vendredi 27 novembre 2015

Un euro million 10 Un musée


10 UN MUSEE

  • Ainsi, continue Laure, j'ai acheté la maison de la Grd'Rue n0 3, enfin la moitié, l'autre l'a été par la Commune, conjointement avec le Département du Patrimoine culturelle où un musée de la Reliure s'y installe en ce moment ; déjà un grand nombres d'outils sont exposés dans des vitrines :
poinçons
tranchefils
compas
équerres
couteau à parer
ciseaux à découper les cuirs
pinces à nerf
plioirs pointus
presse à dorer les tranches des livres
cousoir en bois pour tendre les ficelles
presse à endosser
scalpel
traçoir en bois d'if
marteau à endosser
scie à grecquer
  • Mais que vient faire là-dedans cette histoire de clé dont tu me parles et reparles ? dit Jehane de plus en plus impatiente.
  • Mais ces outils, c'est le trésor que j'ai trouvé dans la malle, dans une deuxième malle derrière celle-ci et à part, plus au fond du galetas, un étau à livre avec un magnifique volant en fer forgé et une presse à percutions, fort lourde. J'ai fait don de tout cela au Fond pour la reliure ancienne qui travaille en collaboration avec le Département culturel et la commune de Tours. La conservatrice du nouveau musée m'a mandatée, avec un petit budget que je rallongerai certainement de ma poche, pour dégoter d'autres outils spécifiques à la reliure ; ils ont souvent des manches en bois, et, comme tu le sais, j'en connais la variété des textures.
  • Oui, je me souviens combien tu aimais te promener dans la scierie de Victor, humant les parfums dégagés par les billots de différents bois fraîchement coupés, tu savais les différencier rien qu'à leur odeur. Tu ramassais aussi certaines essences de copeaux pour les mettre autour des rosiers, dans les plates-bandes et tu savais quelles étaient celles qui convenaient à telle ou telle fleur, j’avais trouvé cela très étonnant.
  • C'est curieux comme certains dons peuvent ressortir et trouver subitement une nouvelle voie dans laquelle s'exprimer, fit Laure, rien n'est jamais perdu.
Les deux amies restèrent encore un long moment assises sur leur banc à échanger souvenirs et projets. Laure fit part à Jehane d'une idée survenue au moment même de leurs retrouvailles et toutes deux quittèrent les lieux en fredonnant « La grande vie » de Benabar.

suite du récit le 4 décembre




vendredi 20 novembre 2015

Un euro million : 9 Amitié


 9 AMITIE

Marchant en pestant contre ses hauts talons et les pavés irréguliers de la rue principale de Tours, Laure s'arrête nette, l'autre, arrivant en face, fait de même. «  C'est toi, c'est bien toi » disent-elles en même temps. Elles tombent dans les bras l'une de l'autre, se reculent pour mieux se regarder, des gouttes de rosées perlent au bord de leurs cils.

L'amitié est faite de partage. Plus la rencontre est tardive, plus elle risque d'être courte, elle s’évanouit dès que l'on ne partage plus rien. Dans l'amitié qui vient de l'enfance, il reste toujours ces souvenirs complices que l'on retrouve chaque fois que l'on se revoit, même après plusieurs années de séparation. Ainsi est l'amitié entre Jehane et Laure. Elles avaient sauté ensemble à la corde, regardé les même garçons, s'étaient séparées lors de leur mariage respectif, s'étaient revues quand leur garçon fréquentèrent la même école, la même classe ; puis Jehane quitta le pays, suivant son mari à Johannesburg, appelé à de plus hautes fonctions.

