vendredi 10 juillet 2015

Une cave . un galetas :16 Suzukii



Après la grêle qui dévasta le vignoble, trois ans plus tôt, lacérant les feuilles, jetant à terre les grappes naissantes, arriva par bateaux, avions, trains, camions, bagages des touristes, la mouche drosophile Suzukii originaire d'Asie du Sud : Japon, Chine, Corée, certainement une conséquence imprévue de la mondialisation, nous prit de court. J'appris, continua Armand pour son public d'amis, que cette mouche pond ses oeufs dans la chair du raisin provoquant une amertume dans tout le jus de la cuve, conduisant nécessairement à la perte de la récolte. De plus, en perçant la peau, elle ouvre la porte à la pourriture, puis la larve, se nourrissant de la pulpe, vide le grain de raisin en y laissant un goût exécrable. C'est avant tout la couleur rouge qui l'attire et en Bourgdoz, nous sommes est en première ligne de mire.

Une partie de nos vignes fut traitée avec un mélange de souffre et d'acide citrique, le tout mélangé à de la poudre de roche. Il semblerait que les femelles ne pondent pas lorsqu'elles ont de la poudre sous les pattes. Nous n’eûmes pas l'occasion de le vérifier car un puissant vent du nord s'abattit sur notre région et, par rafales, dissémina la poudre, offrant le raisin à l'envahisseur et d'autre part l'accumulant par endroit, comme des minis congères, bloquant le murissement des grappes.

Notre nouveau maître de chais commanda des filets spéciaux, à mailles étroites pour les couvrir, seulement ces mouches n'étaient pas des mouches mais des moucherons de 2 à 3 millimètres et ils passèrent au travers. J'avais acquiescé à cet achat sans rien y connaître ; j'appris ainsi, à mes dépens, que « faire confiance, c'est bien, vérifier c'est mieux ».

Tout le monde fut réquisitionné, moi y compris, et nous remplîmes une centaine de récipients d'une mixture de vinaigre de pomme, vin rouge, plus 2 gouttes de détergeant à vaisselle, qu'il fallait remplacer tous les quinze jours. Attirées par ce parfum, les mouches s'y noient ; nous recueillîmes des milliers de moucherons morts. Ces récipients furent suspendus dans les vignes ; encore fallait-il savoir à quelle distance les placer pour être efficaces. Bref, ce fut la seule parcelle sauvée, les trois autres quarts furent perdus, deux ans de travail anéantis. Réagir dès que l'on constate sa présence, c'est déjà trop tard, il faut un traitement préventif, mais encore faut-il être au courant de l’existence de ce fléau, l'ignorance en est encore un, de fléau !

L'élimination des grappes atteintes fut encore un autre problème. Renseignements pris, elles furent entassées dans de vastes sacs en plastique solidement fermés et exposés au soleil, la chaleur détruisant les larves. Ce que l'on oublia de nous dire c'est que nos sacs n'étaient pas, ou plus, conformes aux nouvelles prescriptions. La facture fut salée ; nous n'échappâmes à une amende qu'en raison d'une clause d'urgence.

Pendant cette même période, ma mère mourut. J'ose espéré qu'elle est partie sans se rendre compte de l'étendue du désastre, c'est ma seule consolation. Préparer la succession, rendre des comptes, partager avec mon frère par voie de notaire. Plus de réserve en banque, des hypothèques à ne plus pouvoir payer les intérêts, il fallut vendre domaine et château. Mais un vignoble à l'abandon, un château dont il fallait refaire le toit, toit de pentes, d'auvents, toit de la tour ronde, de la tour carrée, poutraison, chenaux, tout cela diminuait la valeur de la propriété. Je dû m'en expliquer et mon frère reçu une part d'héritage bien mince, comme la mienne. Depuis lors je n'ai plus aucune nouvelle de lui, ni lettre, ni e-mail, ma boîte reste vide malgré mes efforts de conciliation.

  • Monsieur, Monsieur, s'il vous plait, votre petite fille vous appelle !
  • Excusez-moi, mes amis, un instant de pur bonheur m'attend : mon enfant me réclame pour la border dans son lit, lui lire une dernière histoire, l'embrasser en lui disant : « douce nuit, Angelina, petit amour de mon coeur ».

FIN


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Vous êtes en vacances, moi aussi ! Un nouveau récit paraîtra dès septembre. En attendant cliquez sur "Sciences naturelles", "Les moulins" ou "Les pierres", bonne lecture.


