vendredi 30 octobre 2015

Un euro million 6 Trois petits Tours


6 Trois petits TOURS

Trois petits TOURS et puis s'en vont...





Effondrée dans un fauteuil du salon, pour la deuxième fois en peu de temps, Laure ferme les yeux, cherchant un réconfort qui ne vient pas. Elle se saisit d'un journal local qui traîne sur la table basse, le parcoure sans en retenir la moindre ligne, sauf ... elle revient à la page précédente, cette annonce :

TOURS

soirée festive          bal musette


Ce soir, maintenant, s'exclame-t-elle ! Elle court enlever sa vieille salopette brune enfilée ce matin pour jardiner, met n'importe quel pull, croit-elle, et un pantalon aux plis repassés, se saisit d'un sac en bandoulière, de ses clés, dévale les escaliers et disparait à l'angle du chemin, au volant de sa petite voiture bleue.

Ragaillardie par cet élan de jeunesse, l'air frais et joyeux de cette ville médiévale de Tours éclairée par des lampions multicolores, elle suit la Grd'Rue étroite, bordée d'anciennes boutiques, marche allègrement sur ses pavés ocres, longe une muraille, vestige d'une enceinte fortifiée. Le son de l’accordéon s’amplifie et l'attire sur la place centrale ; elle s'assoit au milieu de la foule sur une chaise bancale et suit des yeux les danseurs qui tournoient, voltigent, pas toujours dans le rythme. Subitement Laure sent une main chaude se poser dans le haut de son dos et une onde électrique parcoure sa colonne vertébrale, lui serre le bas ventre. N'avait-elle pas enfilé ce pull décolleté en V par derrière, oublié depuis longtemps dans son armoire ? Entre parenthèse, elle sait bien qu'elle a un joli dos.

Une voix lui murmure : « Allons danser ». La musique a passé d'une valse à un slow et son cavalier la serre de plus en plus fort contre lui. Elle appuie son visage dans l'échancrure de son tee-shirt, envahie par une odeur mâle, un parfum poivré. « Allons-nous en, ajoute-t-il, je connais une jolie auberge, pas loin d'ici ».

Bien coiffée, légèrement maquillée, vêtements à la mode, ainsi elle peut donner le change, paraître dix ans de moins. Mais le soir, fatiguée ? Et le matin au réveil ? Lui ? Beaucoup plus jeune, dix, quinze ans de moins, d'avantage ? Elle n'a jamais su évaluer l'age d'un homme ; de toute façon elle les préfère plus jeunes qu'elle. Il ne fit pas attention à leur différence d'age, ou sembla ne pas la voir.

  • Partons d'ici, je peux nous offrir une escapade et de petits hôtels.
  • Je peux nous offrir un cinq étoiles, enfin pour un temps.

Cette fois il la regarde, émerveillé... par son look ou par son argent ? Se pose-t-elle cette question, ce n'est pas certain et puis, elle s'en moque totalement ! L'homme lui plait, il a réveillé en elle des sensations, une soif oubliée.


suite le 6 novembre 2015

vendredi 23 octobre 2015

Un euro million 5 Des listes


5 DES LISTES

En faisant la liste de mes besoins, je me rends compte qu'être riche c'est voir le mauvais côté des choses murmure Laure : le tissu élimé de mon canapé, la chaufferie qui tousse, le mur froid de la maison côté nord, ce que je ne remarquais pas dans ma jeunesse, la porte du garage qui ne ferme plus, ma garde-robes démodée, mes rides, les vieilles casseroles de la cuisine, la chasse-d'eau qui quine, ma voiture qui a 12 ans. L'usure du temps...

Elle note ce qu'elle ne pourra jamais acheter, même avec tout l'or du monde : le retour de Victor, l'éternelle jeunesse, effacer mes erreurs, mes mauvais choix. Me garantir une place au Paradis ? Quelle utopie !

Un demi million à dépenser, c'est beaucoup pour celui qui a peu, presque rien pour un multimilliardaire. C'est vite loin, aussi vite qu'arrivé, dans de telles circonstances. Donc encore attention, toujours être vigilante. Alors une autre liste : ce que je ne peux pas m'offrir parce que trop cher : une île dans le Pacifique, un jet privé avec pilote, trois Rolls, un château en Espagne, en fait des choses dont je n'ai pas besoin et qui ne m'intéresse pas vraiment. Alors quoi ?

