8 RESISTANTE
Vêtue généralement de
gris, parfois de beige, sans aucun signe distinctif, une vieille
sacoche de « 14 » en bandoulière, je passe inaperçue.
On ne me voit pas, on ne me remarque pas, parfait pour parcourir les
rues de Paris livrant messages, lettres et ordres aux résistants.
Ces faits vestimentaires qui me sont reprochés sont devenus
subitement des qualités : « passe-muraille » est
mon nom de code. Pour la première fois de ma vie, je fais
partie d'un groupe, j'y suis la bienvenue, intégrée, reconnue ;
je partage avec lui des nuits sans sommeil, à l'écoute de
Radio-Londres, cachée tantôt chez les uns, tantôt chez les autres.
Une grandeur folle, une exaltation communicative nous animent, nous
poussent à défier l'occupant.
Pédalant sur mon vieux
vélo, je sens que des ailes poussent dans mon dos ; pour la première
fois j'ai envie de chanter, de rire : nous avons le même
espoir, nous vivons pour le même but, chacun à notre façon :
libérer la France de l'occupant. Nous ne connaissons nos chefs de
réseau que par leur prénom, ils nous en disent le moins possible,
juste le nécessaire : moins nous en savons, moins nous aurons à
les trahir si nous sommes pris et interrogés, car nous parlerons,
c'est certain.
Sincèrement, oserais-je
le dire au milieu de toutes ces noirceurs,
ces peurs, ces deuils ?
Oui, se sont-là les plus
belles années de ma jeune vie.
Depuis mon enfance passée
dans les Halles, les points cardinaux n'ont plus de secrets pour moi,
quel atout dans mes livraisons ; les rues de la capitale ne sont
plus des dédales énigmatiques. Je varie mes itinéraires, j'ai
modifié mes heures de livraison depuis que je me suis fait fouiller
par la Gestapo, un mauvais moment à passer, mais mon air absent, non
concerné, les a bernés, ils n'ont pas enquêté plus loin. Sur le
conseil d'un gars de la Résistance, je me suis inscrite à un cours
de littérature française dans une école à l'autre bout de Paris,
ainsi sont justifiées mes allées et venues. De temps à autre, j'y
fais acte de présence ; mon prof m'a fait le signe de
reconnaissance, je lui ai répondu par le mien. Il est « des
nôtres » et je me sens protégée, il saura écarter les
intrus s'ils venaient à prendre des renseignements sur moi. Un
matin, une seule fois, quelqu'un passa voir si j'étais là. Mon prof
répondit que j'avais cours seulement l'après-midi. Et cet
après-midi justement j'y étais mais l'homme ne revint pas. Sur mon
porte-bagage, j'ai attaché des livres et deux classeurs que je
remplis de notes le soir à la maison. J'y ajoute des commentaires et
appréciations de mon prof, ainsi le tour est joué pour le cas où
...
Je passe entre les
mailles du filet qui se sont resserrées depuis que les alliés ont
débarqué en Normandie et progressent vers Paris. Comment ai-je
échappé aux bombardements, aux fusillades, aux conséquences des
contrôles qui auraient pu être désastreuses, à tant de malheurs ?
C'est peut-être par ma façon d'être, je n'en sais rien ;
c'est ainsi, je suis comme cela et on ne m'a pas demandé d'être
autrement, là est peut être le secret du simple bonheur de vivre.
Suite du récit le 6 mai 2016
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