vendredi 29 avril 2016

Deux vies parallèles : 8 Résistante

8 RESISTANTE

Vêtue généralement de gris, parfois de beige, sans aucun signe distinctif, une vieille sacoche de « 14 » en bandoulière, je passe inaperçue. On ne me voit pas, on ne me remarque pas, parfait pour parcourir les rues de Paris livrant messages, lettres et ordres aux résistants. Ces faits vestimentaires qui me sont reprochés sont devenus subitement des qualités : « passe-muraille » est mon nom de code.  Pour la première fois de ma vie, je fais partie d'un groupe, j'y suis la bienvenue, intégrée, reconnue ; je partage avec lui des nuits sans sommeil, à l'écoute de Radio-Londres, cachée tantôt chez les uns, tantôt chez les autres. Une grandeur folle, une exaltation communicative nous animent, nous poussent à défier l'occupant.

Pédalant sur mon vieux vélo, je sens que des ailes poussent dans mon dos ; pour la première fois j'ai envie de chanter, de rire : nous avons le même espoir, nous vivons pour le même but, chacun à notre façon : libérer la France de l'occupant. Nous ne connaissons nos chefs de réseau que par leur prénom, ils nous en disent le moins possible, juste le nécessaire : moins nous en savons, moins nous aurons à les trahir si nous sommes pris et interrogés, car nous parlerons, c'est certain.

Sincèrement, oserais-je le dire au milieu de toutes ces noirceurs,
ces peurs, ces deuils ?
Oui, se sont-là les plus belles années de ma jeune vie.

Depuis mon enfance passée dans les Halles, les points cardinaux n'ont plus de secrets pour moi, quel atout dans mes livraisons ; les rues de la capitale ne sont plus des dédales énigmatiques. Je varie mes itinéraires, j'ai modifié mes heures de livraison depuis que je me suis fait fouiller par la Gestapo, un mauvais moment à passer, mais mon air absent, non concerné, les a bernés, ils n'ont pas enquêté plus loin. Sur le conseil d'un gars de la Résistance, je me suis inscrite à un cours de littérature française dans une école à l'autre bout de Paris, ainsi sont justifiées mes allées et venues. De temps à autre, j'y fais acte de présence ; mon prof m'a fait le signe de reconnaissance, je lui ai répondu par le mien. Il est « des nôtres » et je me sens protégée, il saura écarter les intrus s'ils venaient à prendre des renseignements sur moi. Un matin, une seule fois, quelqu'un passa voir si j'étais là. Mon prof répondit que j'avais cours seulement l'après-midi. Et cet après-midi justement j'y étais mais l'homme ne revint pas. Sur mon porte-bagage, j'ai attaché des livres et deux classeurs que je remplis de notes le soir à la maison. J'y ajoute des commentaires et appréciations de mon prof, ainsi le tour est joué pour le cas où ...

Je passe entre les mailles du filet qui se sont resserrées depuis que les alliés ont débarqué en Normandie et progressent vers Paris. Comment ai-je échappé aux bombardements, aux fusillades, aux conséquences des contrôles qui auraient pu être désastreuses, à tant de malheurs ? C'est peut-être par ma façon d'être, je n'en sais rien ; c'est ainsi, je suis comme cela et on ne m'a pas demandé d'être autrement, là est peut être le secret du simple bonheur de vivre.


Suite du récit le 6 mai 2016












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