser et, curieuse, la soupeser. Ah non, pas touche, c'est une pièce, heu, une pièce, une pièce à quoi ? Elle a pourtant lu assez de romans policiers dans sa jeunesse mais le mot ne lui vient pas, tout s'embrouille dans sa tête. Se reprendre, téléphoner au 117, il y a urgence.

Epuisée, effondrée dans un fauteuil, elle ferme les yeux. A-t-elle dormi ? Combien de temps ? Est-ce dans son sommeil qu'elle entend des sirènes ? Des lumières bleues, par intermittence, éclairent ses paupières closes. La police ! Ah pour la discrétion c'est parfait ! Il ne manque plus que la cavalerie Et tout à coup elle se sentit secouée de la tête aux pieds par un rire irrépressible. Plaquant un mouchoir sur sa bouche, elle ouvrit la porte d'entrée juste à temps pour entendre :

  • Eteignez donc cette foutue sirène !
  • Bonsoir tante Laure ... oh, es-tu blessée ?
  • Bonsoir David, non non, ça va, entre je t'en prie.

Laure n'est pas la tante de David. Seulement elle a été la grande amie de son père et ensemble ils ont fait les 400 coups pendant leur jeunesse. Lorsque ils se revirent, mariés chacun de leur côté, qu'il eut un fils et elle une fille, ils convinrent que leurs enfants les appelleraient oncle et tante pour souligner des liens devenus presque familiaux.

A 45 ans David est un beau grand gars, il a les épaules larges et porte bien les gallons de lieutenant de police sur son uniforme. Ses yeux, grands, bleus, bleu pervenche, semblent s'ouvrir en un regard émerveillé sur les gens et le monde qui l'entoure. Si vous le rencontrez, vous ne pourrez pas passer à côté de lui sans être subjugué par la luminosité de son regard.

  • Tu n'as rien touché, n'est ce pas, tante Laure, ni ce gros soulier au milieu des débris ? Il pourrait bien être une pièce à conviction.
  • Venez vous assoir, Madame, et buvez cette tasse de thé, elle vous fera du bien, dit une voix féminine à côté d'elle.

C'est qui celle-ci ? A-t-elle à peine pensé tout haut que la réponse arriva, immédiate : « Je suis Mademoiselle Truc Muche, psychologue et j'accompagne Police Secours pour le cas où quelqu'un de traumatisé aurait besoin de mon aide ».

« Hum hum ! Voyons l'intervention de la police est gratuite car elle est un service rendu à la population et payée par nos impôts, mais vous, vous demandez combien de l'heure ? »
Sur un signe de tête de David, Mademoiselle Truc Muche glissa sa carte de visite dans la main de Laure et quitta la maison d'une démarche un peu raide et contrariée.

  • Tante Laure, j'ai fermé les volets à la cuisine et je reviendrai demain vers 9 h avec un gars de l'Identité Judiciaire qui prendra des photos et relèvera les empreintes de pas dans le jardin, s'il y en a, car le terrain est très sec, il n'a pas plu depuis 5 semaines. Cette nuit, nous ferons une ronde dans le quartier et surveillerons ta maison, mais tu comprends, je ne peux pas laisser un homme devant ta porte, nous ne sommes pas assez nombreux pour cela. Ce gros soulier militaire au milieu de la cuisine pourrait bien appartenir à un paysan du coin et il était peut-être chez toi cet après-midi. Tu penseras à me faire une liste de ces personnes. Au fait, où est Toby ?

  • Toby est chez le vétérinaire, il a été opéré à une patte, je vais le chercher demain.
  • Ah oui, il est un bon compagnon pour toi.

Là-dessus, David se penche sur sa tante pour l'embrasser, lui dire au revoir ; Laure le retient dans ses bras et prend le temps de se baigner lentement dans ses yeux.

Cette nuit-là, elle eut de la peine à s'endormir, se tournant et se retournant dans son lit ; trop énervée par les événements, elle se mit à compter, recompter : 100'000 de dons, 35 % d'impôt sur gain en loterie, euh, voyons reste environ 560'000 francs. Déjà elle n'est plus millionnaire !


suite de ce récit le 9 octobre 2015


vendredi 25 septembre 2015

Un euro million : 1 Un euro...





1 UN EURO ...

Elle ne peut plus s'arrêter devant une vitrine, entrer dans un magasin, s'assoir sur une terrasse pour prendre un café, ou tout simplement se promener dans le parc sans que quelqu'un ne l'aborde en lui demandant :

  • C'est donc vrai que tu as gagné 2-3 millions à L'Euro Million ?