    Bras-dessus, bras-dessous, toutes deux traversent la place et s'assoient sur un banc du parc municipal. A la double et même question posée comme d'une seule voix «  que fais-tu ici ? » , Jehane est la première à s'expliquer :
  • A la suite d'un infarctus, Jacques est décédé subitement, alors je suis revenue au pays. J'habite dans la maison de mes parents, ici, à Tours.
  • Moi aussi, fait Laure, je suis entrain d’emménager.
  • C'est pas croyable, s'exclame Jehane, comment cela se fait-il ?
  • C'est à cause d'une clé !
  • D'une clé, de quelle clé parles-tu ?
  • Celle qui m'a permis d'ouvrir une grande malle entreposée dans mon galetas, répond lentement Laure
  • Mais raconte, fait Jehane, pressante.
  • Cette clé m'a ramenée à Tours où j'espérais ne plus remettre les pieds car cette ville a été témoin du commencement de mes trois années de folie. Mais tu le sais, sans doute.
  • Oui, bien sur, Tours est une petite ville de 60'000 habitants et nous sommes connues. Je t'ai toujours défendue en disant : « c'est son argent, pas le vôtre, libre à elle d'en faire ce qu'elle veut ».
  • Ainsi est la véritable amitié. Bon, je reprends. Cette clé m'a donc conduite ici, auprès du conservateur des archives communales, je voulais savoir où se situait la maison de mon grand oncle maternel Jules Sismon. Sismon est le nom de jeune fille de Maman qui m'avait raconté l'histoire de son atelier de reliure. Nous avons retrouvé son emplacement, derrière la gare, mais le quartier a été rasé pour faire place à ces affreux immeubles locatifs et bon marché.
  • Tu me fais languir, je m'y perds, viens-en au fait.
  • Excuse-moi, mais plus je raconte et plus je comprends le rôle merveilleux joué par cette clé dans ma vie actuelle. D'ailleurs, je l'ai encadrée et suspendue dans mon magasin.
  • Ton magasin ? J'y comprends rien de rien !
  • Donc, je vais commencer par le commencement.

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c'est-à-dire, par le chapitre 8 que vous lecteurs, lectrices avez déjà lu. Alors rendez-vous le 27 novembre pour la suite de ce récit.




vendredi 13 novembre 2015

Un euro million : 8 La clé


8 LA CLE

Sous les combles elle découvre la cause de la fuite d'eau : cela vient du toit, elle voit le ciel entre des tuiles disjointes. Elle continue son inspection, s'aventure de coins en recoins, là où elle se faufilait enfant à la recherche d'un trésor, d'une terre imaginaire, inexplorée, plus encore de vieilles nippes à revêtir avec ses cousines pour jouer à la princesse, au docteur ; ah ça, c'était avec les cousins ! Tiens, cette grosse malle avec son couvercle en dos d'âne recouvert d'un papier à fleurs jauni, Laure n'avait jamais su ce qu'elle contenait. Et bien c'est le moment de le découvrir, se dit-elle.

Impossible d'ouvrir cette malle ; avec plus de mal que de bien, elle la tire sous la lucarne et constate qu'il faut vraiment une grosse clé pour l'ouvrir. Se souvenant d'un tiroir à la cuisine plein d'un ramassis de vieilles clés, elle remonte avec celui-ci, mais elles ne sont pas assez grosses. Elle réfléchit : l’atelier de Victor ! Tiens donc, cela faisait trois ans qu'elle n'y pensait plus ; la folie guérirait-elle de trop d'attachement ?

L’atelier est attenant au garage, monté sur un socle en béton, des lattes de bois tout autour, un toit de tôle ondulée au-dessus, suivit d'un hangar dont elle ouvre la porte et constate que son fils y a entreposé son canapé bleu devenu vieux, une table brûlée en son milieu, des chaises qui ne sont pas à elle. Laure sourit : ainsi Marc a utilisé cet endroit sans lui en parler ; alors exéco mon ami, je n'ai rien dit, toi non plus, mais moi je ne te le reprocherai pas, il y a des événements qui maintenant n'ont plus aucune importance, mon ordre des valeurs s'est modifié.

Laure pénètre enfin dans l'atelier. La fenêtre est entre-ouverte, le sol balayé, on y a travaillé récemment. Entretenir l'atelier et pas la maison, il y a des mesquineries inattendues... « Passons, cherchons » dit-elle tout haut. Il y en a de ces clés, combien de générations d'occupants les ont-ils laissé traîner ? Pourquoi les garder ? Il y en a qui sont minuscules, d'autres très longues, plates ou rondes, épaisses, toutes les forme de dents. Là, sous l'établi, une caisse de bois clair en est pleine ; elle en prend une très lourde dans la main, un beau travail d'artisan forgeron, presque de l'art. Elle veut soulever la caisse pour l'emporter, mais le poids l'arrête. Elle en saisit cinq au hasard et remonte sous le toit. Aucune n'entre dans la serrure ; c'est alors qu'elle remarque que la serrure a une tige métallique en son centre, il faut donc une clé vide en son milieu, voilà qui va permettre une sélection.

