vendredi 22 mai 2015

Une cave-un galetas : 9 Vernissage





A la rentrée de septembre un vernissage fit la une de tous les journaux locaux. On ne parlait plus que de « à la manière de », c'était le titre des invitations reçues, honorées.

Le jour J, en effet, Armand en complet de velours bleu cobalt, veston cintré à long pans, chemise rouge, cravate nouée à la va-vite façon artiste, une pochette du même rouge ; Marie-Ange dans un pantalon de cuir bleu foncé, brillant, moulant, une extraordinaire blouse rouge échancrée dans le dos et des boucles d'oreilles assez grandes : trois anneaux l'un dans l'autre, au milieu desquels se balançait une pierre rouge ; tous deux recevaient leurs hôtes.

Pour entrer dans la galerie, il fallait montrer patte blanche, c'est-à-dire son carton d'invitation. La paire, comme on les appelait déjà, avait fait les choses en grand, tout le gratin de Bourgdoz et d'ailleurs était présent. Armand jouait, enfin non, ce n'était pas un rôle pour lui, mais sa nature profonde de gentleman, d'homme d'un certain monde dans lequel il était tombé à sa naissance ; enfin, pour tout dire, il excellait dans les présentations de l'un à l'autre, il était dans son élément ; quant à Marie-Ange, elle se confondait avec les couleurs des Gauguin exposés « à la manière de ». Ses boucles brillaient de mille facettes, à rendre jalouses les femmes présentes qui murmuraient entre elles : « tu crois que c'est un vrai rubis ? Trop gros pour l 'être. Il est fauché, ruiné, il ne peut les lui avoir achetées. Un bijou de famille alors ? Et ces modelages, tu trouves bien ? Nuls ! Pas si sûr, regardez ces bronzes, la patine est faite de mains de maître ! Ce n'est pas lui qui s'en est chargé, trop de la haute pour se salir les mains. Pourtant, fit remarquer l'une d'elle, il a bien fallu qu'il se les salissent, ses mains, pour faire ces modelages vernissés.



Quelques jours plus tard, parurent les revues d'art. Une photographie de Marie-Ange devant la sculpture d'une femme dévêtue se lavant les cheveux dans l'eau d'une fontaine fit jazzer, et les hommes, parfaits impénitents, ne manquèrent pas de déshabiller la vivante du regard. Armand, assis devant une toile « à la manière de Siseley », représentant un chemin de terre, une carriole, au loin quelques maisons et une enfilade de pins sylvestres sur le côté, tout à fait incongrus dans ce paysage, fit grand bruit. Les qualificatifs ne manquèrent pas : « intéressant, moche, nouveau, dextérité, coups de pinceau maîtrisé, comment peut-on ainsi défigurer des oeuvres de grands maîtres ? » D'ailleurs les titres ne manquaient pas de saveur : « Une galerie pas comme les autres, Copies sans en êtres, Deux font la paire, Un comte qui n'en conte pas, Faut-il dénaturer des tableaux de maîtres pour avoir du succès ? Faire du vrai avec du faux, Des figurines lascives, Où commence le talent ? Où s'arrête le plagiat ? »

Les clients, les curieux, les vrais et les faux amis, des inconnus, de ceux qui faisaient croire qu'ils connaissaient le couple pour être photographiés à côté d'eux, défilèrent à la galerie. Marc-Antoine ne vint pas. Le succès fut époustouflant. Tous deux vendirent énormément. Mais bon, se dirent-ils l'un l'autre, le nombre de vendus ne fait le grand artiste quand on pense à un van Gogh qui n'a quasiment rien vendu de son vivant, quel maître incontesté et incontestable de l'impressionnisme. Dommage qu'il ne soit plus là pour désigner les faux prétendus « de sa main » qui circulent dans le monde, ils se demandaient ce qu'il en penserait.









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