Non seulement ça la dérange, lui porte sur les nerfs, mais en plus ils exagèrent sur le montant gagné, ce n'est qu'un million. Enfin c'est beaucoup, alors un de plus ou de moins, quelle différence cela peut-il faire pour eux, franchement ? S'expliquer, comparer les expériences, avec qui ? Avec ceux qui, comme elle, ont vu leur vie basculer du jour au lendemain, bon, mais c'est une chose dont elle n'est pas encore tout à fait consciente. Elle a besoin de réfléchir, d'arrêter que tourne l'horloge, rentrer chez elle, dans le calme de sa maison. Seulement sa maison est pleine de curieux, amis, voisins, inconnus ou peu connus, même ses deux enfants qui pourtant ne se voyaient plus depuis 10 ans.

Se boucher les oreilles, ne plus entendre ces réflexions, parfois suivies d'un soupir :

  • Ah , il faudrait que je refasse le toit de la ferme...
  • J'aimerais envoyer Jacques, ton petit-fils, aux Etats-Unis pour parfaire sa formation...
  • Les affaires vont bien, ce serait le bon moment d'agrandir mon entreprise, qu'en penses-tu ?

Et ces mots dits par l'un de ses proches :

  • Tu sais tu as meilleur temps de tout dépenser car, si tu vas en EMS, ils vont tout te prendre.
Ah ça, elle le sait, elle n'est pas née de la dernière pluie !

Elle aimerait ne plus rien entendre, rien voir, partir au fin fond de la forêt vierge, sur une île déserte, une caverne tout en haut d'une montagne. Oui, mais comment ferait-elle sans ses médicaments ? Allons, se dit-elle, soyons réaliste, il n'y a qu'une solution à ce problème : faire face, dire non, dire oui, haut et clair, préciser ses limites.

Confortée dans ses décisions, elle rentra chez elle et dit à la cantonade :
  • Allez, oust, rentrez chez vous, foutez-moi la paix !

Lourd silence ...

  • Même nous, maman ?
  • Oui, même vous ! Je vous téléphonerai dans quelques jours, quand j'y verrai un peu plus clair .
    Elle sait qu'elle vient d'en vexer certains, d'autres seront déçus, lui tourneront le dos. Il y aura les amis d'avant et ceux d'après, car maintenant il y a un avant et un après.

Enfin seule, elle réfléchit à qui elle va donner le 10% de la totalité de cette manne inattendue car, toute sa vie, elle a procédé ainsi lorsqu'elle gagnait ou recevait une somme imprévue. Voyons, le 10% d'un million, cent mille francs à distribuer, à qui ? Aux femmes du Sahel, aux petits chiffonniers de Manille, à des Institutions suisses aussi et qui sont bien gérées ; se renseigner naturellement car il y a de l'arnaque et des gens pas très honnêtes dans ce domaine.

Et maintenant où mettre cet argent ? Sous le matelas ? Un million, ça fait combien de billets de milles ? Alors les mettre dans une banque, mais laquelle, ne va-t-elle pas faire faillite avec cette histoire des Etats- Unis contre le secret bancaire suisse ? La peur de perdre, voilà une chose qu'elle ne connaissait pas avant. Et puis elle va devoir des impôts, combien  ? Elle fut interrompue dans ses comptes par un « Bang » !


suite de ce récit le 2 octobre 2015



mercredi 16 septembre 2015

Courts récits 3 Saisir l'instant présent

Dès le 18 septembre vous pourrez lire le 3è court récit en cliquant sur "Sciences naturelles".

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Dès le 25 septembre paraîtra un nouveau récit sous forme de feuilleton intitulé "Un euro million". Bonne lecture. 


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vendredi 11 septembre 2015

Courts récits 2 Qui suis-je ?





QUI SUIS-JE ?

Je suis un grain de poussière qui vole dans un rayon de lune, cette feuille de tremble qui se balance dans le soleil au moindre souffle, ce papillon aux ailes fragiles et qui pourtant parcourt 2'000 km sur sa voie migratoire.

Ces chemins qui se croisent à ma naissance et dont je ne puis choisir qu'un seul, suis-je aussi tous les autres, un imbroglio de vies dont je cherche à faire naître la mienne ?

Et ce cri de souffrance que j'entends, il est aussi le mien au milieu de tant d'autres, je ne puis l'ignorer, l'effacer d'un coup de pinceau.

