vendredi 22 janvier 2016

Un euro million : 15 Art nouveau



Dès vendredi 4 mars, paraitra mon nouveau récit sous le titre 
"Deux vies parallèles"
je vous souhaite une bonne lecture

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Quand vint chez elle un homme d'une cinquantaine d'année, un peu rondouillard, antiquaire-brocanteur, s'intéressant à l'achat de sa maison à Yvoiri, Laure était mûre pour se lancer dans ce métier. Lui, Max, avait besoin des grandes dépendances jouxtant la maison pour y déposer toutes ses acquisitions. La présence de l'atelier de Victor l'encouragea à acheter la maison de Laure, il y installera son ébéniste qui s'occupa ensuite également de restaurer certaines acquisitions « art nouveau » de Laure et Jehane. Il avait pris la maison telle qu'elle était, avec tout le fourbi entassé au galetas, dans la cave et dans la remise. Il y ferait sans doute quelques découvertes intéressantes, mais Laure s'en réjouissait pour lui, d'ailleurs elle n'avait pas la force de trier tout cela, à part les outils de reliure qu'elle emporta. Max ne s'intéressait qu'aux meubles rustiques du XIXe en chêne et en noyer, il n'y avait donc pas de concurrence entre eux.

L'art nouveau est un art de la fin XIXe, début XXe siècle et, de l'avis de Laure, plus décoratif que l'art déco qui aurait dû être appelé art nouveau puisqu'il vint après. Un art essentiellement féminin, bien que ses créateurs fussent principalement masculins. Se sont des formes ondoyantes, des arabesques, enroulements, volutes enchevêtrées, asymétriques, aux ornements de fleurs, poissons, coquillages, oiseaux, papillons. Laure aimait promener sa main sur les bois, glisser ses doigts dans les rainures pleines de fantaisie, sentir le parfum du bois de rose, cerisier, citronnier, makassar, atapa du Brésil, acajou, alisier, amboine rouge à rouge foncé.

A Tours, sur la vitrine était écrit « Art nouveau, antiquités » et au bas « ancienne maison Louis-Louise », ce qui toucha beaucoup Aloïs, ses contemporains et le maire qui releva ce fait lors de l'inauguration des locaux, spacieux, deux vitrines sur rue, un peu étroites, mais parfaites pour de petites tables, guéridons, consoles, bonheur du jour, sièges. A cette présentation s'ajoutèrent vases, coupes, lampes, flacons signés Gallé, Daum, Lalique, Tiffany et qui, par leur couleur, donnaient de la vie à tout l'ensemble. Là aussi il fallait pouvoir différencier les pièces réalisées du vivant de l'artiste de celles qui suivirent, le prix n'étant évidemment pas le même.

Les trois premières années furent difficiles, il fallait se faire connaître, acquérir une réputation de probité et plus encore de connaisseuses. A côté, le Musée de la Reliure faisait de même et cette belle double maison à tourelle attirait touristes et amateurs, un bien pour les commerces, restaurants et hôtels de la ville. Toute cette beauté, souvent exubérante, cette découverte d'un monde ancien et créatif, enthousiasmèrent Laure et Jehane, les tinrent en halène, dans la pleine activité, bien au-delà de leur 65 ans.


FIN


Un prochain récit paraîtra en mars 2016. En attendant, cliquez sur "Expos" que je suis entrain de développer avec divers articles.
Bonne découverte.

vendredi 15 janvier 2016

Un euro million : 14 Le camée


14 LE CAMEE

Jehane fait passer la broche de main en main, un magnifique camée ancien, ovale, nommé « La demoiselle à l'oiseau », entouré d'un gracieux et triple filet d'argent, « du platine » corrige Aloïs, serti de petites perles.