Fourrées dans un sac, Laure remonte avec 15 clés, cette fois conformes à la serrure, croit-elle, mais elles n'entrent toujours pas. Bien sûr, suis-je stupide, marmonne-t-elle, la tige métallique n'est pas ronde, elle a une forme de losange. Elle redescend en pensant qu'il faudrait un ascenseur pour l'aider dans tous ses va-et-vient pour une vieille malle.

Pas de clé en losange dans l'atelier. Où chercher ? Il reste la cave. On est têtue ou on ne l'est pas ! Pas possible tout ce désordre, cette accumulation d'objets disparates, cassés, conservés, entassés, oubliés. Elle réfléchit : où cacherais-je une clé importante ? Pas sous le paillasson, ni sous le pot de fleur. Dans un coffre ? Ne soyons pas ridicule, cette clé n'est pas si importante, elle a été délaissée dans un endroit improbable, illogique. Dans les toilettes ? Elle y fait un tour, rien. Elle a été sans nul doute jetée au hasard, déplacée de gauche à droite, au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux dépôts. Alors elle est dessous, sous quoi ?

Assise au soleil dans le jardin, côté cuisine, devant un café-croissants à l’arôme invitatif, un éclair illumine ses réflexions : la chambre de grand- mère ! Celle qui est devenue la chambre d'amis et qui a une grande armoire pleine de draps brodés mais qui ne servent plus depuis longtemps. Enfin, je te tiens, là, cachée entre deux piles de linge !

Est-ce la clé du paradis ou des songes, la clé qui ouvre la boîte de Pandora ou la caverne d'Ali Baba ?

Quelques semaines plus tard, Laure fit réparer le toit et mit la maison en vente.


suite le 20 novembre

vendredi 6 novembre 2015

Un euro million : 7 Une serrure


7 UNE SERRURE

Elle tourne la clé dans la serrure, bruit métal rouillé, les gonds de la porte grincent. Une odeur de renfermé, de vide, de silence, l'accueil. Elle passe machinalement la main sur la commode et soulève un nuage de poussière. Le salon est plongé dans l'obscurité, les volets fermés. Dans la pénombre elle distingue une masse de journaux, de lettres, éparpillée sur le sol tout autour de la table. Elle tourne un bouton, un deuxième, pas de lumière. Dans la cuisine, elle se précipite pour ouvrir la fenêtre mais la poignée lui résiste. Le bois a du travailler, gonfler, se déformer. Le frigo est béant, vide. Que croit-elle ? A l'étage, ça sent le moisi ; en levant la tête elle remarque des ronds d'humidité au plafond de la chambre. Une fuite d'eau ? Son fils n'a rien surveillé malgré ses 2-3 téléphones qu'elle lui fit pendant son absence, vexé probablement qu'elle soit partie sans l'informer, maintenant elle est de retour sans prévenir. Au fond, heureusement pour elle, l’Ère Internet n'est pas encore arrivée, elle aurait été poursuivie jusqu'au bout du monde, sans avoir un instant de répit.

Elle fait le tour du jardin, la porte du garage est toujours de guingois, pas de voiture bleue. Le potager est envahi d'orties, les hortensias ont séché, quelques plantes vivaces vivotent dans les plates-bandes. Elle s'arrête, se fige devant la niche vide. Toby ! Mon compagnon si fidèle, aux yeux si doux quand tu me regardais ; tu as erré longtemps solitaire dans les rues du village, suivant nos pas, t'arrêtant devant « Chez Charles », gémissant, mangeant de moins en moins. Aucun homme n'a eu pour moi un tel amour et je t'ai abandonné. Le menton de Laure tremble, ses jambes ne la portent plus, elle s'assoit sur les escaliers de pierre. Trois ans de folie ont passé, l'argent rend fou, de cela elle n'en doute plus.


suite le 13 novembre