Suis-je cette brillance de grand bonheur que j'ai lu dans vos yeux quand vous m'avez dit : « Ils m'ont tout donné » en parlant des handicapés mentaux auxquels votre vie a été consacrée ? J'ai été ce regard émerveillé de l'enfant qui découvre la beauté de la Terre, celui de mon fils lorsqu'il photographie et que les deux fossettes, les miennes , apparaissent encore sur ses joues.

Peut-être suis-je aussi ces deux colonnes blanches qui m'attendent au seuil d'un nouveau monde de lumière, ou cet ami qui m'a prise tout simplement dans ses bras de tendresse.

Au rythme des pas lents et cadencés des chameaux, je suis cette caravane qui s'allonge comme une ombre sur les sables brûlants et dorés du désert. Le désert, je l'ai lu, est le jardin, d'Allah ; c'est bien là que fleurissent les roses.

Je suis l'océan aux vastes horizons, la montagne qu'il faut conquérir, l'arole solitaire qui domine la vallée, ce pétale de coquelicot qui frissonne au matin.

Alors dites-moi : qui suis-je ?


Prochain court récit le 18 septembre 2015

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vendredi 4 septembre 2015

Courts récits 1 Le cerf-volant





LE CERF – VOLANT

Il se fait papier de soie pour traverser la barrière des astéroïdes, prend la forme d'une étoile pour arriver sur ta planète, il déroule sa corde jusqu'à l'infini pour atteindre les confins de l'Univers, là où tu habites.
Le cerf-volant s'envole par-dessus les murs de la Cité interdite où tu ne pourras pas entrer, il respire la chaleur qui monte en spirales des terres désertiques, court avec les chevaux sauvages dans les plaines immenses.

Revenant, repartant, au gré de mes indécisions ; subitement il se tend et le voila parti vers l'Ouest alors que je le voulais à l'Est, poussé par un courant contraire, irrésistible ... Long voyage, longue absence ... Enfin le voila de retour d'Amazonie, des gouttes tombent de son armature, il pleure la forêt brûlée.

Une onde frémissante parcourt cette corde qui nous relie ; où es-tu, que vois - tu ? A mon tour, je ressens des frissons qui parcourent toute mon épine dorsale et je perçois au loin le son d'une flûte de pan qui s'élève dans la Cordillère des Andes, en prend toute la nostalgie, la hauteur, la solitude immense, démesurée. Emue, j'en ai les larmes aux yeux ; joie du fond des âges, je ris diaphane, en harmonie parfaite avec son rythme, ses notes pures, légères, transparentes comme l'air de ces hauts plateaux.

Pris dans des tourbillons de poussière, il suffoque, affolé
mon cerf-volant au - dessus des «trax », des pelleteuses
déchirant la terre emportée
dans des camions qui roulent entre des tranchées béantes, dans un environnement sans coeur, vide, nu de tout arbre, s'ouvrant sur une vaste mine de cuivre. Il revient tout secoué par cette vision désolante.

Va grand oiseau, virevolte au-dessus des lacs paisibles, écoute le murmure du ruisseau, le grésillement des criquets sur les pentes ensoleillées, regarde ce rouge profond de cet adonis aestivalis , admire ce coucher de soleil.

Un jour ta corde cèdera, tu partiras pour ne plus revenir ; tu seras
arc-en-ciel dans l'azur, espérance d'une âme en voyage vers un autre monde. Te reverrai-je un jour, au-delà du temps ?


prochain court récit le 11 septembre

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vendredi 10 juillet 2015

Une cave . un galetas :16 Suzukii



Après la grêle qui dévasta le vignoble, trois ans plus tôt, lacérant les feuilles, jetant à terre les grappes naissantes, arriva par bateaux, avions, trains, camions, bagages des touristes, la mouche drosophile Suzukii originaire d'Asie du Sud : Japon, Chine, Corée, certainement une conséquence imprévue de la mondialisation, nous prit de court. J'appris, continua Armand pour son public d'amis, que cette mouche pond ses oeufs dans la chair du raisin provoquant une amertume dans tout le jus de la cuve, conduisant nécessairement à la perte de la récolte. De plus, en perçant la peau, elle ouvre la porte à la pourriture, puis la larve, se nourrissant de la pulpe, vide le grain de raisin en y laissant un goût exécrable. C'est avant tout la couleur rouge qui l'attire et en Bourgdoz, nous sommes est en première ligne de mire.

