7 UNE RUE
En tournant l'angle de la
rue pour prendre celle du Faubourg St-Honoré, je m'arrête pile en
voyant arriver devant le no 8 deux grosses voitures noires, lugubres,
un pressentiment, d'où descendent des soldats en uniforme de SS. Ils
s’engouffrent dans l'immeuble et en ressortent rapidement,
encadrant un homme et une femme tenant chacun une petite valise,
suivis de deux enfants et d'une jeune fille que les soldats poussent
dans les voitures. Celles-ci démarrent en trombe et disparaissent.
Je reste figée sur place : j'ai reconnu mon amie et sa mère,
une bonne cliente de la mienne, régulière, payant toujours
immédiatement à la livraison.
Depuis quelques jours,
mon amie est absente des cours de pharmacie que nous suivons
ensemble. Hier, je l'ai aperçue et j'ai couru la rejoindre
mais elle a disparu,
évaporée ; cependant, j'eus le temps d'apercevoir l'étoile
jaune agrafée sur sa veste. Je sais que sa famille préparait son
départ pour le midi de la France, mais je comprends maintenant que
c'était déjà trop tard, hélas. Comment prévoir que de telles
infamies puissent arriver ? Dans une Europe dite civilisée ?
Il y a bien eu quelques avertissements, des ouï-dire, mais des
témoins qui seraient arrivés chez nous pour raconter, je ne le
pense pas. Alors que faire quand tout un pays comme la France se
targue de gagner la guerre en moins de deux ans ?
J'ai les jambes qui
flageolent, je m’appuie contre le mur d'une maison ; elles ne
me portent plus, je m'assois sur le bord d'une fenêtre. Comme un
automate, j'essuie les gouttes de pluie qui tombent sur mes mains,
mais, il ne pleut pas ! Ce sont mes larmes, des torrents de
larmes qui coulent ; je hoquette, je m'entends si fort que je
réalise soudainement que cette rue, si vivante habituellement, s'est
vidée de ses passants ; je la sens lourde d'un silence criant
sa peine ; la peur rode, elle est devenue palpable tout autour
de moi, en moi.
Le soir même j'entrai
dans un réseau de la Résistance.
SUITE DU RECIT LE 29 AVRIL 2016
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