10 LA MARMITE
Je
suis une grosse marmite ronde, joufflue, noire à l'extérieur,
presque brillante à l'intérieur à force d'avoir été récurée à
coup de brosse. Suspendue derrière le sac à dos, me voilà
brinquebalée au rythme de la marche de celui qui me transporte. Le
pas est devenu long, régulier, j'ai le temps de contempler les
champs de colza et à l'horizon les crêtes des Alpes vaudoises,
fribourgeoises, légèrement teintées de violet.
Le
pas se ralentit, devient plus lourd. Lui et moi, comme accouplés,
nous grimpons, mais moi, au dos de lui, je vois la descente ! On
tourne, on zigzague. Je compte les pas : vingt d'un côté,
vint-cinq de l'autre ; on tourne encore ; je guigne
pardessus de son épaule pour suivre l'itinéraire sur la carte-topo
qu'il tient dans la main et je compte 14 virages avant d'arriver au
sommet. Pourvu que je n'attrape pas le mal de mer alors que je n'ai
rien encore dans le ventre.
Arrivés
sur cette hauteur coupée de murs de pierres sèches limitant les
pâtures à herbes courtes et drues, protégeant les intrépides des
falaises qui forment le Creux du Vent, moi je suis toute fraîche et
lui en sueur ! Maintenant on m'a abandonnée au pied d'un sapin,
heureusement ses branches vont m’offrir une ombre bienvenue avec ce
soleil radieux, surtout quand approchera midi, il va « taper »
fort ; je m’endors puisque je ne serre à rien.
Des
petits pas suivis de rires, d'exclamations et je sors de mon
engourdissement sans rêve. Brusquement, sans ménagement, on me tire
par mon anse, verse, me semble-t-il, des kilos de légumes coupés,
deux litres d'eau froide par-dessus le tout et me voilà, cette
fois-ci, tout à fait réveillée. A côté crépite un feu de bois
et je passe du froid au chaud, sans transition ni cérémonie !
Savez-vous ce que cela me fait ces brusques changements de
température ? De quoi attraper la fièvre des escapades les plus
lointaines ...
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