vendredi 10 juin 2016

Deux vies parallèles : 14 Après--guerre

14 APRES-GUERRE

Arrivé à la retraite, papa se trouve sans but, sans intérêt particulier qui peut le motiver, il n'a jamais eu de hobby, de curiosité pour autre chose que son travail. Alors il se traîne dans les rues, hante les bistrots, oublie l'heure des repas ; malheureuses, maman et moi lui avons suggéré : bricolages, lectures, aide à notre voisin qui a tant de peine à se déplacer, prendre des cours, acquérir quelques notions de menuiserie afin de pouvoir faire et poser des étagères chez nous. Il a vaguement essayé, pas pu ! Les Halles bruyantes, affairées, si vivantes, lui manquent et peut-être aussi la présence de son fils dont il ne parle jamais. Ce silence étouffe maman qui, ainsi, n'arrive pas à exprimer son propre chagrin que je vois si souvent dans son regard.

Cinq années ainsi, d'espoir en échec, et voilà que papa meurt soudainement d'un infarctus, les secouristes, arrivés pourtant très rapidement, ne réussirent pas à le réanimer. Maman et moi restons seules, elle de plus en plus fragile et moi simple aide de laboratoire, c'est-à-dire laver les éprouvettes et porter les cafés ! Nos revenus parviennent tout juste à nouer les deux extrémités de nos bourses mises en commun. Il faut dire qu'ayant manqué bien des cours pendant la guerre, j'ai raté mes examens de pharmacie, au grand regret de maman qui souhaitait si fort que je reprenne la pharmacie de son frère.

Pour ma part, je suis sans ambition, notre vie, petite peut-être pour vous, me convient. J'apprécie les heures fixes, le train-train régulier de mes journées qui succèdent à ces années vécues dans le danger de la Résistance ; je ne suis pas une héroïne, les médailles sont pour les autres, j'ai été une modeste femme de l'ombre. Ma joie est venue de cette école de littérature française, peu fréquentée et pour cause, j'y ai tout de même découvert des écrivains que je lis maintenant, devrais-je dire que je dévore ? Je fréquente avec délectation les Bibliothèques de quartiers, j'y reste des heures, oubliant le temps qui passe, sans moi me semble-t-il. Je parcours tant de couloirs, d'escaliers, de salles plus ou moins bien éclairées ; je vais d'un rayon à celui d'au-dessus, d'au-dessous, d'une étagère à celle d'en face ; je m'informe, cherche, dépose, emporte le livre de ma convoitise que je rapporte un autre jour, une autre semaine.


suite du récit le 17 juin 2016

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