Le nécessaire, l'urgent : réparer la porte du garage ? Non, ça peut attendre. Faire un lifting ? Est-ce important ? Prendre un secrétaire comme me l'a suggéré mon fils ? Mi-temps 2'000 euros, 24'000 par an ; à ce rythme, dans 10 ans je n'aurai plus rien. Je lui ai suggéré, à lui et à sa femme, de venir habiter le 1er étage de ma maison. J'aurais agrandi la cuisine, mis une douche, fait une chambre supplémentaire sous le toit pour l'un des deux enfants, séparé le jardin en deux pour qu'ils soient indépendants. Malgré cela, ma belle-fille n'était pas chaude du tout, probablement que l'idée de la proximité de sa belle-mère lui déplaisait. Tout ce que je propose ne va pas. Ils ont certainement d'autres idées pour lesquelles ils auraient besoin d'argent, du mien évidemment !

Tout cela est négatif, négatif, absolument négatif ; si je continue ainsi, je vais me mettre à soupçonner tout le monde. Brusquement, prise d'un mouvement de colère, Laure se lève et quitte la pièce en claquant la porte.


suite du récit le 30 octobre 2015

vendredi 16 octobre 2015

Un euro million 4 Un chèque


4 UN CHEQUE

Environ trois semaines auparavant, Laure se trouvait à la Française des Jeux avec son billet gagnant et sa carte d'identité. Assis en face d'elle un homme costume-cravate, maigre, tiqueux, le cheveu rare, lui présenta son chèque en même temps qu'un psychologue qui avait pour mission de la mettre en garde des risques qui l'attendaient :

« Vous allez recevoir une pléthore de lettres d'amour, de haine, on vous proposera le mariage, on se fera passer pour un membre lointain de la famille en difficulté, vous recevrez des demandes d'argent par exemple pour une enfant gravement malade. Poussée par la cupidité, la convoitise et la jalousie, l'imagination ne connait pas de borne dans son inventivité : ruse, mensonges, trahison provoquant des drames, un divorce, vos enfants voudront leur part, vous pourriez faire une dépression, le suicide est bien connu dans ce genre de situation. Je vous rends attentive à ceci : l'argent qui arrive ainsi subitement, peut repartir tout aussi vite et le détenteur se retrouve même avec des dettes, une situation pire qu'au paravant.

Tout en écoutant, Laure tournait et retournait son chèque entre ses doigts, prenant lentement conscience du danger qu'il représentait. Elle avait entendu parlé de ce mari qui avait disparu, emportant le chèque ; et de cette femme, mariée sous le régime de la communauté de biens, qui ne pouvait rien en toucher sans le consentement de son mari, elles en avaient bien ri au Chit Chat ! Laure s'imaginait sortant de là son chèque enfoui tout au fond de son sac serré sous son bras, bousculée, recevant un coup et se le faisant voler, ce chèque de toutes les folies ouvertes. La peur lui fit dire :

  • Je ne veux pas de ce chèque et le tendit à l'homme présent qui, surpris, ébahi, se recula.
  • Non, je ne vous le donne pas, je veux simplement que vous versiez cet argent sur mon compte en banque, c'est trop dangereux de le garder sur moi, surtout après tout ce laïus. Comment se fait-il que vous ne le proposiez pas d'emblée ?
  • La coutume, c'est le chèque. Si le gagnant veut une autre forme de paiement, il faut qu'il le dise.
  • Et bien c'est ce que je fais.
  • Vous comprenez, si je vous verse cette somme sur votre compte, vous devrez payer 35 % d’impôt anticipé.
  • Et vous pensez qu'avec un chèque, je pourrai passer entre les goutte du fisc, comme si personne n'allait le savoir ?
  • C'est de votre responsabilité, à chacun son choix, fit l'homme costume-cravate.

Ah la bureaucratie, pensa Laure, on ne réfléchit pas, on exécute les ordres venant d'en-haut, même les plus bêtes, un point c'est tout.

Cependant, il fut fait selon son désire.


Suite le 23 octobre 2015

vendredi 9 octobre 2015

Un euro million 3 Le tri


3 LE TRI

Les jours suivants, les rares promeneurs marchant sur la petite route longeant sa maison, purent apercevoir Laure installée devant une grande table poussée contre la fenêtre de son bureau, sa machine à écrire ouverte à sa droite, elle penchée sur des montagnes de paperasses, la tête de son fidèle Toby appuyée sur ses genoux, comme pour la réconforter. Elle a fait quatre tas, la première pile « papiers à jeter », la deuxième « lettres à répondre », puis « factures à payer » et la dernière nommée « bizarreries ». Elle trie l'abondant courrier reçu. Au début, elle avait tout porté à la déchèterie, sans ménagement, tellement irritée. Seulement elle reçut ensuite des rappels d'électricité, de téléphone... Une fois de plus elle doit faire face à la situation. Enfin sa boîte aux lettres ne déborde plus depuis qu'elle y a collé « Publicité non merci ».

