vendredi 15 avril 2016

Deux vies parallèles : 6 Mon frère

6 MON FRERE

La Pologne est envahie par l'Allemagne, la guerre est déclarée, des bruits de bottes se font entendre et tous les hommes de France sont appelés sous les drapeaux. Mon frère a 24 ans, il n'est pas beau, mais sympa ! Après un entraînement intensif, il est envoyé défendre la Ligne Maginot, près de Sedan. Presque élégant dans son nouvel uniforme de sergent, il part en affirmant : « ça ne sera pas long ». Ainsi s'expriment tous les Français et nous, qui restons à Paris, nous y croyons aussi. Nous attendons de ses nouvelles qui n'arrivent pas, l'attente se fait longue, de plus en plus longue, entrecoupée de soupirs, de réflexions : « ce sera pour demain ». Mais il ne revint pas, son corps ne fut jamais retrouvé. Maman espéra longtemps qu'il avait été fait prisonnier, envoyé dans un camp de travail. Elle nous disait : « s'il était mort, je le saurais, n'est-ce pas ? » Souvent, en rentrant de mes cours, je lui voyais les yeux rouges, cernés, un pauvre sourire au coin des lèvres, cela me faisait-il de la peine ? Certainement, mais mes sentiments n'apparaissaient pas, ils restaient bloqués au fond de moi, c'est ainsi, je suis une jeune fille effacée.

En 47, nous avons envoyé une demande auprès de la Croix Rouge pour qu'elle entreprenne des recherches. Encore un temps d'attente, interminable, mais elle ne trouva rien, son nom ne figure sur aucune de ses listes de survivants, de prisonniers, de morts. Elle enquêta en Allemagne et n'obtint aucun renseignements. Il y eut une cérémonie pour les disparus anonymes ; maman, papa et moi nous y sommes allés, mais tous ces tristes visages, ces points d'interrogations sans réponses, comme les nôtres, ne nous aidèrent nullement à faire notre deuil. Seul le temps effacera, plus ou moins, la douleur de maman.

Papa fut réformé après avoir reçu une balle dans l'articulation du coude qui l'empêchait de manipuler une arme. Il reprit son travail aux Halles qui avaient besoin de tous les bras disponibles, même handicapés. Il s'adonna au marché noir, bien placé pour cela et grâce à quoi nous ne manquâmes de rien, ou si peu. Sans vouloir le reconnaître, son fils lui manquait. Maman avait fermé son atelier rue Berger et s'occupait de retouches dans notre salon où elle avait installé sa machine à coudre. De plus en plus rarement, elle confectionnait des ensembles : elle devait se contenter d'allonger une jupe, une robe, élargir un pantalon ; elle récupérait tous les tissus encore « bons », retournait les vestes, découpait de petits vêtements dans les grands, supprimant les parties trop usées. Ainsi passèrent ces six années de guerre, ou presque...

suite du récit le 22 avril 2016

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