Une partie de nos vignes fut traitée avec un mélange de souffre et d'acide citrique, le tout mélangé à de la poudre de roche. Il semblerait que les femelles ne pondent pas lorsqu'elles ont de la poudre sous les pattes. Nous n’eûmes pas l'occasion de le vérifier car un puissant vent du nord s'abattit sur notre région et, par rafales, dissémina la poudre, offrant le raisin à l'envahisseur et d'autre part l'accumulant par endroit, comme des minis congères, bloquant le murissement des grappes.

Notre nouveau maître de chais commanda des filets spéciaux, à mailles étroites pour les couvrir, seulement ces mouches n'étaient pas des mouches mais des moucherons de 2 à 3 millimètres et ils passèrent au travers. J'avais acquiescé à cet achat sans rien y connaître ; j'appris ainsi, à mes dépens, que « faire confiance, c'est bien, vérifier c'est mieux ».

Tout le monde fut réquisitionné, moi y compris, et nous remplîmes une centaine de récipients d'une mixture de vinaigre de pomme, vin rouge, plus 2 gouttes de détergeant à vaisselle, qu'il fallait remplacer tous les quinze jours. Attirées par ce parfum, les mouches s'y noient ; nous recueillîmes des milliers de moucherons morts. Ces récipients furent suspendus dans les vignes ; encore fallait-il savoir à quelle distance les placer pour être efficaces. Bref, ce fut la seule parcelle sauvée, les trois autres quarts furent perdus, deux ans de travail anéantis. Réagir dès que l'on constate sa présence, c'est déjà trop tard, il faut un traitement préventif, mais encore faut-il être au courant de l’existence de ce fléau, l'ignorance en est encore un, de fléau !

L'élimination des grappes atteintes fut encore un autre problème. Renseignements pris, elles furent entassées dans de vastes sacs en plastique solidement fermés et exposés au soleil, la chaleur détruisant les larves. Ce que l'on oublia de nous dire c'est que nos sacs n'étaient pas, ou plus, conformes aux nouvelles prescriptions. La facture fut salée ; nous n'échappâmes à une amende qu'en raison d'une clause d'urgence.

Pendant cette même période, ma mère mourut. J'ose espéré qu'elle est partie sans se rendre compte de l'étendue du désastre, c'est ma seule consolation. Préparer la succession, rendre des comptes, partager avec mon frère par voie de notaire. Plus de réserve en banque, des hypothèques à ne plus pouvoir payer les intérêts, il fallut vendre domaine et château. Mais un vignoble à l'abandon, un château dont il fallait refaire le toit, toit de pentes, d'auvents, toit de la tour ronde, de la tour carrée, poutraison, chenaux, tout cela diminuait la valeur de la propriété. Je dû m'en expliquer et mon frère reçu une part d'héritage bien mince, comme la mienne. Depuis lors je n'ai plus aucune nouvelle de lui, ni lettre, ni e-mail, ma boîte reste vide malgré mes efforts de conciliation.

  • Monsieur, Monsieur, s'il vous plait, votre petite fille vous appelle !
  • Excusez-moi, mes amis, un instant de pur bonheur m'attend : mon enfant me réclame pour la border dans son lit, lui lire une dernière histoire, l'embrasser en lui disant : « douce nuit, Angelina, petit amour de mon coeur ».

FIN


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Vous êtes en vacances, moi aussi ! Un nouveau récit paraîtra dès septembre. En attendant cliquez sur "Sciences naturelles", "Les moulins" ou "Les pierres", bonne lecture.


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Vous aimez peindre, dessiner, photographier, modeler, sculpter, et vous constatez qu'une de vos oeuvres pourrait illustrer un chapitre de mes récits, ou tout autre texte de mon site, envoyez-moi une photo. Si je l'introduis dans mon blog, j'indiquerai votre nom au-dessous.  Alors peut-être à bientôt ! 


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vendredi 3 juillet 2015

Une cave - un galetas 15 Château Les Aventurines


Avoir un château ne veut pas dire automatiquement vivre une vie de château, Armand en fit l'amère expérience. Ce soir-là, recevant, avec Marie-Ange, quelques amis intimes, il narra les événements qui précédèrent la vente du château survenue quelques années en arrière.

« J'étais en deuxième année de psychologie à la Fac de Vincianes, j'avais 21 ans. Mon frère aîné, Alphonse, avait terminé son droit et suivait une formation de gestionnaire en entreprise, poussé par leur père qui, hélas, mourut subitement, peu de temps après, d'une crise cardiaque.

