vendredi 9 octobre 2015

Un euro million 3 Le tri


3 LE TRI

Les jours suivants, les rares promeneurs marchant sur la petite route longeant sa maison, purent apercevoir Laure installée devant une grande table poussée contre la fenêtre de son bureau, sa machine à écrire ouverte à sa droite, elle penchée sur des montagnes de paperasses, la tête de son fidèle Toby appuyée sur ses genoux, comme pour la réconforter. Elle a fait quatre tas, la première pile « papiers à jeter », la deuxième « lettres à répondre », puis « factures à payer » et la dernière nommée « bizarreries ». Elle trie l'abondant courrier reçu. Au début, elle avait tout porté à la déchèterie, sans ménagement, tellement irritée. Seulement elle reçut ensuite des rappels d'électricité, de téléphone... Une fois de plus elle doit faire face à la situation. Enfin sa boîte aux lettres ne déborde plus depuis qu'elle y a collé « Publicité non merci ».

Bon et cette carte de visite de Mademoiselle Truc Muche, où la mettre ? Aucune pile ne lui convient ! Alors elle en commence une cinquième qu'elle nomme « les emmerdeurs ». Serait-elle devenue grossière, elle n'était pas comme cela avant. La première pile, c'est facile, direction grand carton pour la déchèterie, concernant la deuxième elle va envoyer la même lettre à tous, il faut bien qu'elle se simplifie la tâche. Elle tapote un brouillon sur sa machine, tout en veillant à ne pas fermer la porte, on ne sait jamais, cela peut-être important.

« Messieurs, Mesdames, Etant dans l'impossibilité de vous répondre pour le moment, vous voudrez bien patienter environ 3 mois et m'écrire à nouveau si votre présente lettre est toujours d'actualité. A ce moment- là, ma situation se sera éclaircie et j'étudierai attentivement votre demande afin de pouvoir vous dire si j'y donne suite ou non. Avec mes salutations ... etc »

Ceci étant fait, elle passe à la troisième pile «à payer » et prépare un ordre bancaire, comme d'hab dirait son petit fils. Ah, nous y voilà à cette quatrième pille « bizarreries ». Non d'une pipe, un faux, une imitation. Ah quel fourbe, voleur, perfide, tartufe... Elle s'emballe, s'arrête, repart, imagine : qui donc photocopie l'entête du papier à lettre de la Police Municipale en joignant une facture avec un bulletin de compte de chèque ? On lui a suggéré de porter plainte, mais la signature est illisible, le supposé détenteur du CCP ne répond pas au téléphone et son adresse est inexistante. En attendant, elle n'aurait pas été attentive en triant son courrier qu'elle aurait peut-être payé cette facture et pour se faire rembourser, niet ! Quelques personnes dans sa situation seraient-elles tombées dans le piège ?

Quant à porter plainte, non merci, elle en a assez des enquêtes, questions, suspicions, maladresses, tout ça pour une vitre brisée. Enfin, soyons juste, elle en a retiré un certain bien : les curieux ont déserté son jardin, plus personne ne l'arrête au village ; elle a même l'impression qu'on l'évite. Ce n'est pas trop dérangeant, au contraire, elle est moins tendue, plus libre dans ses déplacements ; elle doit s'y faire, c'est ainsi dans l'« après » !

Elle caresse la tête de Toby , le chatouille derrière les oreilles :

  • Allons , viens , faisons quelques pas dehors pour notre bien. Oui je sais tu boîtes encore un peu, nous nous arrêterons au café du coin, avec toi je suis rassurée.

Ils furent accueillis par un bonjour amical du Gros Charles. « Chez Charles », une salle sympa et légèrement voutée, comme son propriétaire, des tables aux nappes de coton à carreaux rouges et blancs, tels les rideaux contre les vitres à petits damiers. Quelle joie, là au moins, rien n'a changé. Le Gros Charles apporte une écuelle pleine d'eau pour Toby et Laure le gratifie d'un doux sourire et se plonge dans le journal .

  • Tu permets que je m'assoie à ta table , on ne t'as pas vue au « Chit Chat » la semaine passée. Tu sais on s'est souvenue que c'est un peu grâce à nous que tu as acheté ce billet de loterie.
  • Bonjour Andrée, comment vas-tu ? Et ton fils, est-il de retour chez toi après son long voyage en Asie , fit Laure, tentant de détourner la conversation.
  • Oui et il a trouvé un travail à la scierie.

Oh, pense Laure, sentant une pierre glisser dans sa poitrine et peser sur son coeur. Victor, pourquoi es-tu parti si jeune ? Tu sais, j'ai dû vendre ta scierie, oui je te l'ai déjà dit une multitude de fois. Vois-tu comme il serait doux maintenant, à l'aube de notre retraite, de nous promener la main dans la main dans les sentiers forestiers, admirant les troncs d'arbres, toi calculant en stères et moi griffonnant des dessins que je transformerais en points de croix sur le canevas.

Perdue dans ses souvenirs, elle ne prit pas garde au départ de sa copine qui a probablement compris, avant elle, que Laure ne reviendrait plus au « Chit Chat » du dernier jeudi de chaque mois.

Le Gros Charles s'est assis à côté d'elle et lui présente deux verres de vin rouge pour faire santé à l'un comme à l'autre et surtout remettre du rose sur ses pommettes qui en avaient bien besoin. Un simple geste, un mot réconfortant, en a-t-elle eu avant ? Dorénavant, elle y veillerait dans cet après. Tant de chose à apprendre sur elle-même, sur les autres.

Flip , flop... flop, flop... flip, flop, flop ! Les nuits suivantes, convaincue d'avoir rempli au mieux ses nouveaux devoirs, Laure s'endore le sourire aux lèvres en écoutant la pluie tomber sur le toit. Depuis son enfance, elle a toujours aimé entendre ce tambourinement sur les tuiles. C'est une chanson qui l'apaise, la fait rêver de beauté  sur la terre ; imaginer mille chimères ; gamberger, sauter par-dessus les montagnes, fantasmer d'un royaume irréel, dans la douceur d'être en harmonie avec l'univers.


Suite le 16 octobre 2015

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