vendredi 6 février 2015

Domaine Le Patriarche 10 Greorg


Les premières années de son retour, Greorg les passa aux côtés de son père, apprenant de lui toutes les ficelles du métier, puis il reprit la responsabilité de leur cheptel de 300 vaches, la production du lait et l'élevage des veaux pour la boucherie. Avec ses lourdes mains, il était pourtant d'une grande douceur envers les bêtes, il les reconnaissait les unes des autres, les appelait par leur nom : Florine, Tournesol, Coquine, Fiérote...

Puis un jour il était arrivé à la réunion des « administrateurs » (nom imaginé par les responsables de l'entreprise) avec une proposition bien étayée : « La Centrale laitière qui vient chercher le lait, nous donne 45 ct le litre sur lequel nous ne gagnons rien ; si nous le lui apportions, nous en recevrions 80 ct, soit presque le double. En achetant 3 anciens camions Saurer, je les ai déjà trouvés, (il n'en dit pas le prix, l'argent provenant de sa poche rembourrée, son père en était bien conscient), en engageant 4 chauffeurs à plein temps, à choisir parmi les gars venant des pays de l'Est qui ont généralement un permis de conduire, payés selon le barème en vigueur dans la paysannerie, donc modique, mais avec en plus le coucher offert et le manger au prix de revient de la ferme, il nous resterait un bénéfice de 15 ct par litre. Voici le détail de tout ce que je vous ai dit, établi par un expert comptable. Lisez-le attentivement. Avons-nous pensé à tout ? »

Fantasio, menuisier-couvreur, qui travaillait pour eux depuis des années, responsable aujourd'hui des travaux d'entretien des bâtiments, était, de ce fait, membre des « administrateurs », remarqua qu'il faudrait faire passer un permis poids lourds aux futurs chauffeurs, car les permis en leur possession n'étaient pas toujours valables, ou pour dire plus, parfois faux. Tout fut approuvé à l'unanimité, en ajoutant un contrat de deux ans pour ne pas devoir supporter un va et vient continuel de personnel. Greorg dit encore que son beau-frère Tiengo avait cousu ensemble deux sacs de jute qu'il avait bourré de foin, comme il l'aurait fait avec de la paille de riz. Il en ferait d'autres qui serviraient de matelas et de bon isolant du sol dans l'ancienne ferme en prévision de leur arrivée. Tous étaient assez contents de constater que le jeune frère de Niangha avait trouvé à se rendre utile. Ils se souvenaient de la mauvaise expérience faite avec l'aîné qui rentrait au petit matin sans marcher droit et ne se levait qu'à midi. Heureusement, il était parti tenter sa chance dans le nord, emportant une partie des économies de sa soeur, qu'elle lui avait données, généreusement. Elle était libre de disposer de son salaire, tous étaient salariés au Domaine Le Patriarche, y comprit Julien, et touchaient des tantièmes supplémentaires pour toute idée, amélioration, augmentation du rendement mises en commun. Elle imaginait bien que son geste serait probablement sans retour, mais c'était son frère.

On put ainsi assister à un ballet de camions, entrer, sortir, circulant sur les routes avec le magnifique logo imaginé par Olingha. Une réclame vivante, efficace pour le bio auprès des consommateurs qui, après tout, ont le dernier mot, ou le premier selon le point de vue de chacun. Ce sont eux, tout de même, qui décident de ce qu'ils désirent manger. Peut-être que dans les villes, où tout le monde est tellement pressé, sans avoir le temps de lire les étiquettes, la prise de conscience sera plus longue que dans les villages. Mais l'avancée du bio était de plus en plus visible, leurs luttes étaient reconnues et approuvées. Un juste retour des choses pour tant d'efforts.

Greorg pensait avec reconnaissance (un jour il faudra qu'il le lui dise) à l'efficacité et la ténacité de son père qui avait abandonné les anciennes écuries et fait construire deux grands bâtiments allongés de deux étages chacun, directement en bordure des bocages. Au rez de grandes stalles, larges, lumineuses. Au 1er, le foin pouvant être distribué directement dans chacune de celles-ci par un système ingénieux de trappes et de conduites.


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