vendredi 16 janvier 2015

Domaine Le Patriarche : 3 Le retour



  • Madeleine, tu as les yeux tout rouges et tu pleures ! Je ne t'ai jamais vu pleurer en cinquante ans.
  • Julien, il y a quelqu'un qui t'attend au salon.
    Cette silhouette devant la fenêtre, large d'épaules, les cheveux dorés dans la lumière et ces bras toujours ballants au bout de ces mains trop larges...
  • Je suis de retour... papa !
    Le coeur de Julien tambourinait, son émotion était si forte que sa voix s'étrangla dans sa gorge.

  • Oh Greorg, je savais que tu rev... Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre.
  • J'ai beaucoup marché, passé un grand nombre d'heures dans des roulottes tirées par de vieux chevaux. J'arrive des Carpates, nous campions près de Beltsy en Moldavie. Tu sais que maman a du sang gitan dans les veines, n'est-ce pas ? Maintenant, il faut absolument que je dorme au mois une heure ou deux.

Se souvenant qu'il avait sa chambre au deuxième, Greorg allait monter l'escalier mais s'arrêta net en ayant perçu une hésitation de la part de Madeleine.

  • Mais oui, monte mon petit, ta chambre est toujours là. Elle allait ajouter qu'elle l'avait aérée ce matin, mais pas pour lui, alors elle se tut brusquement. Elle repensa à toutes ces années d'absence, pendant lesquelles Julien avait toujours insisté pour que cette pièce resta telle que son fils l'avait laissée. Mais de guerre lasse, elle avait fini par céder à Niangha et l'avait préparée pour son frère cadet qui allait arriver du Népal, oh avec inquiétude quant à la réaction de Julien. Quel soulagement pour elle, il n'en saura rien.
    Son silence, Greorg l'attribua aux changements intervenus dans la maison pendant qu'il parcourait les routes, encore enfant, avec ses « frères ». Il avait bien remarqué la présence d'une statuette de Bouddha dans la niche à côté de la cheminée. « Il y en aura beaucoup d'autres » se dit-il. Il savait qu'un autre monde aux coutumes, à la religion différentes, était entré chez lui. Il faudra qu'il s'y fasse et il n'avait pas encore rencontré Niangha, ses jeunes demi-soeurs et frère.
Pendant deux semaines on les vit, père et fils, arpenter, côte à côte, tout le domaine, prenant des notes, s'enfermant dans le bureau et discutant des heures durant. Ils s'arrêtèrent longuement dans le petit village que formaient des maison mitoyennes, étroites et sur deux étages, chacune avec un petit jardin.

  • Il me semblait que ce terrain nous appartenait, l'as-tu vendu, demanda Greorg à son père.
  • Il appartient à la Fondation Emilie.
  • Le prénom de ma grand-mère, s'exclama Greorg.
  • Oui, en mémoire de ma mère, douce comme son prénom ; cela convenait à mon père qui était très autoritaire !
  • Et alors ?
  • Viens, asseyons-nous sur ce banc, je pense que c'est bien le seul qui existe sur tout notre domaine ! Je vais te conter cette histoire.
Il y a bien des années, peut être à l'âge de Greorg aujourd'hui, Julien avait lu un livre sur la vie des membres de la famille Cadbury*. Ils étaient Anglais et chocolatiers de pères en fils. L'un d'eux avait eu l'idée et la générosité de faire construire des maisons, du genre de celles que Julien et Greorg avaient sous les yeux. Il en fit une Fondation à but non lucratif, et de ce fait exonérée d'impôt, et à laquelle la famille Cadbury fit don du terrain et des maisons qui y furent construites. Le but était de sortir le plus grand nombre de leurs employés des quartiers insalubres dans lesquels ils vivaient et cela pour un loyer modeste. Il faut ajouter que cette famille était quaker et, selon leurs principes, elle ne devait pas garder tous les bénéfices de leur entreprise pour elle-même, elle vivait donc relativement modestement par rapport à sa fortune, c'est à dire sans luxe.

Le succès fut énorme et les employés s'attachèrent à l'entreprise, d'autant plus qu'il fallait être ouvrier à l'usine Cadbury pour pouvoir en bénéficier. La famille Cadbury aménagea ensuite des jardins, y fit venir médecins, dentistes... Naturellement elle le pouvait avec les bénéfices engrangés, « ce qui n'est évidemment pas dans les possibilités du rendement de notre domaine » ajouta de Julien qui avait une famille de trois enfants de moins de 10 ans et un quatrième à venir. Cependant, la Fondation Emilie fonctionnait selon ces mêmes principes.

  • Seul, interrompit Greorg tu ne peux pas être partout, tout prévoir, tout faire, bien que Niangha te soit d'une aide efficace, mais maintenant je suis là, papa ! Et j'ai des amis parmi les Gitans et les Tziganes qui m'ont promis de nous aider. Leurs promesses ne sont jamais lettres mortes. Et sais-tu que les Tziganes sont très riches ? « L'or des Carpates murmura Julien ». Nous sommes forts tous ensembles, continua Greorg qui fit semblant de ne pas avoir entendu mais effleura de la main sa poche boursouflée, ce que son père ne manqua pas de remarquer en souriant et en hochant la tête d'un air entendu. Tu sais papa, Niangha est super ! Elle a planté les pommes de terre que j'ai fait venir de Pologne, grâce à ces amis-là, et elle m'a dit qu'elles avaient du succès sur les marchés avec leur jolies pelures roses.

* read « Chocolate Wars » written by Deborah Cadbury. You can find that book at The English Library in Vevey



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire