6 MON FRERE
La Pologne est envahie
par l'Allemagne, la guerre est déclarée, des bruits de bottes se
font entendre et tous les hommes de France sont appelés sous les
drapeaux. Mon frère a 24 ans, il n'est pas beau, mais sympa !
Après un entraînement intensif, il est envoyé défendre la Ligne
Maginot, près de Sedan. Presque élégant dans son nouvel uniforme
de sergent, il part en affirmant : « ça ne sera pas
long ». Ainsi s'expriment tous les Français et nous, qui
restons à Paris, nous y croyons aussi. Nous attendons de ses
nouvelles qui n'arrivent pas, l'attente se fait longue, de plus en
plus longue, entrecoupée de soupirs, de réflexions : « ce
sera pour demain ». Mais il ne revint pas, son corps ne fut
jamais retrouvé. Maman espéra longtemps qu'il avait été fait
prisonnier, envoyé dans un camp de travail. Elle nous disait :
« s'il était mort, je le saurais, n'est-ce pas ? »
Souvent, en rentrant de mes cours, je lui voyais les yeux rouges,
cernés, un pauvre sourire au coin des lèvres, cela me faisait-il de
la peine ? Certainement, mais mes sentiments n'apparaissaient
pas, ils restaient bloqués au fond de moi, c'est ainsi, je suis une
jeune fille effacée.
En 47, nous avons envoyé
une demande auprès de la Croix Rouge pour qu'elle entreprenne des
recherches. Encore un temps d'attente, interminable, mais elle ne
trouva rien, son nom ne figure sur aucune de ses listes de
survivants, de prisonniers, de morts. Elle enquêta en Allemagne et
n'obtint aucun renseignements. Il y eut une cérémonie pour les
disparus anonymes ; maman, papa et moi nous y sommes allés,
mais tous ces tristes visages, ces points d'interrogations sans
réponses, comme les nôtres, ne nous aidèrent nullement à faire
notre deuil. Seul le temps effacera, plus ou moins, la douleur de
maman.
Papa fut réformé après
avoir reçu une balle dans l'articulation du coude qui l'empêchait
de manipuler une arme. Il reprit son travail aux Halles qui avaient
besoin de tous les bras disponibles, même handicapés. Il s'adonna
au marché noir, bien placé pour cela et grâce à quoi nous ne
manquâmes de rien, ou si peu. Sans vouloir le reconnaître, son fils
lui manquait. Maman avait fermé son atelier rue Berger et s'occupait
de retouches dans notre salon où elle avait installé sa machine à
coudre. De plus en plus rarement, elle confectionnait des ensembles :
elle devait se contenter d'allonger une jupe, une robe, élargir un
pantalon ; elle récupérait tous les tissus encore « bons »,
retournait les vestes, découpait de petits vêtements dans les
grands, supprimant les parties trop usées. Ainsi passèrent ces six
années de guerre, ou presque...
suite du récit le 22 avril 2016
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