vendredi 13 novembre 2015

Un euro million : 8 La clé


8 LA CLE

Sous les combles elle découvre la cause de la fuite d'eau : cela vient du toit, elle voit le ciel entre des tuiles disjointes. Elle continue son inspection, s'aventure de coins en recoins, là où elle se faufilait enfant à la recherche d'un trésor, d'une terre imaginaire, inexplorée, plus encore de vieilles nippes à revêtir avec ses cousines pour jouer à la princesse, au docteur ; ah ça, c'était avec les cousins ! Tiens, cette grosse malle avec son couvercle en dos d'âne recouvert d'un papier à fleurs jauni, Laure n'avait jamais su ce qu'elle contenait. Et bien c'est le moment de le découvrir, se dit-elle.

Impossible d'ouvrir cette malle ; avec plus de mal que de bien, elle la tire sous la lucarne et constate qu'il faut vraiment une grosse clé pour l'ouvrir. Se souvenant d'un tiroir à la cuisine plein d'un ramassis de vieilles clés, elle remonte avec celui-ci, mais elles ne sont pas assez grosses. Elle réfléchit : l’atelier de Victor ! Tiens donc, cela faisait trois ans qu'elle n'y pensait plus ; la folie guérirait-elle de trop d'attachement ?

L’atelier est attenant au garage, monté sur un socle en béton, des lattes de bois tout autour, un toit de tôle ondulée au-dessus, suivit d'un hangar dont elle ouvre la porte et constate que son fils y a entreposé son canapé bleu devenu vieux, une table brûlée en son milieu, des chaises qui ne sont pas à elle. Laure sourit : ainsi Marc a utilisé cet endroit sans lui en parler ; alors exéco mon ami, je n'ai rien dit, toi non plus, mais moi je ne te le reprocherai pas, il y a des événements qui maintenant n'ont plus aucune importance, mon ordre des valeurs s'est modifié.

Laure pénètre enfin dans l'atelier. La fenêtre est entre-ouverte, le sol balayé, on y a travaillé récemment. Entretenir l'atelier et pas la maison, il y a des mesquineries inattendues... « Passons, cherchons » dit-elle tout haut. Il y en a de ces clés, combien de générations d'occupants les ont-ils laissé traîner ? Pourquoi les garder ? Il y en a qui sont minuscules, d'autres très longues, plates ou rondes, épaisses, toutes les forme de dents. Là, sous l'établi, une caisse de bois clair en est pleine ; elle en prend une très lourde dans la main, un beau travail d'artisan forgeron, presque de l'art. Elle veut soulever la caisse pour l'emporter, mais le poids l'arrête. Elle en saisit cinq au hasard et remonte sous le toit. Aucune n'entre dans la serrure ; c'est alors qu'elle remarque que la serrure a une tige métallique en son centre, il faut donc une clé vide en son milieu, voilà qui va permettre une sélection.

Fourrées dans un sac, Laure remonte avec 15 clés, cette fois conformes à la serrure, croit-elle, mais elles n'entrent toujours pas. Bien sûr, suis-je stupide, marmonne-t-elle, la tige métallique n'est pas ronde, elle a une forme de losange. Elle redescend en pensant qu'il faudrait un ascenseur pour l'aider dans tous ses va-et-vient pour une vieille malle.

Pas de clé en losange dans l'atelier. Où chercher ? Il reste la cave. On est têtue ou on ne l'est pas ! Pas possible tout ce désordre, cette accumulation d'objets disparates, cassés, conservés, entassés, oubliés. Elle réfléchit : où cacherais-je une clé importante ? Pas sous le paillasson, ni sous le pot de fleur. Dans un coffre ? Ne soyons pas ridicule, cette clé n'est pas si importante, elle a été délaissée dans un endroit improbable, illogique. Dans les toilettes ? Elle y fait un tour, rien. Elle a été sans nul doute jetée au hasard, déplacée de gauche à droite, au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux dépôts. Alors elle est dessous, sous quoi ?

Assise au soleil dans le jardin, côté cuisine, devant un café-croissants à l’arôme invitatif, un éclair illumine ses réflexions : la chambre de grand- mère ! Celle qui est devenue la chambre d'amis et qui a une grande armoire pleine de draps brodés mais qui ne servent plus depuis longtemps. Enfin, je te tiens, là, cachée entre deux piles de linge !

Est-ce la clé du paradis ou des songes, la clé qui ouvre la boîte de Pandora ou la caverne d'Ali Baba ?

Quelques semaines plus tard, Laure fit réparer le toit et mit la maison en vente.


suite le 20 novembre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire