vendredi 25 novembre 2016

Courts récits : 10 Ferdinand

9 FERDINAND

Je suis une grande bâtisse de bois avec une porte cochère au-dessus d'un pont de terre sur lequel et sous laquelle passaient les chars de foin qu'il fallait vider à coups de fourches et entasser dans ma grange aux poutres larges, puissantes, chevillées entre elles, soutenant un immense toit de tuiles beiges et brunes, certaines recouvertes de fleurs de lichen.

Dans ma partie est, faite de brique rouges, habite Ferdinand, seul ; il a tant d'années qu'il ne les additionne plus. Le savez-vous, je l'ai vu naître et il doit bien avoir 70 ans ou plus, je ne sais pas compter ; enfin il me semble que c'est encore jeune à notre époque.

Les enfants sont partis à la ville, il n'y a plus de cris autour de la maison, plus de rires étouffés dans le foin ; les tracteurs se sont tus, le fourneau reste trop souvent bien froid.

A côté, dans la dernière maison du village, vit Zozote, enfin c'est ainsi que tout le monde la surnomme, au point d'avoir oublié son nom de baptême, et parce qu'elle zézaie un peu. Garnements qu'étaient Ferdinand et ses copains, ils en riaient, se moquant ouvertement d'elle, alors que leurs aînés chuchotaient entre eux qu'elle devait être un peu « retardée ».

Faisant des va-et-vient incessant dans les escaliers, arpentant sa grange vide, regardant tristement son jardin potager où subsistaient quelques poireaux jaunis et deux choux levés, Ferdinand se demandait que faire de sa vie si solitaire. Il jeta un coup d'oeil indifférent à sa voisine la Zozote, et prit soudainement conscience qu'elle bêchait son potager. Il y remarqua de grosses tomates murissantes, une alignée de haricots, de si belles salades. Puis des yeux, lentement, il parcourut, comme pour la première fois, les lézardes dans les murs, le toit dangereusement incliné, les fenêtres de guingois de cette vieille maison, si près de la sienne.

Une lueur de joie subite visita son coeur... Peu de temps après, lui, serrant sa main à elle dans la sienne, je les observais tous deux faisant le tour des communs, enchantés par ma solidité, ma vastitude, mon confort et je les vis monter les escaliers et disparaître dans mon intérieur.



Cette affaire fit le tour du village : vous pensez la Zozote avec le Ferdinand, c'est' y dieu pas possible ! Et tu as vu le jardin potager du Ferdinand, et les courses qu'il fait au marché le samedi. Ça sent même bon quand on passe sous ses fenêtres. Et ça zozotait, ça zozotait sur la grande place, au café, parfois même on entendait des chuchotements à l'église le dimanche matin :

  • T'as vu la Zozote avec sa nouvelle robe, c'est' y dieu pas possible !

Avec mes volets repeints de neuf, je suis une grande bâtisse de bois et sous mon toit protecteur monte des rires et des chants ; des petits pas courent sur mon plancher. Dehors des tables aux nappes blanches attendent des convives. Mon coeur de ferme est plein de renouveau.





vendredi 18 novembre 2016

Courts récits : 9 Mais non !


8 MAIS NON !


  • Je leur marchais dessus...
  • Comment ça, tu leur marchais dessus ?
  • Ah oui, nous étions au Col de la Croix...
  • Qui ça nous ?
  • Bin les copains-copines
  • Ah tu étais avec un groupe de marcheurs
  • Mais non, enfin oui, nous marchions et je leur marchais dessus
  • Tu marchais sur les copines-copains ?
  • Mai non, enfin, tu ne comprends rien, tu m'embrouilles avec ce délicieux parfum qui sort de ta cuisine...
  • C'est bien ce que tu m'as demandé de te cuisiner, non ?
  • Mais oui et je tente de t'expliquer que la première fois que je suis sortie avec la Société mycologique de la Riviera, nous étions au Col de la Croix et, étant novice en la matière, je marchais sur les minuscules chanterelles d'automne, chapeaux beiges et pieds oranges, si fines que je ne les voyais pas.
  • A table !
  • Quel régal, je me crois dans la forêt ; je la hume, la savoure, l'emporte avec moi, elle imprègne mes habits, me colle à la peaux, réjouit mon estomac, c'est divin. Merci chère Elizabeth.

vendredi 11 novembre 2016

Courts récits : 8 Exister

EXISTER

Cette grosse machine et tous ses tuyaux en forme de science-fiction , qui crache , suinte , fulmine , assourdit ; ce marteau piqueur , cette perforatrice qui te secoue de la tête aux pieds , te couvre de poussière , as-tu pensé à tes poumons ? D'où viens-tu ? D'un pays de l'Est, d'Afrique, plus loin encore, d'Amérique du Sud peut être. Avec ce bruit d'enfer tu ne peux pas m'entendre , mais , malgré tout je te dis ceci : quand je roule sur l'auto-route et que je te vois suant sous le soleil , coulant le béton, étalant le goudron brûlant , je ralentis en pensant à ta femme , à tes enfants.

