Les premières années de
son retour, Greorg les passa aux côtés de son père, apprenant de
lui toutes les ficelles du métier, puis il reprit la responsabilité
de leur cheptel de 300 vaches, la production du lait et l'élevage
des veaux pour la boucherie. Avec ses lourdes mains, il était
pourtant d'une grande douceur envers les bêtes, il les reconnaissait
les unes des autres, les appelait par leur nom : Florine,
Tournesol, Coquine, Fiérote...
Puis un jour il était
arrivé à la réunion des « administrateurs » (nom
imaginé par les responsables de l'entreprise) avec une proposition
bien étayée : « La Centrale laitière qui vient chercher
le lait, nous donne 45 ct le litre sur lequel nous ne gagnons rien ;
si nous le lui apportions, nous en recevrions 80 ct, soit presque le
double. En achetant 3 anciens camions Saurer, je les ai déjà
trouvés, (il n'en dit pas le prix, l'argent provenant de sa poche
rembourrée, son père en était bien conscient), en engageant 4
chauffeurs à plein temps, à choisir parmi les gars venant des pays
de l'Est qui ont généralement un permis de conduire, payés selon
le barème en vigueur dans la paysannerie, donc modique, mais avec en
plus le coucher offert et le manger au prix de revient de la ferme,
il nous resterait un bénéfice de 15 ct par litre. Voici le détail
de tout ce que je vous ai dit, établi par un expert comptable.
Lisez-le attentivement. Avons-nous pensé à tout ? »
Fantasio,
menuisier-couvreur, qui travaillait pour eux depuis des années,
responsable aujourd'hui des travaux d'entretien des bâtiments,
était, de ce fait, membre des « administrateurs »,
remarqua qu'il faudrait faire passer un permis poids lourds aux
futurs chauffeurs, car les permis en leur possession n'étaient pas
toujours valables, ou pour dire plus, parfois faux. Tout fut approuvé
à l'unanimité, en ajoutant un contrat de deux ans pour ne pas
devoir supporter un va et vient continuel de personnel. Greorg dit
encore que son beau-frère Tiengo avait cousu ensemble deux sacs de
jute qu'il avait bourré de foin, comme il l'aurait fait avec de la
paille de riz. Il en ferait d'autres qui serviraient de matelas et de
bon isolant du sol dans l'ancienne ferme en prévision de leur
arrivée. Tous étaient assez contents de constater que le jeune
frère de Niangha avait trouvé à se rendre utile. Ils se
souvenaient de la mauvaise expérience faite avec l'aîné qui
rentrait au petit matin sans marcher droit et ne se levait qu'à
midi. Heureusement, il était parti tenter sa chance dans le nord,
emportant une partie des économies de sa soeur, qu'elle lui avait
données, généreusement. Elle était libre de disposer de son
salaire, tous étaient salariés au Domaine Le Patriarche, y
comprit Julien, et touchaient des tantièmes supplémentaires pour
toute idée, amélioration, augmentation du rendement mises en
commun. Elle imaginait bien que son geste serait probablement sans
retour, mais c'était son frère.
On put ainsi assister à
un ballet de camions, entrer, sortir, circulant sur les routes avec
le magnifique logo imaginé par Olingha. Une réclame vivante,
efficace pour le bio auprès des consommateurs qui, après tout, ont
le dernier mot, ou le premier selon le point de vue de chacun. Ce
sont eux, tout de même, qui décident de ce qu'ils désirent manger.
Peut-être que dans les villes, où tout le monde est tellement
pressé, sans avoir le temps de lire les étiquettes, la prise de
conscience sera plus longue que dans les villages. Mais l'avancée du
bio était de plus en plus visible, leurs luttes étaient reconnues
et approuvées. Un juste retour des choses pour tant d'efforts.
Greorg pensait avec
reconnaissance (un jour il faudra qu'il le lui dise) à l'efficacité
et la ténacité de son père qui avait abandonné les anciennes
écuries et fait construire deux grands bâtiments allongés de deux
étages chacun, directement en bordure des bocages. Au rez de grandes
stalles, larges, lumineuses. Au 1er, le foin pouvant être distribué
directement dans chacune de celles-ci par un système ingénieux de
trappes et de conduites.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire