vendredi 24 avril 2015

Une cave-un galetas 5 Le galetas


Ils montèrent tous deux sous les combles, dans le galetas, car elle voulait lui montrer l'atelier où avait travaillé son père.

Armand s'attendait à trouver des toiles de René Vermeille, mais rien ou presque, un ordre, ou plutôt un vide, intriguant. Sur le sol, jetés pêle-mêle, des dessins, des esquisses, des copies de maîtres du 20è siècle d'après ce qu'il pouvait en juger sur un simple coup d'oeil. A part quelques pinceaux dans deux bocaux de confiture, les étagères étaient nues, comme prêtes mais en attentes, offertes mais encore incertaines. Pourtant une odeur de térébenthine, de peinture à l'huile régnait en primauté dans la pièce, un parfum qu'il aimait pour avoir fréquenté de nombreux artistes. Trop bien éduqué selon les critères de son époque, Armand ne laissa pas transparaître ses pensées et resta silencieux. Dans le fond de la pièce, son regard fut attiré par un grand chevalet recouvert d'un draps. Hésitante, enfin décidée, Marie-Ange retira cette housse et, devant Armand médusé, puis approbateur, apparut une toile de nymphéas de Monet, pas signée, mais antérieure à sa dernière période de presque cécité, donc plus belle. Marie-Ange était secouée de sanglots. Avec douceur, il entoura ses épaules de son bras et ils s'assirent sur le vieux canapé aux ressors émoussés ; elle se laissa aller contre lui, il la serra et lui passa une nouvelle pochette rouge dont elle tamponna ses yeux.

  • Pleurez, laissez sortir toutes ces émotions qui vous étouffent, c'est meilleur de les exprimer.
  • Je ne peux pas m'en empêcher.
  • Mmm
  • Non, pas de pleurer, mais d'imiter.
  • Oui, j'ai bien compris
  • C'est comme vous, n'est-ce pas ?
  • Oui, je ne peux pas résister à cambrioler les bonnes caves ! Les AA, j'ai essayé, mais ce n'est pas pour moi. Priver complètement mon corps est inhumain, alors, de temps à autre...
  • Vous voulez dire que vous ne me blâmez pas ?
  • Comment le pourrais-je alors que je suis soumis moi-même à une addiction ? Laissez-moi réfléchir à la vôtre. Si vous ajoutiez une fleur de votre créativité, car vous en avez, aux Monet par exemple, un pin aux Gauguin dans vos formes particulières... Oui, deux tableaux en un, vous pourriez ainsi exprimer votre double talent.
  • Je me vois ajoutant des vignes de Bourgdoz dans un van Gogh. Elle se mit à rire.

Lui parti, Marie-Ange se rendit à l'office retrouver sa gouvernante qui la servait fidèlement depuis près de trente ans puisqu'elle était déjà à son service du temps de Monsieur le baron de La Tourmaline. Après le divorce de sa patronne, Madelon l'avait suivie et était devenue presque son amie bien qu'elle resta toujours « à sa place » comme on disait et faisait autrefois.

  • Vous formez un couple d'une grande distinction et, je crois, de parfaite connivence ; vous allez l'épouser, vous avez toujours aimé les têtes couronnées.
  • Ah non ! J'en ai assez d'une fois. Vous pensez à sa belle chevelure blanche, oui très chic.
  • Non, une vraie tête couronnée, comme l'indique le monogramme brodé sur cette pochette rouge posée sur le dressoir. Il y a une couronne de compte au-dessus de ses initiales.
  • Carnelian ?
  • C'est le nom de sa mère, une famille de soyeux de Lyon. Lui, c'est le comte de Malachite, du Château Les Aventurines, ruiné.
  • Peut-être pas, si je vends ses modelages, encore moins s'il en fait des moules, y coule du bronze et apprend à les patiner.
  • Déjà en route, je vois, je ne me suis donc pas trompée !



vendredi 17 avril 2015

Une cave-un galetas 4 La cave


Elle descendit une dizaine de marches, frôla un entassement de pneus, de jantes éparses, des bidons de toutes tailles, des jerricans en métal, en plastique vert et brun, trébucha sur des cordes déroulées, des lanières de toutes sortes. Incommodée par l'odeur d'essence, de cambouis, elle longea trois, quatre caves à clair-voie et aperçu tout au fond du corridor une porte ouverte, une lumière crue, bleutée, froide. « C'est sûrement là » se dit-elle et entra.