Bon et cette carte de visite de Mademoiselle Truc Muche, où la mettre ? Aucune pile ne lui convient ! Alors elle en commence une cinquième qu'elle nomme « les emmerdeurs ». Serait-elle devenue grossière, elle n'était pas comme cela avant. La première pile, c'est facile, direction grand carton pour la déchèterie, concernant la deuxième elle va envoyer la même lettre à tous, il faut bien qu'elle se simplifie la tâche. Elle tapote un brouillon sur sa machine, tout en veillant à ne pas fermer la porte, on ne sait jamais, cela peut-être important.

« Messieurs, Mesdames, Etant dans l'impossibilité de vous répondre pour le moment, vous voudrez bien patienter environ 3 mois et m'écrire à nouveau si votre présente lettre est toujours d'actualité. A ce moment- là, ma situation se sera éclaircie et j'étudierai attentivement votre demande afin de pouvoir vous dire si j'y donne suite ou non. Avec mes salutations ... etc »

Ceci étant fait, elle passe à la troisième pile «à payer » et prépare un ordre bancaire, comme d'hab dirait son petit fils. Ah, nous y voilà à cette quatrième pille « bizarreries ». Non d'une pipe, un faux, une imitation. Ah quel fourbe, voleur, perfide, tartufe... Elle s'emballe, s'arrête, repart, imagine : qui donc photocopie l'entête du papier à lettre de la Police Municipale en joignant une facture avec un bulletin de compte de chèque ? On lui a suggéré de porter plainte, mais la signature est illisible, le supposé détenteur du CCP ne répond pas au téléphone et son adresse est inexistante. En attendant, elle n'aurait pas été attentive en triant son courrier qu'elle aurait peut-être payé cette facture et pour se faire rembourser, niet ! Quelques personnes dans sa situation seraient-elles tombées dans le piège ?

Quant à porter plainte, non merci, elle en a assez des enquêtes, questions, suspicions, maladresses, tout ça pour une vitre brisée. Enfin, soyons juste, elle en a retiré un certain bien : les curieux ont déserté son jardin, plus personne ne l'arrête au village ; elle a même l'impression qu'on l'évite. Ce n'est pas trop dérangeant, au contraire, elle est moins tendue, plus libre dans ses déplacements ; elle doit s'y faire, c'est ainsi dans l'« après » !

Elle caresse la tête de Toby , le chatouille derrière les oreilles :

  • Allons , viens , faisons quelques pas dehors pour notre bien. Oui je sais tu boîtes encore un peu, nous nous arrêterons au café du coin, avec toi je suis rassurée.

Ils furent accueillis par un bonjour amical du Gros Charles. « Chez Charles », une salle sympa et légèrement voutée, comme son propriétaire, des tables aux nappes de coton à carreaux rouges et blancs, tels les rideaux contre les vitres à petits damiers. Quelle joie, là au moins, rien n'a changé. Le Gros Charles apporte une écuelle pleine d'eau pour Toby et Laure le gratifie d'un doux sourire et se plonge dans le journal .

  • Tu permets que je m'assoie à ta table , on ne t'as pas vue au « Chit Chat » la semaine passée. Tu sais on s'est souvenue que c'est un peu grâce à nous que tu as acheté ce billet de loterie.
  • Bonjour Andrée, comment vas-tu ? Et ton fils, est-il de retour chez toi après son long voyage en Asie , fit Laure, tentant de détourner la conversation.
  • Oui et il a trouvé un travail à la scierie.

Oh, pense Laure, sentant une pierre glisser dans sa poitrine et peser sur son coeur. Victor, pourquoi es-tu parti si jeune ? Tu sais, j'ai dû vendre ta scierie, oui je te l'ai déjà dit une multitude de fois. Vois-tu comme il serait doux maintenant, à l'aube de notre retraite, de nous promener la main dans la main dans les sentiers forestiers, admirant les troncs d'arbres, toi calculant en stères et moi griffonnant des dessins que je transformerais en points de croix sur le canevas.

Perdue dans ses souvenirs, elle ne prit pas garde au départ de sa copine qui a probablement compris, avant elle, que Laure ne reviendrait plus au « Chit Chat » du dernier jeudi de chaque mois.

Le Gros Charles s'est assis à côté d'elle et lui présente deux verres de vin rouge pour faire santé à l'un comme à l'autre et surtout remettre du rose sur ses pommettes qui en avaient bien besoin. Un simple geste, un mot réconfortant, en a-t-elle eu avant ? Dorénavant, elle y veillerait dans cet après. Tant de chose à apprendre sur elle-même, sur les autres.

Flip , flop... flop, flop... flip, flop, flop ! Les nuits suivantes, convaincue d'avoir rempli au mieux ses nouveaux devoirs, Laure s'endore le sourire aux lèvres en écoutant la pluie tomber sur le toit. Depuis son enfance, elle a toujours aimé entendre ce tambourinement sur les tuiles. C'est une chanson qui l'apaise, la fait rêver de beauté  sur la terre ; imaginer mille chimères ; gamberger, sauter par-dessus les montagnes, fantasmer d'un royaume irréel, dans la douceur d'être en harmonie avec l'univers.