Alphonse dû renoncer à exercer le barreau et reprit notre entreprise vinicole ; il découvrit, avec effarement, que celle-ci était dans les chiffres rouges depuis environ 4 ans, suite certainement à l'ouverture du marché aux vins étrangers. Mon frère et moi nous nous sommes dits que cette situation avait certainement miné la santé de notre père et qu'il avait espéré voir venir son aîné pour le seconder, soutenir ses efforts pour remettre la propriété à flot. Par la force des choses, Alphonse s’attela donc à la tâche, resserra les dépenses, chercha de nouveaux débouchés. Il engagea un représentant qui amena quelques nouveaux clients, d'Allemagne en particulier, mais conjointement, il en perdit un certain nombres de proximité : hôtels et restaurants qui s'étaient reconvertis à la cuisine italienne et se fournissaient en vin directement en Italie.

Alors que les affaires semblaient reprendre, dans un virage, pris à une vitesse probablement excessive, la voiture d'Alphonse dérapa et alla s'encastrer dans un arbre, il mourut sur le coup. Ainsi, du jour au lendemain, je me retrouvais à la tête d'un vaste espace de vignes, un travail auquel je ne connaissais rien et un château qui avait bien besoin d'être rénové ; je n'ai aucun sans commercial, ainsi que peut vous le confirmer Marie-Ange, ici présente.

Un autre événement survint et qui cette fois, plus que les précédents, atteignit ma mère en plein coeur : mon frère cadet était parti faire un stage de deux ans en oenologie, très, très loin, en Australie. Année après année, elle attendait son retour, elle adorait ce fils ; ne me dites pas qu'une mère ne doit pas faire de différence entre ses enfants, qu'elle doit tous les aimer de la même façon, c'est un mythe. Je lui ai caché, le plus longtemps possible qu'il aimait une jeune fille, mais quand le mariage arriva, je dû le lui dire. Le choc fut terrible, Maman resta sans prononcer un mot pendant trois semaines, elle maigrit, se laissa doucement couler, c'était trop pour elle. Elle ne s'intéressa même pas à ses trois petits enfants qui naquirent au-delà des mers. Il avait promis qu'il viendrait la voir, mais il avait toujours une nouvelle raison à invoquer, elle n'y croyait plus.

C'est donc absolument seul que je me retrouvais face à une multitude de problèmes et à la santé déclinante de ma mère. J'en vins à vendre certaines terres, ne serait-ce que pour pouvoir transformer une pièce au rez-de-chaussée du château en chambre à coucher, agrandir les toilettes et y ajouter une douche pour ma mère en lui évitant ainsi les escaliers qu'elle gravissait avec de plus en plus de difficultés. Je fermai les chambres du personnel sous les combles pour ne pas avoir à les chauffer, notre gouvernante-cuisinière et la petite aide, furent logées sur le même étage que moi. Pensez donc, le personnel, réduit au minimum, et le maître sur le même étage ! Peut-être aurais-je dû placer ma mère dans une institution quand le moment vint où il lui fallut une infirmière à domicile, mais je n'en eus pas le courage. Comme le dit mon aimée : « Vous avez fait de votre mieux, avec ce que vous aviez, ne regrettez rien, en plus vous avez donné un peu de bien être à l'auteure de vos jours »



vendredi 26 juin 2015

Une cave-un galetas : 14 Un coup de maître


Une ordonnance du juge d'instruction enjoignit Marie-Ange d'établir avec précision quelles étaient les toile saisies portant sa signature au dos. Elle s'y était préparée, prévenue par son avocat. Cependant, lorsqu'elle se trouva dans cette salle sans fenêtre et en présence de 96 tableaux, (elle en avait vendu environ le double à celui qu'elle croyait être son ami), elle paniqua et allait se précipiter pour éliminer ceux qui, curieusement, étaient de mauvaises factures et certainement pas de sa main. « Du calme, tergiverser, douter, semer le doute fait douter le public et hésiter le jury ;  on ne condamne pas sur un doute mais sur des preuves » lui avait souligné Armand ».

Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de « signature au dos ? » Ah oui, un coup de maître !

Reprenant son assurance tranquille, Marie-Ange commença à trier toutes ces oeuvres, portant d'un côté celles jugées peintes par elle, de l'autre celles qui ne l'étaient surement pas, reprenant l'une des premières pour la mélanger aux deuxièmes et vis-versa. Elle fit un troisième série : celles ayant la signature du maître et, à nouveau, transportant l'une ou l'autre dans la première ou la deuxième catégorie. Elle les tournait, les retournait, suivait du doigt les agrafes du dos qui maintenaient la toile au cadre intérieur.