  • Bonjour, fit-elle, je cherche Monsieur Armand. Pouvez-vous me dire où je peux le trouver, s'il vous plait ?

L'homme présent lâcha la motte de terre glaise qu'il tenait, un tiers par stupéfaction, un tiers captivé par cette voix mélodieuse qu'il reconnut, un tiers en regardant ses mains sales. Sans un mot, d'un geste pondéré, il enleva son tablier maculé, se lava les mains, les passa dans ses cheveux, ça devenait une habitude, puis enfila une veste bleue à la pochette rouge dépassant de sa poche de coeur.

Entre temps, elle s'était assise sur le vieux tabouret de piano et tournait tout azimut pour contempler, fascinée, l'inimaginable fouillis : des statuettes de femmes, nues, en voile léger, assises, debout, à genoux, se penchant sur le bord de fontaines, d'étangs, de rivières. Elle fut interrompue par cet homme aux magnifiques cheveux blancs qui se penchait sur elle ; il lui prit la main et la baisa en prononçant ces mots :

  • Armand Carnelian.
  • Marie-Ange de La Tourmaline. Après un court temps de réflexion, elle ajouta :
  • Vermeille est mon nom d'artiste.

« Oh bien sûr, se dit-il, la similitude entre Marie-Ange et Angela aurait dû me frapper : il s'agit de la même personne, que suis-je stupide de n'y avoir pas pensé ! Et maintenant que vais-je faire ? »

  • Et si nous quittions cet endroit ? dit-elle, comme si elle avait suivi ses pensées.

Il lui offrit son bras, ils montèrent ; il lui ouvrit la portière, elle s'installa sur le siège passager ; il se mit derrière le volant et démarra la petite MG rouge décapotée.


  • Et maintenant, où allons-nous, demanda-t-il ?
  • Le temps est magnifique, roulons, répondit Marie-Ange.
  • Et bien roulons, fit Armand en écho.

C'était un « 18 » au Gault et Millau. En y entrant ils firent sensation, ils formaient, c'était évident, un fort beau couple. Armand ne l'avait pas encore bien vue jusqu'alors mais remarqua que, d'un imperceptible mouvement des anches, elle faisait tourner les godets de sa jupe mi-longue, ses cheveux, bruns dorés, tombaient en grosses boucles jusque sur ses épaules. Etait-ce leur couleur naturelle ? Il ne s'en souciait nullement, la femme était superbe, c'est ce qui comptait.

  • Monsieur Armand, fit le Maître d'hôtel, quel plaisir de vous voir. Madame, fit-il, en inclinant la tête.
  • Bonjour Antonio, ma table est-elle prête ?
  • Oui, certainement, Monsieur le... Il se tut, Armand ayant posé le doigt sur sa bouche. Il reprit, mine de rien :
  • Oui, naturellement, près de la pièce d'eau, comme d'habitude.

Il y avait bien cinq ans qu' Armand n'était pas revenu dans cet endroit et Antonio n'avait rien oublié, vraiment un parfait Maître des lieux ! Le jardin était conçu à la façon « Le Nôtre » : des allées parallèles, séparées par des haies de buis coupés courts, des vasques remplies de fleurs de toutes les couleurs, de toutes les hauteurs, des coins et des recoins avec des tables aux nappes jaunes, fraîches comme des primevères.

Marie-Ange se retira un instant, ce qui permit au serveur de dresser la table et à Armand de se remettre de son choc. « Je suis fou, pensa-t-il, mais cette femme est magnifique , cela va être un choc aussi pour mon portefeuille,  enfin, c'est pour un jour... »

Ils parlèrent d'eux. Lui de son frère cadet parti vivre en Australie, au grand chagrin de leur mère, il y avait de cela environ quinze ans. Les premières années, ils s'écrivaient régulièrement de longues missives, donnant tous les détails. Puis ils passèrent à Internet, les messages devinrent plus courts, jusqu'au jour où sa boîte e-mail demeura vide, son frère ne répondait plus. Armand en tut les raisons, par discrétion.

