vendredi 29 mai 2015

Une cave-un galetas : 10 Du vrai, du faux




Dans les semaines qui suivirent le vernissage, dans les salons privés, il fut beaucoup question de vrai, de faux. Le débat animait les conversations. Que ressent le commerçant d'art, vrai ou prétendument tel, qui vend un faux, sachant qu'il l'est ? Le plaisir de mystifier les experts, la perspective de gains juteux et relativement faciles, de se jouer des acheteurs qui n'ont qu'à vérifier ! Peut-être aussi le frisson que procure une vente aux enchères, semblable à l'impatience nerveuse ressentie par un joueur pendant que la roulette tourne au casino. Falsifier des documents, faire de fausses photos en plaçant sa mère devant des faux en assurant que celle-ci est une grande tante à qui appartenait ces toiles ; que de « trucs » sortis de l'imagination fertile des faussaires. Les commentaires allaient bon train :



  • On sait que Corot a peint 2500 tableaux et qu'il y en a environ 10000 en circulation.
  • Si je ne fais erreur, René Huyghe prétend qu'il y en aurait 20000 !
  • C'est effarant, de quoi ruiner le marcher de l'art.
  • Peut-être pas si certains acheteurs sont aussi fats, aussi avides que les marchands. Si vous avez acheté un Picasso un million et que vous apprenez que le vendeur est un margoulin, allez-vous le crier sur les toits, faire intervenir des inspecteurs, payer des experts, ou allez-vous cacher l'oeuvre dans un coffre et attendre 10 ou 15 ans avant de le remettre dans le commerce, espérant une plus value de quelques millions ?
  • Vous présentez cela comme un jeu.
  • A ce stade, c'est un jeu, un coup de poker.
  • Ne pourrait-on pas mieux utiliser son argent ?
  • Là est tout le problème moral de la situation, de l'énorme responsabilité qui incombe aux gens riches, fabuleusement riches.
  • En ce moment, il parait que la Chine achète à tour de bras des toiles en Europe et aux Amériques pour garnir ses musées et attirer les touristes, un juteux commerce !
  • Vous avez sûrement entendu parler du génie de John Drewe, si on peut le qualifier ainsi, qui a introduit des pièces fictives dans les archives, tenez-vous bien, de la célèbre Tate Galery. Si donc, quelqu'un venait à douter d'un tableau vendu par lui et entreprenait des recherches affirmant, ou infirmant son authenticité auprès de cette galerie, il trouverait confirmation du « vrai » précisément dans ses archives !
  • Je ne suis pas certain que les clients et les marchands d'art soient plus honnêtes que les faussaires. Ils se tiennent plus ou moins entre eux. Et qui sait, des experts, sachant que des oeuvres maquillées passent en salles de vente, ne vont pas les dénoncer comme telles afin de ne pas perturber cet intéressant trafic.
  • Et que penser de Vincent van Gogh qui a peint des vaches dans un pré d'après une gravure du Docteur Gachet qui lui-même s'est inspiré de Jordaens : copie de copie, mais un vrai van Gogh ?
  • Je pense que des faux de peintres actuels sont plus faciles à réaliser : pas de problème de toile, de peinture, de vieillissement et leur facture est souvent plus simple, en particulier pour les non-figuratifs me semble-t-il.


  • Tout cela me fait dire que l'on ne peut pas se fier au prix d'un tableau pour connaître la vraie valeur de l'artiste, or, pour moi c'est ce qui compte. Les prix seraient donc poussés à la hausse artificiellement, suivant l'engouement du public, sans règles esthétiques. Mais quelles règles ? Et qu'est-ce qui fait la valeur intrinsèque de l'oeuvre ? Sans règles définies, on s'y perd, et c'est beau jeu à jouer pour les spéculateurs.
  • Il y aurait donc de grands artistes oubliés, méconnus dans ce 21e siècle, qui n'ont pas été encensés par la foule, ni retenus par des marchands ou des amateurs et qui, comme à la fin du 19e siècle, auraient bien du mal à boucler les fins de mois. J'aimerais bien les connaître.

Pendant cette période, Marie-Ange et Armand, très occupés par leur exposition, ne participèrent pas, ou le moins possible à ces discutions ; il était prudent que Marie-Ange les évite, elle ne devait pas se trahir par un mot de trop. Ils partirent pour un voyage en Espagne qu'ils prétendirent organisé depuis quelques mois. Ils revinrent alors que les esprits s'étaient calmés, parlèrent du Prado, de danses de Flamenco à Séville, baignades en Méditerranée sur La Costa del Sol, visite de L'Alhambra et un tour de l'architecture de Gaudi à Barcelone qu'Armand voulait voir absolument.





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