Mais, que faisait-elle ?

Revenons au Tribunal. A la question du Juge :

  • Avez-vous signé les toiles que vous avez vendues à Monsieur Marc-Antoine ?
  • Oui
  • Je vous l'avais bien dit, elle a signé, fit Marc-Antoine en s'agitant sur son banc.
  • Silence, vous parlerez quand on vous interrogera.
  • Comment avez-vos signé ?
  • J'ai signé M majuscule, av minuscule, Mav.
  • Où avez-vous signé ?
  • Au dos des toiles.
  • Quelle stupidité, murmura Marc-Antoine, il n'y a rien au dos des toiles.
  • A quel endroit précisément ?
  • Cachée derrière le cadre en bois sur lequel est agrafé la toile ; il faudrait dégrafer la toile pour la voir.
  • Expliquez-nous pourquoi vous avez fait cela.
  • Deux, trois ans avant la fin de ma collaboration avec Monsieur Marc-Antoine, j'avais commencé à me douter des manoeuvres illicites de celui-ci et l'idée m'est venue de marquer mes oeuvres, mais de façon invisible.

Remous et rires dans le public, chuchotements. Bravo ! Bien joué ! Entendit-on. Les membres du jury étaient devenus très attentifs ; ils avaient envie de dire : « Dégrafer les tableaux ! Excellent ! Un coup de maître, à n'en pas douter ! » Dès lors, la majorité de ce dernier était à coup sur du côté de Marie-Ange.

Maintenant retournons dans la salle sans fenêtre. Des 96 tableaux présents, Marie-Ange a déterminé 34 tableaux signés Mav au dos. Comment peut-elle en être si sûre ? Alors qu'elle les agrafait, son agrafeuse s'était coincée ; elle dut en acheter une nouvelle, plus grosse, les agrafes plus épaisses et d'une couleur légèrement dorée, parfaitement reconnaissables. Elle en avait parlé à Armand, son guide comme elle l'appelait. Il lui avait recommandé de n'en parler à personne, ni au Juge, pas même à son avocat. Moins de personnes le saurait, plus le suspense, l’incertitude planeraient pendant le procès.

A ces 34 tableaux, elle en ajouta 10, d'elle certainement, mais non signés au dos, en espérant qu'ils passeraient entre les goutes. 29 tableaux de mauvaises factures, signatures probablement contrefaites, furent mis de côté. Restait donc 23 toiles, de sa main, elle en était sur, signatures falsifiées ; elle les mit à part, en disant qu'elle ne savait pas, tout en priant le ciel que le juge d'instruction, ou autre, resterait focaliser plus spécialement sur « ceux au dos ». 12 d'entre ces toiles furent dégrafées, 3 présentèrent la signature Mav au dos et 1 se fendit lors de la manipulation. Un expert fut mandaté pour déterminer l'auteur, ou les auteurs des 9 restantes. Une contre-expertise fut demandée. Les experts n'arrivèrent pas à se mettre d'accord : fallait-il dégrafer les autres, au risque évident d'en abîmer quelques unes ? De tergiversation en tergiversation, un non-lieu fut décidé.

Marc-Antoine reconnu avoir acheté des peintures à un certain Mauc In et que celui-ci avait imité la signature des peintres. Une enquête révéla que ce dernier était décédé depuis trois ans, son atelier, ses biens disséminés par ses héritiers ; il vivait pauvrement de sa peinture. Cette affaire s'arrêta-là. Avait-il signé d'autres oeuvres ? Un doute, une fois de plus, qui resta à jamais non-élucidé.

Six ans de procès, condamnation de 6 ans pour Marc-Antoine, acquittement pour Marie-Ange. Personne ne fit appel.

Après ces longues, très longues journées, ces mois d'attente, ces années de tentions, malgré la présence si gaie d'Angelina et le fait que Armand et elle se soient amusés à se représenter le désagrafage des toiles, sur ordre du Juge, mais également par des particuliers et, qui sait, par des musées, des galeristes et d'autres marchands d'arts, il resta à Marie-Ange un zeste de malaise, de culpabilité tout au long de sa vie à l'idée que les toiles qu'elle avait signées des maîtres aient été probablement attribuées à ce pauvre Mauc In dont le souvenir était ainsi sali, mais qui se souvenait de lui, à part elle ? Que sont devenues toutes ces oeuvres entassées dans la salle sans fenêtre se demanda-t-elle longtemps ? Quelques années plus tard, elle crut reconnaître deux tableaux de sa main dans une vente aux enchères faite par une prestigieuse maison... « D'autres auraient-ils été vendus à l'étranger » comme le suggérait Armand, « ou brûlés » ajouta-t-il avec humour. Toujours est-il que ce ne fut pas Marie-Ange qui bénéficia de leur plus-value, ceci la consola quelque peu.