Marie-Ange parla de son fils. Il avait douze ans quand elle avait divorcé. Autrefois, les enfants étaient attribués spontanément à leur mère, aujourd'hui on leur demande avec qui ils désirent vivre, n'est-ce pas leur donner une responsabilité au-dessus de leur âge, qui va engager tout leur avenir qu'ils ne peuvent encore concevoir ? Enfin, toujours est-il qu'il choisit de rester avec son père, mais elle n'était pas convaincue que c'était vraiment par amour pour lui et non pour le château, enfin, pour la vie de château. En s'agitant à ces souvenirs, de la main, elle manqua renverser son verre et quelques gouttes tombèrent sur la nappe. Armand lui passa sa pochette rouge pour les essuyer, Marie-Ange la mit dans son minuscule sac à main en disant : « J'adore cette couleur, c'est ma préférée! »

  • Votre blouse, dans cette couleur et ses manches bouffantes, vous va à ravir, vous êtes belle, Marie-Ange...

Quelques jours plus tard, elle redescendit les escaliers de la cave, il l'attendait le coeur ému comme un jeune homme. Ils choisirent, parmi tous ses modelages, des figurines vernissées d'une hauteur de 50cm à 1m, pas plus, les emballèrent doublement dans du plastic à bulles et les véhiculèrent jusqu'à la galerie de Dijonus. Elle lui avait dit :

  • Vos figurines m'intéresse, je pense que j'aurais des acheteurs. Elles ne sont pas trop grandes, originales avec un certain mouvement raccourci assez suggestif. Combien ?
  • Pris de court, Armand avait bafouillé : 500, 600 euros ? (Décidément aucun sens pratique, cet homme).
  • Non, je crois pouvoir les vendre 1000 à 1500 euros, il ne faut surtout pas les sous-estimer, encore moins les mésestimer, comme il le faisait de lui-même pensa-t-elle.











vendredi 10 avril 2015

Une cave-un galetas 3 La galerie


Homme aux habitudes bien ancrées, il quitta, comme chaque matin, son 3 pièces et hall vers 10h et sortit par le garage « Aux pneus tout temps ». Vêtu de son pantalon de lin vert de gris, de son polo vert olive, chaussé de ses basquettes, il allongea le pas en direction du village suivant, en passant par des chemins peu fréquentés.

A l'angle de la Grand'Rue et celle des Mousquetaires, il s'arrêta à l'auberge de la Clef et s'assit sous la tonnelle. C'était une douce journée de la mi-juin, quelques nuages blancs dans le ciel, rien de bien méchant. Trois décis de bourgogne furent déposés devant lui, pas besoin de commander, la maison le connaissait. Préoccupé par cette nuit à interrogations, il perçu très vaguement cette ombre féminine qui passa devant lui, ralentit un instant à sa hauteur, puis il entendit une voix mélodieuse réserver une table pour 6, la suivit des yeux, sans réellement la regarder jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière la haie de troènes. Une curiosité subite lui fit demander son nom au serveur.
  • Il s'agit d'Angela de La Tourmaline, du château du même nom, mais celui-ci vous le connaissez Monsieur Armand. Oh, excusez !
  • Pas de mal, on s'y fait, enfin je m'y suis fait, on s'adapte, il le faut, n'est-ce pas ?
  • Elle a une galerie d'art à Dijonus. Le serveur allait continuer mais fut interrompu par un « Garçon, s'il vous plait ! »

Le lendemain, Armand prit sa vieille limousine BMV noire et remarqua, en quittant le garage « Aux pneus tout temps », une petite MG décapotable rouge en stationnement devant celui-ci. Avec son but plein la tête, il continua de rouler et pris l'auto-route jusqu'à Dijonus. Déambulant dans la vieille ville, il suivit une ruelle animée, des petites boutiques aux devantures encore entourées de bois : épicerie, laverie, coiffeur avec l'inscription à demi effacée « Barbier » au-dessus de la vitrine, un bazar, une librairie, un cordonnier, enfin une enfilade de 5 vitrines à carreaux : son but. Il passa sur le trottoir d'en face pour mieux observer, sans être vu.

Demain il reviendrait et, prenant tout son courage, il entrerait. Seulement, le lendemain, la galerie était fermée. En s'éloignant du lieu, il fut subitement attiré par le nom inscrit au bas de la porte : Marie-Ange Vermeille. Ce nom, Vermeille, de Vermeille, le peintre René de Vermeille et, fichtre, se dit-il, le propriétaire de la maison qu'il avait visitée une certaine nuit. Sa collection ? Pourquoi l'avoir enlevée ? Sa fille ?