  • Pourquoi ne m'as-tu rien dit de tes soupçons ?
  • Quand on pose une question sous forme d'accusation, il faut s'attendre à tout, en-dehors de la réponse que nous aimerions entendre. Tu pouvais nier, t’enferrer dans le mensonge, à ne plus t'y reconnaître toi-même. Nous pouvons aussi nous demander quelle raison avait ta mère de te punir aussi souvent. S'agissait-il d'un acte répétitif de sa propre enfance ? La seule façon d'effacer le passer, c'est de reconnaître ses torts, mais pour se faire, parfois il faut atteindre une certaine maturité, ou, comme en ce moment, un évènement déclencheur. Tu peux remercier ton amie Laure qui a joué ce rôle.
  • A part cela, Papy Aloïs, où avez-vous trouvé ce camée ? demande cette dernière.
  • Un jour que je rangeais la chambre de Jehane pour la donner à des cousins de passage, je l'ai trouvée au fond de l'armoire, sous une pile de vieux vêtements.
  • Comme moi ma clé ! s'exclame Laure.
  • Ce camée, je ne vais pas l'encadrer comme tu l'as fait pour la clé, je vais le porter. Ce sera ma façon de montrer que j'aime ma mère, que je lui pardonne. J'espère qu'elle le verra sur ma blouse, ma robe, mon tailleur. Croyez-vous que cela soit possible ?
  • On dit que rien ne se perd, rien ne se crée, alors peut-être que c'est inscrit quelque part.
  • Je suis du même avis que Papy, mais penser que Mamy Adèle puisse le voir, j'espère que non. Quelle souffrance ce serait de voir « en-bas », sans pouvoir intervenir, sans pouvoir serrer sa fille dans ses bras.
  • Ce camée est absolument magnifique, quelle joie je vais avoir de le porter, de le faire admirer. Ne trouves-tu pas qu'il va se marier admirablement avec ta boutique « Art Nouveau » ?
  • Nous pourrions entreprendre une collection de camées, qu'en penses-tu, chère associée ?

Laure et Jehane se plongèrent assidument dans la connaissance des camées, allant de bibliothèques en musées, de livres en documents. Elles se formèrent l'oeil en apprenant à différencier l'agate de l'onyx, la sardoine de la cornaline, ivoire, ambre, corail, jais. Les camées revenant à la mode et les copies se multipliant, il fallait pouvoir les différencier. Elles coururent les petites et grandes foires, les journées « coffre ouvert » au cours desquelles des affaires pouvaient être réalisées, en particulier auprès d'amateurs. Elles s'habillaient souliers plats, jupe bon marché, une loupe dans la poche. Mais bientôt elles furent repérées, les prix montèrent ! Ensuite elles se rendirent sur des marchés de brocanteurs régionaux, variant le plus possible les lieux, se séparant sur le parking et se retrouvant au bistrot du coin. Elles participèrent aux ventes aux enchères des garde-meubles et obtinrent ainsi de multiples petits meubles « art nouveau » pour le magasin. D'un commun accord, elles ne firent pas l'acquisitions de bijoux de cette époque, se consacrant uniquement aux camées, le sujet était déjà bien assez vaste.

Deux, trois ans plus tard, leur réputation ayant dépassé les frontières invisibles de leur département, elles en prirent leur parti, se déplacèrent ensemble, ayant réalisé que deux paires d'yeux valaient mieux qu'une. Jehane avait une véritable affinité avec ce bijou : rien qu'en le regardant, le soupesant, le tournant à l'envers, elle pouvait dire s'il était ancien et bien rare furent les cas où elle se trompa.


vendredi 8 janvier 2016

Un euro million 13 Reconnaissance


13 RECONNAISSANCE

Surpris par le ton impératif de sa fille, Aloïs la regarde d'un air dubitatif.

  • Ma rencontre avec Laure a déclenché en moi un brusque retour en arrière et m'a fait prendre conscience qu'il est grand temps de me confesser.

Enfin, Jehane parle de ses 18 ans, vide son coeur, avoue avoir volé la broche.

  • Vois-tu, mon enfant, j'ai toujours pensé que c'était toi qui l'avais prise, mais ce qui me dérangeait ce n'était pas tant le vol, le vol d'un objet qui de toute façon allait t'appartenir et tu le savais, que le pourquoi de ce vol. Mes réflexions m'ont amené à ceci : ta mère te punissait souvent, parfois pour des peccadilles et je lui avais dit « pourquoi grondes-tu cette enfant, elle chante toute la journée ». Donc, selon moi, tu devais avoir un sentiment d'injustice pour des punissions injustifiées ou tout au moins disproportionnées. Tu avais décidé, sans en être vraiment consciente, de te venger en la punissant à son tour, en faisant disparaître un bijou auquel elle tenait particulièrement et qu'elle était si fière de te transmettre à son tour comme sa propre mère l'avait fait pour elle, il y a ainsi des traditions que l'on aime perpétuer.

Le silence régnait dans le jardin. Le soleil se couchait à l'horizon et colorait de rose les montagnes lointaines. Il était temps de rentrer, surtout pour Papy Aloïs qui prenait froid facilement. La lampe du salon fut allumée et ils s'assirent en rond autour de la petite table posée devant la cheminée sans feu, on était encore qu'en septembre.

  • Le problème n'est toujours pas solutionné car, maintenant que j'aimerai porter ce bijou en souvenir de maman, je ne le retrouve pas, reprend Jehane.

Aloïs se leva, quitta la pièce, revint un moment plus tard tenant une boîte dans la main qu'il glissa dans celle de sa fille.

  • La broche ! s'exclame Jehane.


    suite du récit le 15 janvier 2016