vendredi 19 juin 2015

Une cave - un galetas : 13 L'affaire Marc-Antoine


La quiétude du couple berçant leur petite fille fut interrompue brusquement par le scandale que souleva « l'affaire Marc-Antoine » sous l'accusation de faussaire en art ; sa femme l'avait dénoncé ; elle produisit des brouillons de lettres, des reçus, de faux certificats d'authenticité, des photocopies de correspondance avec d'autres marchands d'art, des photos de peintures prises dans de bizarres circonstances, tout un arsenal à trier par le juge d'instruction avant de pouvoir passer en audience publique. Deux ans plus tard s'ouvrit le procès.

1) Dépôt de plainte - enquête
2) Information judiciaire – un juge d'instruction ordonne perquisitions, expertises, auditions des deux parties, confrontation des témoins
3) Audience publique
4) Jugement
5) Appel

Ces cinq points du déroulement d'un procès et leur lenteur restèrent à jamais gravés dans la mémoire de Marie-Ange qui dit à la fin : jamais plus !

Ce jour là fut celui des témoins, appelés par l'avocat de la défense, qui se succédèrent à la barre. Marie-Agnès Valiard bras droit de Marie-Ange à la Galerie, qui y travaillait depuis 8 ans, soit dès l'ouverture première des salles d'exposition, déclara avec force de détails qu'il y avait toujours eu deux à trois copies au premier étage, le rez étant réservé à René de Vermeille. Ces tableaux là étaient mentionnés
 « d'après tel ou tel », ou « copie selon X », proposés au prix de 1000 à 3000 euros ; d'autres portaient les lettres « PP », soit propriété privée. Oui, ils étaient signés Marie-Ange ou Mav. Oui, elle en avait vendus quelques uns et rappela qu'elle avait présenté des reçus mentionnant le genre et le prix des toiles, documents remis aux instances judiciaires. A la question : « En avez-vous signés, vous qui avez les mêmes initiales que la prévenue ? » « Oh non, votre Honneur, cela ne me serait jamais venu à l'idée, s'écria-t-elle indignée ».

D'autres témoins défilèrent, attestèrent qu'ils possédaient des copies de Marie-Ange et deux d'entre eux affirmèrent que leurs parents, pères ou oncles, en avaient achetés. Ils se souvenaient très bien les avoir vues accrochées chez eux. Ils avouèrent que ces tableaux avaient été achetés pour garnir les murs, en remplacement des authentiques vendus ; cela bouchait les trous ! Rires dans l'assistance. Là s'arrêtèrent les questions, on ne leur demanda pas de produire les oeuvres, fort heureusement.

L'essentiel, pour Marie-Ange, était que toutes ces personnes témoignent qu'il était un fait reconnu qu'elle faisait des copies depuis de nombreuses années. D’ailleurs, les témoins mélangeaient les dates d'achat avec celles de l'exposition « A la manière de » faite à la galerie, déjà trois ans en arrière. Le but semblait atteint.



vendredi 12 juin 2015

Une cave - un galetas : 12 Une scène


C'était le début de l'été, Armand était parti en Ecosse, invité par des amis alors que Marie-Ange recevait son fils et allait passer un mois dans le midi de la France, ainsi qu'elle le faisait chaque année avec lui depuis son divorce.

Alain était arrivé les cheveux ébouriffés, les pantalons en tire-bouchon et un teeshirt sale, anormalement agité, le regard vitreux, prêt à affronter la scène qui suivit :

  • Je commence à en avoir assez de te refaire une garde-robe chaque été, tu as 19 ans et tu devrais étudier sérieusement, je ne vais pas t'entretenir ad vitam aeternam.
  • Toi, tu entretiens bien ce bon à rien d'Armand !

Marie-Ange était devenue pâle et se retint à temps de ne pas le gifler. Avec effort elle reprit son calme, c'était toujours ainsi qu'elle avait le dernier mot avec son fils, croyait-elle.