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Vous aimez peindre, dessiner, photographier, modeler, sculpter, et vous constatez qu'une de vos oeuvres pourrait illustrer un chapitre de mes récits, ou tout autre texte de mon site, envoyez-moi une photo. Si je l'introduis dans mon blog, j'indiquerai votre nom au-dessous.  Alors peut-être à bientôt ! 


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vendredi 3 juillet 2015

Une cave - un galetas 15 Château Les Aventurines


Avoir un château ne veut pas dire automatiquement vivre une vie de château, Armand en fit l'amère expérience. Ce soir-là, recevant, avec Marie-Ange, quelques amis intimes, il narra les événements qui précédèrent la vente du château survenue quelques années en arrière.

« J'étais en deuxième année de psychologie à la Fac de Vincianes, j'avais 21 ans. Mon frère aîné, Alphonse, avait terminé son droit et suivait une formation de gestionnaire en entreprise, poussé par leur père qui, hélas, mourut subitement, peu de temps après, d'une crise cardiaque.

Alphonse dû renoncer à exercer le barreau et reprit notre entreprise vinicole ; il découvrit, avec effarement, que celle-ci était dans les chiffres rouges depuis environ 4 ans, suite certainement à l'ouverture du marché aux vins étrangers. Mon frère et moi nous nous sommes dits que cette situation avait certainement miné la santé de notre père et qu'il avait espéré voir venir son aîné pour le seconder, soutenir ses efforts pour remettre la propriété à flot. Par la force des choses, Alphonse s’attela donc à la tâche, resserra les dépenses, chercha de nouveaux débouchés. Il engagea un représentant qui amena quelques nouveaux clients, d'Allemagne en particulier, mais conjointement, il en perdit un certain nombres de proximité : hôtels et restaurants qui s'étaient reconvertis à la cuisine italienne et se fournissaient en vin directement en Italie.

Alors que les affaires semblaient reprendre, dans un virage, pris à une vitesse probablement excessive, la voiture d'Alphonse dérapa et alla s'encastrer dans un arbre, il mourut sur le coup. Ainsi, du jour au lendemain, je me retrouvais à la tête d'un vaste espace de vignes, un travail auquel je ne connaissais rien et un château qui avait bien besoin d'être rénové ; je n'ai aucun sans commercial, ainsi que peut vous le confirmer Marie-Ange, ici présente.

Un autre événement survint et qui cette fois, plus que les précédents, atteignit ma mère en plein coeur : mon frère cadet était parti faire un stage de deux ans en oenologie, très, très loin, en Australie. Année après année, elle attendait son retour, elle adorait ce fils ; ne me dites pas qu'une mère ne doit pas faire de différence entre ses enfants, qu'elle doit tous les aimer de la même façon, c'est un mythe. Je lui ai caché, le plus longtemps possible qu'il aimait une jeune fille, mais quand le mariage arriva, je dû le lui dire. Le choc fut terrible, Maman resta sans prononcer un mot pendant trois semaines, elle maigrit, se laissa doucement couler, c'était trop pour elle. Elle ne s'intéressa même pas à ses trois petits enfants qui naquirent au-delà des mers. Il avait promis qu'il viendrait la voir, mais il avait toujours une nouvelle raison à invoquer, elle n'y croyait plus.

C'est donc absolument seul que je me retrouvais face à une multitude de problèmes et à la santé déclinante de ma mère. J'en vins à vendre certaines terres, ne serait-ce que pour pouvoir transformer une pièce au rez-de-chaussée du château en chambre à coucher, agrandir les toilettes et y ajouter une douche pour ma mère en lui évitant ainsi les escaliers qu'elle gravissait avec de plus en plus de difficultés. Je fermai les chambres du personnel sous les combles pour ne pas avoir à les chauffer, notre gouvernante-cuisinière et la petite aide, furent logées sur le même étage que moi. Pensez donc, le personnel, réduit au minimum, et le maître sur le même étage ! Peut-être aurais-je dû placer ma mère dans une institution quand le moment vint où il lui fallut une infirmière à domicile, mais je n'en eus pas le courage. Comme le dit mon aimée : « Vous avez fait de votre mieux, avec ce que vous aviez, ne regrettez rien, en plus vous avez donné un peu de bien être à l'auteure de vos jours »