vendredi 28 octobre 2016

Courts récits : 6 Une citadelle

6 UNE CITADELLE

La forêt était sombre, mystérieuse, enfermée sur elle-même. Des bruits, des craquements, un vol furtif, le silence aussi, interrompu par les pas crissants de Martine sur les feuilles mortes ; elle se mit à traîner les pieds, froissants ce tapis comme elle le faisait dans son enfance. Devant elle le rideau d'arbres s'écarta, s'ouvrit à un vaste espace qui faisait place à un ciel d'un bleu doux, harmonieux, l'invitant à s'avancer. Les rayons d'un soleil levant ourla de rose l'horizon, révélant au loin un château, une ville peut être.

Les yeux ravis de Martine découvrirent une cité merveilleuse, citadelle gardienne de la vallée, s'élevant devant elle avec de majestueuses tours de verre sous des dômes argentés, dorés ; des ponts aux arches légères les reliaient, leurs barrières ajourées de fines dentelles se découpant sur le ciel, enjambant des terrasses qui descendaient en cascades et débordaient de fleurs aux vives couleurs.

Toujours en se rapprochant de la cité de verre, Martine aperçut son reflet dans les grandes vitres : sa jupe turquoise aux grandes poches, sa blouse aux manches courtes et bouffantes et ses cheveux bruns, mi-longs et bouclés. Surprise, étonnée, elle se vit multipliée par dix, par cent sur ces tours. Curieuse elle regarda de plus près et réalisa que sur cette façade elle portait un short vert, ultra court ; sur cette autre des cheveux raides, blonds, descendaient jusqu'à sa taille ; au-dessus, elle se vit en tunique blanche, à la grec, mesurant elle ne savait quoi ; puis derrière cet autre reflet elle distingua vaguement des toits en forme de pagode.

Ce n'est pas moi, pensa-t-elle ; pourtant une voix lui murmurait : « mais oui c'est bien toi ». Voulant en avoir le coeur net, elle tenta de se rapprocher encore, mais une brume diaphane, arrivant par l'est, voila le soleil, éteignit les dômes les uns après les autre, enroba les tours, les effaçant petit à petit. Autour d'elle tout était devenu ouateux, cotonneux .

Martine avait mal à la tête, son cerveau lui semblait brouillardeux, ses jambes tremblaient, elle sentait battre son coeur plus vite que d'habitude. Elle sursauta : une main chaude s'était posée sur son épaule. Une voix de basse, de chanteur d'opéra, qu'elle aimait tendrement, la tira de cette torpeur envoûtante, peut être même un peu inquiétante.

Cette voix profonde, chaleureuse, celle de son frère, lui demanda si elle était fatiguée pour s'être assise sur ce banc alors que les enfants jouaient, riaient, se pourchassaient autour d'elle. Il demanda à Guillaume d'apporter un verre d'eau à sa mère.

Le frère sourit à la soeur, sa soeur lui rendit son sourire et il lui raconta qu'il avait pu entraîner leur père jusqu'à leur cachette d'autrefois. Ils avaient donc traversé la forêt, marché sur le vieux pont en dos d'âne, passé au travers des champs de maïs, Jules répétant sans cesse de faire attention aux jeunes pousses, pour arriver enfin à ces blocs de pierres élevées, entassées n'importe comment, dont le frère et la soeur avaient bâti leur royaume, leurs châteaux, forteresses ou citadelles, inventant à tour de rôle des récits de chevaliers, de dames dans de sombres donjons, des hommes en armes partant pour les croisades. Jules, leur père, qui n'avait vu là qu'un ramassis de pierres juste bonnes à casser le soc de la charrue d'un paysan, entra, pendant de longues minutes, dans le monde romanesque de ses deux enfants. Il se demanda si c'était alors que sa fille Martine avait pris goût à la lecture, la littérature, l'écriture et fait naître les contes dont elle remplissait ses journées et ses cahiers ; Martine, vous l'avez compris, était devenue écrivaine.








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