  • Papa m'a coupé mon argent de poche, fit-il en triturant sa casquette qu'il tournait et retournait entre ses doigts, et je dois de l'argent à un copain qui promet de me tabasser si je ne le rembourse pas rapidement.
  • Et tu oses traiter Armand de bon à rien alors que tu perds un argent que tu n'as pas, car je pense qu'il s'agit d'une dette de jeu.
  • Il a ruiné sa famille !
  • Et bien je ne me laisserai pas ruiner par toi ! Et puis Armand n'a pas ruiné sa famille, il s'est malheureusement trouvé à la mauvaise place, au mauvais moment. Cela suffit, je ne vais pas te raconter sa vie et, lui absent, il ne peut se défendre. Pour clore ce sujet, voici 1'000 euros, ça fera patienter ton créancier, et dorénavant je te dirai non, non et non. Si c'est pour payer des études, une formation professionnelle ou un dentiste, tu m'apporteras la facture et je verrai pour la payer. Bon là-dessus, partons t'habiller, mais cette fois les achats seront minimalistes.

Alain fit semblant d'être contrit en baissant la tête, mais rassuré avec cet argent dans la poche, il n'en espérait pas autant. Maintenant il sait qu'il devra ruser pour obtenir ce dont il a besoin, mais de la ruse, il en avait. Docilement, il suivit sa mère. Il n'a même pas demandé des nouvelles d'Angelina, pensa tristement cette dernière.

Quelques mois plus tard éclatât "L'affaire Marc-Antoine"


vendredi 5 juin 2015

Une cave-un galetas 11 : Douce soirée


C'est une douce soirée de la mi-septembre, dans la prairie laissée au naturel, les grillons se sont tus ; les vignes tirées au cordeau s'éloignent en mouvance sur un terrain vallonné et disparaissent dans un creux profond ; un champ laissé en friche se repose, respire comme une aquarelle, au loin le pied des montagnes roussissent, les forêts d'épicéas virent dans un ton de vert très sombre, par jeu des couleurs. Le sommet des montagnes rosi, se pare d'orange indien, juste un fugace instant. Le soleil baisse à l'occident, va disparaître derrière la rondeur de la terre pour éclairer d'autres continents, d'autres océans.

Les érables lancent des flammes éphémères, s'éteignent ; les feuilles des cerisiers ont pris une couleur cramoisie, transparente, éclairées de dos, puis se fondent dans la nuit. Les ombres se sont allongées, les jours, déjà, sont plus courts.

Sur la terrasse, les lanternes aux bougies oranges sont allumées, Madelon a apporté un plateau de rissoles à la viande, toutes chaudes avec une bouteille de rosé d'Anjou, et après leur avoir souhaité une bonne soirée, elle se retira. Pris par la beauté changeante du paysage, Marie-Ange et Armand étaient restés silencieux ; couchés côte à côte sur des transats, ils se tenaient la main, la serrant de temps à autre. Trois nuits plus tôt, Marie-Ange avait placé la main d'Armand sur son ventre, l'y avait promenée. Lui, décidément, ne comprenant rien à rien, il fallut qu'elle lui dise : « je suis enceinte ». La main d'Armand, comme électrifiée, se retira précipitamment et il resta sans voix.

  • Dans la folie qui a précédé et suivi le vernissage, j'ai dû oublier de prendre la pilule.
  • Je croyais mes minis spermes stériles, ou tout au moins très peu actifs.
  • Que faisons-nous Armand. Vous avez 49 ans, j'en ai 4 de moins, est-ce dangereux à mon âge d'avoir un enfant ? Et le voulons-nous vraiment ?
  • La décision vous appartient en premier, c'est vous qui allez le porter et le mettre au monde. Un avortement reste toujours un traumatisme pour la femme, quoiqu'on en dise. De mon côté cette idée me ravit, ne trouvez-vous pas que cette maison est un peu trop grande pour nous seuls ?
  • Il me semble que vous avez déjà choisi. De mon côté ce qui me retient c'est peut-être la différence d'âge avec mon fils. Quelle scène va-t-il me faire s'il pense à l'héritage à partager, et il y pensera.
  • Excusez-moi, mon coeur, de vous parler ainsi : il est temps de votre part, de prendre vos distances par rapport à Alain. Un petit être fragile duquel vous occuper serait salutaire, je pense.
  • J'espère qu'il vous ressemblera.
  • Pas trop tout de même, et si c'est une fille, je préférerai qu'elle irradie votre beauté, je vous aime mon coeur.
  • Flatteur ! Je vous aime aussi.

Et en même temps, tous deux se dirent l'un à l'autre : « Alors pourquoi ne pas garder ce fruit de notre amour ». Ainsi, 7 mois plus tard, naquit Angelina.