9 39-45
Avec ma mère, j'ai
quitté l'Egypte à l'âge de 15 ans afin de suivre un Lycée à
Paris, « sérieux » comme dit mon père, lui qui reste
dans ce fabuleux pays pour continuer ses fouilles sur le site de
Saqqarah. J'ai dit adieu à mon enfance, à mes copains Africains,
merveilleux de joie, de rires, vies inventives de mille jeux
inoubliables. Une page se tourne vers un avenir que je crois tout
tracé puisque maintenant je suis entré à l'Université où
j'étudie l'histoire ancienne des civilisations, mon rêve de
toujours.
A vingt et un ans, ayant
toujours eu une jambe, la gauche, légèrement plus courte, je porte,
depuis mon enfance, une chaussure à semelle compensée, cela ne se
remarque guère, mais je suis refusé pour le service actif.
Cependant en 1939, on se souvient de moi et je suis affecté au
service des traductions de l'Etat Major français. Je parle, j'écris
trois langues : anglais, français, égyptien et j'ai de bonnes
notions d'arabe ; quant à l'allemand, deux ans plus tard, je
l'ai appris directement de l'occupant et avec une rapidité
stupéfiante. Enfin, peut être pas si stupéfiante qu'il n'y
paraît : on dit, et pour moi c'est prouvé, qu'une quatrième,
une cinquième langue s'apprend beaucoup plus facilement que la
deuxième.
Semblable à un laïc au
milieu d'ecclésiastiques, je suis l'un des rares civils à déambuler
dans les locaux de l'armée au milieu de tant d'uniformes. La
capitulation de la France change toute la donne, je suis remercié,
si l'on peut dire parce que sans merci. N'ayant ni titres ni galons,
je figure à peine sur les registres ; l'occupant n'a pas pris
garde à moi, c'est ma chance, sinon j'aurais été réquisitionné,
avec toutes mes langues, qui sait, oh horreur, par la Gestapo.
Je partage donc mon temps
entre l'Université que je déserte de plus en plus souvent, mon
travail à l'Etat Major et la librairie du frère de mon père qui
requiert de plus en plus mon aide vu qu'il est atteint d'une
déformation de la colonne vertébrale. Sans le comprendre encore, il
m'a ouvert une nouvelle porte vers l'avenir. Je passe donc de son
immeuble aux boîtes ouvertes le long de la Seine, chargé de livres
d'occasion que j'y dépose ; le matin, c'est moi qui ouvre le
magasin, j'y reste jusqu'à dix heures, moment où apparait mon
oncle, ensuite je vaque à mes autres occupations.
Suite du récit le 13 mai 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire