vendredi 17 juin 2016

Deux vies parallèles : 15 Déménagement

15 DEMENAGEMENT

Je vois maman décliner, doucement, comme une merveilleuse fleur qui perd son éclat, laisse pendre ses feuilles de lassitude, celles-ci commencent à jaunir, ses pétales se fripent, elle baisse la tête. J'ai un regret : ne pas avoir été à même de l'aider mieux, étant totalement ignare dans la question des soins à apporter à une personne d'un âge certain. Je pars aussi beaucoup plus tôt, rentre plus tard, ayant une heure et demie à parcourir en métro à chaque fois. En effet, le laboratoire pour lequel je travaille a délocalisé en périphérie, davantage de place, un loyer moindre, des places de parking à disposition, un air meilleur, ce qui reste à prouver.

Que d'heures j'ai passées entre quatre murs gris, mal éclairés par deux petites fenêtres sans soleil. Où sont les belles promesses de locaux spacieux ? Je pèse, compte, mélange, transvase des produits dont j'ignore l'utilité présente et future. Je répète les gestes comme si je travaillais à une chaîne de montage en usine, gestes tout de même moins abrutissants, dans un calme relatif. Je ne me suis pas faite d'amies, encore moins d'amis, je ne peux guère participer à des rencontres, il faut que je rentre pour maman. Cela ne me gene pas vraiment, le contact personnel avec les autres m'importe peu, du copinage, je m'en passe aisément.

Depuis que je suis restée seule, disposant d'heures peu utiles, je fais des offres et à l'un des employeurs qui me dit : « Vous devez apprendre à vous vendre », j'ai répondu « Je ne suis pas une marchandise, je ne suis pas à vendre ». Il n'est pas nécessaire d'ajouter que l'on me montra la porte ! Je ne comprends pas les employés qui ne se révoltent pas contre cet abaissement, pour ne pas parler de régression, l'esclavage n'est-il pas d'une époque révolue ? J'ai fini par trouver un poste à responsabilités dans une officine homéopathique et, prenant mon courage à pleine main, j'ai quitté la rue des Prouvères pour aménager dans le 7è arrondissement où elle se trouve.

J'aime cet office, vieillot, aux étagères en bois de pin, odeur vivifiante, fermant avec des rideaux de bois qui s'enroulent, se déroulent, s'ouvrent avec une clé. C'est l'une de mes tâches, le soir avant de quitter les lieux et le matin en arrivant ; je porte les clés sur moi, je pourrais presque dire jour et nuit ! Même si tout paraît d'un autre temps, il n'y a pas trace de poussière, c'est moi qui suis chargée de l'éliminer ! Je suis occupée à la fois de la vente devant et des préparations derrière. De simples mélanges, les remèdes importants venant des Laboratoires Boiron à Berne et du Laboratoire Schmidt-Nagel à Meyrin. J'ai étudié la vie de Samuel Hahnemann, fondateur de la médecine homéopathique à la fin du 18e siècle, j'ai retenu les trois principes  qu'il a développés :

la similitude, l'individualisation, l'infinitésimal.

Me promenant dans mon nouveau quartier, j'ai découvert les étalages de livres d'occasion le long de la Seine. Je vais d'une caisse à l'autre, de bouquiniste en bouquiniste, cherche, sort, regarde, feuillette, repose, ouvre avec respect même le plus simple, le plus moche, le plus abîmé ; j'apprends, je compare, j'échange parfois, j'achète souvent.


suite du récit le 24 juin 2016

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