Encore bien des mois plus
tard, la nuit, Julien surprenait sa femme secouée de pleurs et de
soubresauts. Il la prenait tendrement tout contre lui ; elle
nichait sa tête dans le creux de son épaule et finissait par
s'endormir. L'hiver arrivant et les travaux des champs terminés,
elle partit pour le Nepal, vers sa source, se plonger dans ses
racines, voir sa famille, sa mère qui saurait la réconforter.
Niangha revint avec
quelques kilos en plus et sa petite soeur qui se mit de suite au
service de Madeleine vieillissante, et se révéla fort bonne
cuisinière, avec parfois un peu trop d'épices ! Elle apprit à
se modérer ; cependant un gros pot de moutarde trôna au milieu
de la table à tous les repas, même au petit déjeuner !
Niangha raconta la visite qu'elle fit près de Katmandou où son
autre soeur, elle en a trois et quatre frères, lui montra l'usine où
elle travaillait : une belle bâtisse moderne, sans fioritures
mais aux larges fenêtres, de magnifiques tapis noués à la main par
une foule d'ouvrières gaies, habillées de frais tabliers comme
elle. A côté, une école toute neuve où allaient leurs enfants.
C'était la réalisation d'une Népalaise, Sulo Shrestha Shah** qui,
après avoir étudié en Allemagne, fonda la « Formation
Carpets » et fit construire une usine de tissage pour
combattre, comme elle le disait elle-même, la pauvreté,
l'illettrisme et la lourdeur administrative.
Heureuse, Niangha
rentrait pleine de beaux souvenirs de l'un de ses frères qui vivait
près de Baglund, au centre du Nepal. Là vivait une jeune fille
qu'il épousa. II avait appris de son beau père l'art de cultiver la
moutarde et collaborait maintenant avec lui. Ils occupaient, avec
leurs quatre jeunes enfants, une maison bâtie en pierres et en bois,
sur deux étages, le deuxième reposant en retrait sur le toit du
premier, donnant à l'ensemble un léger air de pagode, sans les
ailes aux quatre coins. Quand Niangha y arriva, après un voyage de
deux jours inconfortables : un vieux train traînard et bondé,
des chemins peu carrossables dans une camionnette grinçante, aux
amortisseurs aux oubliettes et qui longeaient des chantiers ouverts,
gargantuesques, pour la construction de routes, elle fut royalement
reçue par sa belle-soeur et entourée joyeusement par ses neveux et
nièces. C'était la saison où les plans de moutarde blanche étaient
en fleurs. Les cultures s'allongeaient en vagues jaune citron au
milieu de champs « vert de vessie » , entourées de
hautes montagnes abruptes, rousses, brunes, blanches au sommet :
l'Anapurna ; poètes à vos plumes, artistes à vos pinceaux, que
c'était beau !
Le Nepal est un monde
minéral ; Niangha avait le coeur qui dansait de joie en
promenant son regard sur les montagnes escarpées, les hautes cimes
enneigées, rochers à pics, stupas naturels montrant le ciel du
doigt et dominant de profondes vallées étroites, mystérieuses,
sauvages,
son pays. Elle en fit
provision pour son retour en Normalie.
** authentique, lire « 80
hommes pour changer le monde » de Sylvain Darnil et Mathieu Le
Roux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire