11 RESISTANT
Mes dons pour les langues
font à nouveau merveilles, je traduis, écris messages, ordres,
nouvelles qui passent de main en main, dans le silence : nous
nous connaissons à peine, mais nous formons une grande famille et je
le ressens profondément. Je me vêts de beige, une vielle casquette
cache mes cheveux blonds, à mes pieds des chaussures éculées et je
surveille ma démarche pour ne pas boitiller ; je rentre chez ma
mère le plus souvent que je peux pour ne pas attirer l'attention,
néglige mes études qui me paraissent insignifiantes en regard des
bouleversements que nous vivons, tout est chamboulé : nos
intérêts, nos habitudes, nos valeurs. Mais j'aime ce frisson, cette
sensation excitante de tromper l'ennemi, ils me font oublier quelque
peu l'absence de Sarah.
D'ailleurs je me sens de
plus en plus loin de mon pays natal ; mon père l'a quitté par
manque de fonds pour la recherche. Il nous a rejoint à Paris pour
connaître l'occupation ; hélas : plus de travail,
quelques conférences devant un auditoire clairsemé. Il a ramené un
monceau de paperasses qu'il trie pour en faire un livre. Il bougonne,
tourne en rond comme un tigre en cage, n'arrête ses va-et-vient
seulement pour les repas, morose, chagrin. Ma mère, qui adore mon
père, est navrée par cette situation, elle lui pèse, l'attriste
aussi. Elle aussi a changé son look, fait attention à son accent,
suit des cours de prononciation pour ne pas paraître anglaise au
premier mot prononcé, donc une ennemie de l'occupant malgré sa
nationalité française par mariage. Que de précautions à prendre
en ces temps si sombres. Nous nous sommes tous regroupés dans
l'immeuble de mon oncle, frère de mon père, rue Voltaire ; il
faut se serrer les coudes, faire face à l'adversité, être toujours
plus forts que faibles alors que faibles on nous veut, ne pas se
courber devant l'occupant, redresser le dos. « Tiens-toi
droit » disaient les parents de cette époque ; que de
vérité il y a là.
suite du récit le 27 mai 2016
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