Ils montèrent tous deux
sous les combles, dans le galetas, car elle voulait lui montrer
l'atelier où avait travaillé son père.
Armand s'attendait à
trouver des toiles de René Vermeille, mais rien ou presque, un
ordre, ou plutôt un vide, intriguant. Sur le sol, jetés pêle-mêle,
des dessins, des esquisses, des copies de maîtres du 20è siècle
d'après ce qu'il pouvait en juger sur un simple coup d'oeil. A part
quelques pinceaux dans deux bocaux de confiture, les étagères
étaient nues, comme prêtes mais en attentes, offertes mais encore
incertaines. Pourtant une odeur de térébenthine, de peinture à
l'huile régnait en primauté dans la pièce, un parfum qu'il aimait
pour avoir fréquenté de nombreux artistes. Trop bien éduqué selon
les critères de son époque, Armand ne laissa pas transparaître ses
pensées et resta silencieux. Dans le fond de la pièce, son regard
fut attiré par un grand chevalet recouvert d'un draps. Hésitante,
enfin décidée, Marie-Ange retira cette housse et, devant Armand
médusé, puis approbateur, apparut une toile de nymphéas de Monet,
pas signée, mais antérieure à sa dernière période de presque
cécité, donc plus belle. Marie-Ange était secouée de sanglots.
Avec douceur, il entoura ses épaules de son bras et ils s'assirent
sur le vieux canapé aux ressors émoussés ; elle se laissa
aller contre lui, il la serra et lui passa une nouvelle pochette
rouge dont elle tamponna ses yeux.
- Pleurez, laissez sortir toutes ces émotions qui vous étouffent, c'est meilleur de les exprimer.
- Je ne peux pas m'en empêcher.
- Mmm
- Non, pas de pleurer, mais d'imiter.
- Oui, j'ai bien compris
- C'est comme vous, n'est-ce pas ?
- Oui, je ne peux pas résister à cambrioler les bonnes caves ! Les AA, j'ai essayé, mais ce n'est pas pour moi. Priver complètement mon corps est inhumain, alors, de temps à autre...
- Vous voulez dire que vous ne me blâmez pas ?
- Comment le pourrais-je alors que je suis soumis moi-même à une addiction ? Laissez-moi réfléchir à la vôtre. Si vous ajoutiez une fleur de votre créativité, car vous en avez, aux Monet par exemple, un pin aux Gauguin dans vos formes particulières... Oui, deux tableaux en un, vous pourriez ainsi exprimer votre double talent.
- Je me vois ajoutant des vignes de Bourgdoz dans un van Gogh. Elle se mit à rire.
Lui parti, Marie-Ange se
rendit à l'office retrouver sa gouvernante qui la servait fidèlement
depuis près de trente ans puisqu'elle était déjà à son service
du temps de Monsieur le baron de La Tourmaline. Après le divorce de
sa patronne, Madelon l'avait suivie et était devenue presque son
amie bien qu'elle resta toujours « à sa place » comme on
disait et faisait autrefois.
- Vous formez un couple d'une grande distinction et, je crois, de parfaite connivence ; vous allez l'épouser, vous avez toujours aimé les têtes couronnées.
- Ah non ! J'en ai assez d'une fois. Vous pensez à sa belle chevelure blanche, oui très chic.
- Non, une vraie tête couronnée, comme l'indique le monogramme brodé sur cette pochette rouge posée sur le dressoir. Il y a une couronne de compte au-dessus de ses initiales.
- Carnelian ?
- C'est le nom de sa mère, une famille de soyeux de Lyon. Lui, c'est le comte de Malachite, du Château Les Aventurines, ruiné.
- Peut-être pas, si je vends ses modelages, encore moins s'il en fait des moules, y coule du bronze et apprend à les patiner.
- Déjà en route, je vois, je ne me suis donc pas trompée !