***

Mon pinceau coure sur la feuille, tente de dessiner un pont pour nous relier , des arbres pour t'abriter de la chaleur , te vêt d'un manteau chaud en hiver .

***

Cette affreuse machine me fait penser à une planète fric : Hauts salaires indécents , bonus exonérés d'impôt , j'étouffe sous la montagne exorbitante des dettes . Même ma petite commune en a , des dettes .

Planète jeux : Le monde entier joue , a joué au moins une fois dans sa vie . Loto , loterie , c'est enfantin , mais qui joue avec les subprimes , qui spécule à la bourse , fait monter , ou descendre les cours du blé , du sucre , des matières premières ? OGM , Monsanto , Pharmas , jouez-vous avec notre santé ?

Planète poubelle : Tiens il y en a même une sur l'écran de mon ordinateur ! Je m'arrête , je me tais ! Mes neurones s'emmêlent à vouloir comprendre comment nous en sommes arrivés là , à chercher des solutions qui me dépassent , à peser les conséquences . Qui est responsable ?

***





Mon pinceau danse sur le papier , dessine une passerelle ; je m'y hasarde , me cramponne aux cordes , j'avance ... A l'autre bout , lui , l'ouvrier , avance aussi . Il a ôté son casque , ses gants , le vent emporte
la poussière de ses vêtements . Nous allons nous rejoindre , nous embrasser , nous serrer l'un contre l'autre .

Il me dira : « SURVIVRE »
Je lui répondrai : « EXISTER »

***

Et toi petite fille , spectatrice de tout cela , avec ton sourire , ta plume , tes pinceaux , tu existes aussi ,
tu existes dans un coin de ciel bleu , dans la brise qui caresse tes cheveux , le reflet sur l'étang , la pierre que tu ramasses sur le chemin , dans le chant des oiseaux , une nuit étoilée au firmament .

EXISTER




dessin de Françoise Dapples

vendredi 4 novembre 2016

Courts récits : 7 Complicité

7 COMPLICITE

La complicité, une entente ancienne et très jeune à la fois puisque 50 ans les séparent, cette grand-mère et ses petits-enfants. Des sourires échangés, des rires en cascades, une connivence dans les heures partagées, des balades, des visites de musées, de châteaux, des jeux, des pic bics en forêt, des feux avec de si bonnes grillades sentant le charbon de bois.
  • Vous vous souvenez, je vous avais enregistré des histoires sur cassettes
  • Oui, nous les écoutions le soir avant de nous endormir
  • Le bel habit de Tirili, n'est-ce pas ?
  • Que de fois nous l'avons mise, passée et repassée ; je pense que maman devait la connaître par coeur, aussi bien que nous !
  • Tirili, l'oiseau qui voulait que l'on peigne ses plumes en jaune
  • Et qui finit dans une cage comme un canari, pauvre moineau.
  • De plus il ne savait pas chanter, ajouta l'autre enfant devenu adolescent.
  • De cette journée à St-Tryphon où je vous avais montré l'ail des ours dont vous aviez rempli vos poches, j'en ris encore à la pensée de votre maman qui a du certainement vous plonger tout entier dans la baignoire pour enlever l'odeur !

Au Signal de Belmont, ensemble, ils sont allés chercher des petits bouts de bois, des pives, de la mousse, et ils ont construit une vaste ferme sur le sol, un jardin potager, un puits au milieu de la cour avec de petites pierres. Quelle fierté dans les yeux de ses autres petits-enfants en contemplant leur oeuvre.

Elle n'oubliera jamais le jour où elle avait lu son texte « Exister » et que son petit-fils lui avait dit : « il t'a fallu autant de force et de courage pour exister que lui pour survivre ». La maturité de ce jeune homme de 24 ans
l'a sidérée, et lui vaut toute son estime. Il a compris qu'elle a mis autant
de force et de courage dans la douceur, la transparence de ses aquarelles, en y ajoutant toutes ses expositions, simplement pour exister.

Aujourd'hui elle reçoit des e-mails de sa merveilleuse petite-fille qui lui raconte des détailles sur ses journées. Elle a si bien compris le message

de sa GDMum : « maintenez-moi dans le courant de la vie ».


Cette grand-maman a eu le privilège de ne recevoir que les bons côtés de ses petits-enfants car elle n'a pas eu à les élever. Leur complicité était dans le plaisir d'être ensemble. Elle menait le train, prévoyais, proposait, allait les chercher, longtemps ils ont suivis ; les temps ont changé, ils sont devenus adultes mais la complicité demeure, tous ensemble ils partagent de nombreux souvenirs heureux et de belles journées prévisibles et imprévisibles les attendent.