A la rentrée de septembre un vernissage fit la une de tous les journaux locaux. On ne parlait plus que de « à la manière de », c'était le titre des invitations reçues, honorées.
Le jour J, en effet,
Armand en complet de velours bleu cobalt, veston cintré à long
pans, chemise rouge, cravate nouée à la va-vite façon artiste, une
pochette du même rouge ; Marie-Ange dans un pantalon de cuir
bleu foncé, brillant, moulant, une extraordinaire blouse rouge
échancrée dans le dos et des boucles d'oreilles assez grandes
: trois anneaux l'un dans l'autre, au milieu desquels se balançait
une pierre rouge ; tous deux recevaient leurs hôtes.
Pour entrer dans la
galerie, il fallait montrer patte blanche, c'est-à-dire son carton
d'invitation. La paire, comme on les appelait déjà, avait fait les
choses en grand, tout le gratin de Bourgdoz et d'ailleurs était
présent. Armand jouait, enfin non, ce n'était pas un rôle pour
lui, mais sa nature profonde de gentleman, d'homme d'un certain monde
dans lequel il était tombé à sa naissance ; enfin, pour tout
dire, il excellait dans les présentations de l'un à l'autre, il
était dans son élément ; quant à Marie-Ange, elle se
confondait avec les couleurs des Gauguin exposés « à la
manière de ». Ses boucles brillaient de mille facettes, à
rendre jalouses les femmes présentes qui murmuraient entre elles :
« tu crois que c'est un vrai rubis ? Trop gros pour
l 'être. Il est fauché, ruiné, il ne peut les lui avoir
achetées. Un bijou de famille alors ? Et ces modelages, tu
trouves bien ? Nuls ! Pas si sûr, regardez ces bronzes, la
patine est faite de mains de maître ! Ce n'est pas lui qui s'en
est chargé, trop de la haute pour se salir les mains. Pourtant, fit
remarquer l'une d'elle, il a bien fallu qu'il se les salissent, ses
mains, pour faire ces modelages vernissés.
Quelques jours plus tard,
parurent les revues d'art. Une photographie de Marie-Ange devant la
sculpture d'une femme dévêtue se lavant les cheveux dans l'eau
d'une fontaine fit jazzer, et les hommes, parfaits impénitents, ne
manquèrent pas de déshabiller la vivante du regard. Armand, assis
devant une toile « à la manière de Siseley »,
représentant un chemin de terre, une carriole, au loin quelques
maisons et une enfilade de pins sylvestres sur le côté, tout à
fait incongrus dans ce paysage, fit grand bruit. Les qualificatifs ne
manquèrent pas : « intéressant, moche, nouveau,
dextérité, coups de pinceau maîtrisé, comment peut-on ainsi
défigurer des oeuvres de grands maîtres ? » D'ailleurs
les titres ne manquaient pas de saveur : « Une galerie pas
comme les autres, Copies sans en êtres, Deux font la paire, Un comte
qui n'en conte pas, Faut-il dénaturer des tableaux de maîtres pour
avoir du succès ? Faire du vrai avec du faux, Des figurines
lascives, Où commence le talent ? Où s'arrête le plagiat ? »
Les clients, les curieux,
les vrais et les faux amis, des inconnus, de ceux qui faisaient
croire qu'ils connaissaient le couple pour être photographiés à
côté d'eux, défilèrent à la galerie. Marc-Antoine ne vint pas.
Le succès fut époustouflant. Tous deux vendirent énormément. Mais
bon, se dirent-ils l'un l'autre, le nombre de vendus ne fait le grand
artiste quand on pense à un van Gogh qui n'a quasiment rien vendu de
son vivant, quel maître incontesté et incontestable de
l'impressionnisme. Dommage qu'il ne soit plus là pour désigner les
faux prétendus « de sa main » qui circulent dans le
monde, ils se demandaient ce qu'il en penserait.
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