Tenace, Armand y retourna la semaine suivante. Il fut accueilli par une petite femme vive, hautement maquillée, pas la silhouette entrevue, deux fois lui semblait-t-il. Il se prit à bavarder, reconnaissant deux-trois toiles de René de Vermeille. Il était décédé 8 ans au paravant et sa fille avait donc ouvert cette galerie, entre autres pour exposer ses oeuvres. « Venez-voir au premier, Marie-Ange y présente ses propres toiles. Lentement, pas à pas, Armand se rapprocha, recula, changea d'angle, se retourna, une impression de déjà vu : un flou, une précision, une indécision aussi, des fleurs, des paysages, certes une interprétation personnelle, puis là, de loin ce qui pouvait ressembler, hum hum, à un Gauguin ? Il alla se planter devant, subjugué. Ne retrouvant pas son impression première, il regarda la signature : Marie-Ange Vermeille. C'est donc bien la fille de René. Quelle relation avec le château de La Tourmaline ?





vendredi 3 avril 2015

Une cave-un galetas 2 Au-dessus du garage


Assis devant la fenêtre donnant sur de magnifiques tilleuls, écoutant roucouler les deux tourterelles turques qui revenaient là chaque printemps, toujours fidèles l'une à l'autre, se faisant la révérence comme au premier jour, lui, l'homme inconnu, s'admonesta : comment a-t-il été si bête de monter à l'étage alors qu'il s'était juré de ne jamais le faire ? Et pour découvrir quoi ? Il n'en n'était pas certain, et puis il ne pouvait en parler à personne, on lui aurait demandé ce qu'il faisait là bien sûr. Un secret bien gardé, des deux côtés certainement, car elle devait aussi en avoir un pour avoir remplacé le Gauguin, ça, il en était sur, par une vulgaire croûte, enfin était-ce une croûte ? Il n'avait pas eu le temps de regarder plus longuement avant d'être poussé vers la porte de sortie. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Des oeuvres de cette valeur non protégées par une alarme ? Pas de gardien, pas de chien méchant, pas de clôture électrifiée... Il laissa vagabonder son imagination, passa sa main dans ses cheveux, se souvenant subitement que ce soir-là il avait oublié de mettre son béret pour couvrir ses cheveux blancs qu'il savait beaux et surtout trop reconnaissables...

Après la vente du château, il s'était retiré, replié sur lui-même, caché au fin fond de ce petit village, inconnu de tous, croyait-il. Il vivait très simplement, faisant attention à ses dépenses avec, au début, un haut-le corps désagréable, une impression d'être déshabillé, surtout déclassé. Ses amis lui avaient tourné le dos, ou était-ce lui qui les fuyait ? En fait il n'osait plus se rendre dans les lieux où, autrefois, il brillait. Il ne se rendait pas compte qu'il brillait alors par son nom, son héritage, mais pas par lui-même.

Cette rencontre non programmée l'avait secoué, il s'interrogeait. Qui suis-je ? Qu'est-ce que j'ai fait de bien dans cette vie ? Remonter la pente lui paraissait impossible alors qu'il devait lutter pour ne pas tomber plus bas. Mais y a-t-il un haut et un bas ? Haute question philosophique. Il s'était occupé de sa mère vieillissante, avait conservé le château pour elle. Il s'en rendait compte maintenant : il fallait vendre le château qui coûtait cher à l'entretien et conserver les terres ; aujourd'hui celles situées en bordure de la route avaient été revendues comme terrains à bâtir avec une substantielle plus-value, seulement pas pour lui. On ne connaît l'erreur de nos choix qu'une fois ceux-ci faits, n'est-ce pas ?

Il était seul. La solitude commençait à lui peser, un vague sentiment d'abandon, un flou comme une brume semblait l'entourer, des fantômes habitaient ses pensées, voilaient la lune en cette chaude soirée d'été mais lourde d'échecs, de tristes cogitations, de préoccupations qu'il aurait méprisées autrefois. Il se demandait sérieusement si ses expéditions nocturnes, rares heureusement, ne finiraient pas mal. N'allait-on pas le découvrir, le questionner ? Il faudrait qu'il ait le courage d'y mettre fin, de renoncer à ces grands crus, délectables, corsés, chauds, moelleux au palais et qu'il ne pouvait plus s'offrir. Alors, il se servait, avec discrétion, mais peut-être pas avec assez de parcimonie. Il s'était laissé entraîné vers le toujours plus, et le toujours moins de précautions.