Son
Opinel à la main, que faisait Julien assis devant ces caisses de
fruits, de légumes ? Il prenait la température du marché,
observait les habitudes des acheteurs, notait dans sa mémoire à
quel stand il y avait le plus de monde et en cherchait les raisons ;
plus tard cela lui servirait.
Sous
son vieux chapeau de paille qu'il portait depuis des années, avec
ses mains larges mais soignées, sa polaire bordée de violet de la
même couleur que son pull, une coquetterie, Julien n'était
certainement pas un ouvrier agricole, plus surement un propriétaire
terrien.
Un
bon sourire frisait ses lèvres. Il se voyait déjà bien loin de sa
Normalie natale. A 50 ans, il avait décidé de voir le monde,
comprendre comment d'autres peuples cultivaient leurs champs,
encouragé par ses amis désireux de le voir secouer sa tristesse
voilée. Attiré par les rizières en terrasses, deux récoltes
abondantes par an, le voilà au Népal, dans une haute vallée,
profonde, fraîche et dans ce gros village par journées de fêtes,
danses, costumes traditionnels. Elle était là, si jeune, si belle
avec sa longue chevelure noire et toute sa grâce, dans son gilet
noir brodé de couleurs vives, laissant apparaître les manches
rouges aux poignets entourés de noir de sa blouse ; on aurait dit
qu'elle dansait pour lui, rien que pour lui. Ils se regardèrent, se
sourirent, le contact était pris. Ils se revirent ; de loin,
elle repiquant les pousses de riz dans une jupe bet un corsage bleu,
un bandeau vert retenant ses cheveux ; de plus près, sur la
terrasse de la petite auberge accrochée au pan de la montagne.
Puis
une nuit, elle entra dans sa chambre. Il la serra dans ses bras, ils
se caressèrent ... « Oh tu es vierge » lui murmura-t-il,
il eut une hésitation, mais elle le serra plus fortement contre
elle. Le langage du corps est le même sous toutes les latitudes.
Niangha
quitta tout pour le suivre, enceinte, heureuse et confiante dans le
beau visage doré par le soleil de Julien qui sentait si bon l'Eau de
Cologne. De retour dans ce qui allait devenir son chez elle, à elle
aussi, il lui fit visiter son domaine. Arrivés devant les champs de
poireaux qui semblaient s'étendre à perte de vue, elle s'élança
entre les lignes cultivées, les tirant prestement hors de terre. Ce
faisant, elle avançait deux fois plus vite que les autres femmes qui
s'y appliquaient et eut tôt fait de ranger les poireaux dans les
caisses de bois, par simple imitation. Sans aucun doute ce travail
lui rappelait les rizières de son pays lointain.
Julien
pointa le doigt en direction de son ventre, Niangha se mit à rire,
puis fut imitée par toutes les autre femmes présentes ; elles
se comprenaient. Ainsi, déjà, elle était adoptée et même
respectée, non seulement parce qu'elle était la femme du patron,
mais aussi pour sa dextérité et un « on ne savait quoi »
de fort, une autorité innée.
Julien
était ravi en son fort intérieur car il était convaincu d'avoir
enfin trouvé celle qu'il voulait pour devenir la responsable de ses
cultures maraîchères, il y veillerait. Il avait toujours su mettre
la bonne personne à sa juste place, l'un de ses secrets et
certainement celui de sa réussite. Niangha avait accepté le fait de
ne pas pouvoir l'épouser, il lui avait dit dès le début qu'il
était déjà marié et que sa femme avait disparu. Elle avait alors
remarqué un nuage gris passer sur son front. La regrettait-il ?
Plus tard elle comprit qu' Esther était partie avec leur fils
Greorg, alors âgé de 11 ans ; c'était lui qui manquait tant à
Julien. Niangha sentit son coeur se serrer et fut plus heureuse
encore de la venue tout soudain de leur premier enfant ; elle
comptait bien en avoir encore beaucoup d'autres. L'avenir s'annonçait
radieux.
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