Suite le 16 octobre 2015

vendredi 2 octobre 2015

Un euro million : 2 Gling, gling, bling


2 GLING, GLING, BLING !

Bang , gling gling bling ! Bang gling gling ! Un miroir qui tombe dans la cuisine ? Mais il n'y a pas de miroir à la cuisine ! Un trou en étoile dans la vitre, des bris de verre sur le carrelage... prendre un balai, nettoyer. Non ! Non ! Ne rien toucher ! Et cette grosse chaussure sur le sol, au milieu du verre cassé, elle allait se baisser pour la ramasser et, curieuse, la soupeser. Ah non, pas touche, c'est une pièce, heu, une pièce, une pièce à quoi ? Elle a pourtant lu assez de romans policiers dans sa jeunesse mais le mot ne lui vient pas, tout s'embrouille dans sa tête. Se reprendre, téléphoner au 117, il y a urgence.

Epuisée, effondrée dans un fauteuil, elle ferme les yeux. A-t-elle dormi ? Combien de temps ? Est-ce dans son sommeil qu'elle entend des sirènes ? Des lumières bleues, par intermittence, éclairent ses paupières closes. La police ! Ah pour la discrétion c'est parfait ! Il ne manque plus que la cavalerie Et tout à coup elle se sentit secouée de la tête aux pieds par un rire irrépressible. Plaquant un mouchoir sur sa bouche, elle ouvrit la porte d'entrée juste à temps pour entendre :

  • Eteignez donc cette foutue sirène !
  • Bonsoir tante Laure ... oh, es-tu blessée ?
  • Bonsoir David, non non, ça va, entre je t'en prie.

Laure n'est pas la tante de David. Seulement elle a été la grande amie de son père et ensemble ils ont fait les 400 coups pendant leur jeunesse. Lorsque ils se revirent, mariés chacun de leur côté, qu'il eut un fils et elle une fille, ils convinrent que leurs enfants les appelleraient oncle et tante pour souligner des liens devenus presque familiaux.

A 45 ans David est un beau grand gars, il a les épaules larges et porte bien les gallons de lieutenant de police sur son uniforme. Ses yeux, grands, bleus, bleu pervenche, semblent s'ouvrir en un regard émerveillé sur les gens et le monde qui l'entoure. Si vous le rencontrez, vous ne pourrez pas passer à côté de lui sans être subjugué par la luminosité de son regard.

  • Tu n'as rien touché, n'est ce pas, tante Laure, ni ce gros soulier au milieu des débris ? Il pourrait bien être une pièce à conviction.
  • Venez vous assoir, Madame, et buvez cette tasse de thé, elle vous fera du bien, dit une voix féminine à côté d'elle.

C'est qui celle-ci ? A-t-elle à peine pensé tout haut que la réponse arriva, immédiate : « Je suis Mademoiselle Truc Muche, psychologue et j'accompagne Police Secours pour le cas où quelqu'un de traumatisé aurait besoin de mon aide ».

« Hum hum ! Voyons l'intervention de la police est gratuite car elle est un service rendu à la population et payée par nos impôts, mais vous, vous demandez combien de l'heure ? »
Sur un signe de tête de David, Mademoiselle Truc Muche glissa sa carte de visite dans la main de Laure et quitta la maison d'une démarche un peu raide et contrariée.

  • Tante Laure, j'ai fermé les volets à la cuisine et je reviendrai demain vers 9 h avec un gars de l'Identité Judiciaire qui prendra des photos et relèvera les empreintes de pas dans le jardin, s'il y en a, car le terrain est très sec, il n'a pas plu depuis 5 semaines. Cette nuit, nous ferons une ronde dans le quartier et surveillerons ta maison, mais tu comprends, je ne peux pas laisser un homme devant ta porte, nous ne sommes pas assez nombreux pour cela. Ce gros soulier militaire au milieu de la cuisine pourrait bien appartenir à un paysan du coin et il était peut-être chez toi cet après-midi. Tu penseras à me faire une liste de ces personnes. Au fait, où est Toby ?

  • Toby est chez le vétérinaire, il a été opéré à une patte, je vais le chercher demain.
  • Ah oui, il est un bon compagnon pour toi.

Là-dessus, David se penche sur sa tante pour l'embrasser, lui dire au revoir ; Laure le retient dans ses bras et prend le temps de se baigner lentement dans ses yeux.

Cette nuit-là, elle eut de la peine à s'endormir, se tournant et se retournant dans son lit ; trop énervée par les événements, elle se mit à compter, recompter : 100'000 de dons, 35 % d'impôt sur gain en loterie, euh, voyons reste environ 560'000 francs. Déjà elle n'est plus millionnaire !


suite de ce récit le 9 octobre 2015