vendredi 23 janvier 2015

Domaine Le Patriarche 6 De la moutarde


Encore bien des mois plus tard, la nuit, Julien surprenait sa femme secouée de pleurs et de soubresauts. Il la prenait tendrement tout contre lui ; elle nichait sa tête dans le creux de son épaule et finissait par s'endormir. L'hiver arrivant et les travaux des champs terminés, elle partit pour le Nepal, vers sa source, se plonger dans ses racines, voir sa famille, sa mère qui saurait la réconforter.
Niangha revint avec quelques kilos en plus et sa petite soeur qui se mit de suite au service de Madeleine vieillissante, et se révéla fort bonne cuisinière, avec parfois un peu trop d'épices ! Elle apprit à se modérer ; cependant un gros pot de moutarde trôna au milieu de la table à tous les repas, même au petit déjeuner ! Niangha raconta la visite qu'elle fit près de Katmandou où son autre soeur, elle en a trois et quatre frères, lui montra l'usine où elle travaillait : une belle bâtisse moderne, sans fioritures mais aux larges fenêtres, de magnifiques tapis noués à la main par une foule d'ouvrières gaies, habillées de frais tabliers comme elle. A côté, une école toute neuve où allaient leurs enfants. C'était la réalisation d'une Népalaise, Sulo Shrestha Shah** qui, après avoir étudié en Allemagne, fonda la « Formation Carpets » et fit construire une usine de tissage pour combattre, comme elle le disait elle-même, la pauvreté, l'illettrisme et la lourdeur administrative.

champs de moutarde, Nepal

Heureuse, Niangha rentrait pleine de beaux souvenirs de l'un de ses frères qui vivait près de Baglund, au centre du Nepal. Là vivait une jeune fille qu'il épousa. II avait appris de son beau père l'art de cultiver la moutarde et collaborait maintenant avec lui. Ils occupaient, avec leurs quatre jeunes enfants, une maison bâtie en pierres et en bois, sur deux étages, le deuxième reposant en retrait sur le toit du premier, donnant à l'ensemble un léger air de pagode, sans les ailes aux quatre coins. Quand Niangha y arriva, après un voyage de deux jours inconfortables : un vieux train traînard et bondé, des chemins peu carrossables dans une camionnette grinçante, aux amortisseurs aux oubliettes et qui longeaient des chantiers ouverts, gargantuesques, pour la construction de routes, elle fut royalement reçue par sa belle-soeur et entourée joyeusement par ses neveux et nièces. C'était la saison où les plans de moutarde blanche étaient en fleurs. Les cultures s'allongeaient en vagues jaune citron au milieu de champs « vert de vessie » , entourées de hautes montagnes abruptes, rousses, brunes, blanches au sommet : l'Anapurna ; poètes à vos plumes, artistes à vos pinceaux, que c'était beau !

Le Nepal est un monde minéral ; Niangha avait le coeur qui dansait de joie en promenant son regard sur les montagnes escarpées, les hautes cimes enneigées, rochers à pics, stupas naturels montrant le ciel du doigt et dominant de profondes vallées étroites, mystérieuses, sauvages,
son pays. Elle en fit provision pour son retour en Normalie.

** authentique, lire « 80 hommes pour changer le monde » de Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire