vendredi 18 mars 2016

Deux vies parallèles : 3 Saqqarah

3 SAQQARAH

En 1929 mon père est appelé à diriger des fouilles à Saqqarah, en Basse-
Egypte. Il se plonge avec passion, une fébrilité extrême, dans l'étude de la construction des trois grandes pyramides: Khéops, Khéphren et Mykérinos, des géants jamais égalés.

A proximité de la pyramide à degré de Djoser, il découvre des sortes de patins en bois, ressemblant à des berceaux oscillants, qui pourraient avoir transporté, non pas des blocs de pierre, trop lourds (de 2 tonnes chacun, 2 millions 500 mille m3 de pierres de granit pour la pyramide de Khéops ) mais des briques. A cette époque, 2'560 avant JC, l'Egypte ne connaissait pas encore la roue.

Fasciné par l’ampleur de l'ouvrage, mon père se prend à rêver, discourir à qui veut l'entendre, s'enthousiasmer de sa découverte, à fantasmer, fabuler, inventer, puis, soudainement, revient à la réalité :

l'ascenseur oscillant
le traineau de halage
le chadouf de grande dimension
rampes et talus

ces derniers devant être surélevés au fur et à mesure de la construction et allongés en même temps afin de maintenir une inclinaison douce
pour pouvoir y pousser ou tirer les pierres,
puis détruits à la fin de l'ouvrage

NE SONT QUE DES HYPOTHESES,
le mystère demeure, aucune preuve n'a été trouvée.

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Voir, entre autres, la théorie de Vincent Elissagaray.

Aucun document écrit, aucune fresque, ne mentionnent le travail des ouvriers : des esclaves, des prisonniers de guerre, des repris de justice condamnés aux travaux forcés tels que ceux qui laissèrent leur vie dans les mines de turquoises du le Sinaï ? Où vivaient-ils ? Autour des temples, des pyramides ? Où sont leurs tombes ? Pas droit à l'éternité ? Aucune construction leur étant destinée n'a été identifiée à ce jour. Mon père ne trouva absolument rien de plus que ses prédécesseurs.


suite du récit le 1er avril 2016


vendredi 11 mars 2016

Deux vies parallèles : 2 Elle




2  ELLE

J'ai 9 ans, je suis une enfant malingre, taciturne et sans joie exprimée ; à la récréation, je n'aime pas les jeux trop bruyants de mes camarades ; je m'assois, seule, sur les escaliers et je rêve. A quoi ? A rien ou à si peu de choses, trop banales  pour être racontées ; je n'ai pas d'imagination, je ne suis pas compétitive ; j'aime ma vie tranquille, rue des Prouvaires, dans l'appartement que mes parents louent au-dessus du magasin « Aux amis des Halles », dans le 1er arrondissement de Paris ; c'est là que je suis née.

Papa est un de ces hommes en longue blouse blanche qui se tiennent debout de 6h à 18h, 6 jours sur 7, dans le pavillon no 3 des Halles, celui des bouchers ; c'est son métier. Il réceptionne les quartiers de viande, les suspend, serrés sur une tringle, pour la vente en gros. A côté, il découpe agneaux, veaux, boeufs et porcs, les arrange sur de grands plats blancs qu'il dispose derrière la vitre, pour la vente au détail.

Douze pavillons, construits par Baltar, se succèdent et, en courant, je passe d'un stand à l'autre. Dans cette agitation, entre tous ces va-et-vient de livreurs, vendeurs, acheteurs, j'ai la tête qui tourne, je m'affole, je me perds, je reviens vers lui, en larmes, la main dans la main d'une femme, ou d'une autre, qui m'a reconnue. A chaque retour, je me dis : « c'est la dernière fois que je viens aux Halles » et pourtant, je recommence, têtue, engagée dans un tournoi contre moi-même. En fin de compte, cependant, je me suis mise à noter le nom des stands, leur numéro, et j'ai établi un plan avec une rose des vent. Alors, au lieu de garder dans ma mémoire, pas toujours infaillible : « tourner à gauche, à droite et encore à droite », je me dis maintenant : « aller à l'est, c'est la rue des Prouvaires, au nord l'Eglise St-Eustache, au sud La Seine ». Enfin je m'y retrouve ! Ma ténacité dans cet exercice allait m'être très utile, un jour, plus tard, mais ça, je ne le sais pas encore.



vendredi 4 mars 2016

Deux vies parallèles 1 Lui




DEUX VIES PARALLELES

Ecrit par Françoise Dapples

1 LUI

Je suis né le 22 juillet 1917 à 9h30 du matin ; j'ai usé les genoux de mes salopettes en avançant à quatre pattes, fait mes premiers pas chancelants dans la poussière des sables, j'ai couru entre des murets de pierres de toutes les hauteurs, tournant à gauche, à droite, à droite encore, revenant en arrière, partant en diagonale, retrouvant toujours mon point de départ. Ben Amir, mon copain, se perdait régulièrement. Comment se fait-il qu'un petit Européen ait le sens de l'orientation alors que l'enfant du désert ne l'ait pas ? Plus tard, à la réflexion, je crois que Ben Amir nous oubliait tout simplement. Partis à sa recherche, nous le retrouvions dessinant des hiéroglyphes dans le sable, des oeuvres inachevées, semblables à celles que son père révélait parfois en brossant délicatement ce qui pouvait être un morceau de bas-relief. Oeuvres éphémères, dis-je, ressemblant quelque peu à cette scène de chasse du tombeau de Kénamoun à Thèbes, coupées d’entrelacs de lettres arabes, surprenant dans ce haut lieu vieux de quelques millénaires, peu atteint par l'influence de ses voisins, et ces traces vite recouvertes par les pas des ouvriers.

Peau blanche, peau brune, peau noire, nous n'avions jamais entendu parler de racisme, de discrimination, de transparence. D'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, à 60 ans, et en me regardant tous les matins dans le miroir, je ne me suis jamais trouvé transparent. Quelle foutaise ! Nous avons tous des zones d'ombres dans nos vies, laissons-les là où elles se trouvent, c'est plus sage que de chercher dans un passé très lointain et peut-être trop douloureux à assumer.

Comme tous les enfants du monde, nous jouions à cache-cache, et des cachettes il y en avaient de multiples au milieu de toutes ces fouilles, jusque dans les tombes ouvertes dans le flan des collines alentours. Il nous était interdit d'y entrer, bien que je l'aie fait, le coeur battant, me guidant de mes mains le long des parois, m'attendant à tout instant à une rencontre fabuleuse qui ne vint jamais, toujours arrêté par un mur incontournable.


Un homme grand, vêtu de beige, les cheveux blonds, presque blancs sous le casque colonial, les yeux très bleus, le regard parfois perdu au loin, là où enfin, espérais-je, il découvrirait la statuette d'un dieu à tête de chacal, faucon, lionne, chien, bélier, taureau, ou celle d'un monarque, d'un personnage important qui ferait sa renommée. Lui, c'est mon père, archéologue, assistant de Sir Stone de l'Institut français d'archéologie orientale. Il paraît que je lui ressemble : les membres longs, les yeux clairs, la bouche mince, comme pincée, le front haut. Nous nous trouvions alors dans la Vallée des Rois, en Haute Egypte, où je suis né, et dont la renommée a traversé les siècles et les continents. Fabuleuse histoire que celles des pharaons et je suis déjà résolu à l'enseigner dans mon pays d'origine, la France, mais mon destin en décida autrement.

suite du récit le 11 mars