Assis
devant la fenêtre donnant sur de magnifiques tilleuls, écoutant
roucouler les deux tourterelles turques qui revenaient là chaque
printemps, toujours fidèles l'une à l'autre, se faisant la
révérence comme au premier jour, lui, l'homme inconnu,
s'admonesta : comment a-t-il été si bête de monter à l'étage
alors qu'il s'était juré de ne jamais le faire ? Et pour
découvrir quoi ? Il n'en n'était pas certain, et puis il ne
pouvait en parler à personne, on lui aurait demandé ce qu'il
faisait là bien sûr. Un secret bien gardé, des deux côtés
certainement, car elle devait aussi en avoir un pour avoir remplacé
le Gauguin, ça, il en était sur, par une vulgaire croûte, enfin
était-ce une croûte ? Il n'avait pas eu le temps de regarder
plus longuement avant d'être poussé vers la porte de sortie.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Des oeuvres de cette
valeur non protégées par une alarme ? Pas de gardien, pas de
chien méchant, pas de clôture électrifiée... Il laissa vagabonder
son imagination, passa sa main dans ses cheveux, se souvenant
subitement que ce soir-là il avait oublié de mettre son béret pour
couvrir ses cheveux blancs qu'il savait beaux et surtout trop
reconnaissables...
Après la vente du château, il s'était retiré, replié sur
lui-même, caché au fin fond de ce petit village, inconnu de tous,
croyait-il. Il vivait très simplement, faisant attention à ses
dépenses avec, au début, un haut-le corps désagréable, une
impression d'être déshabillé, surtout déclassé. Ses amis lui
avaient tourné le dos, ou était-ce lui qui les fuyait ? En
fait il n'osait plus se rendre dans les lieux où, autrefois, il
brillait. Il ne se rendait pas compte qu'il brillait alors par son nom, son
héritage, mais pas par lui-même.
Cette
rencontre non programmée l'avait secoué, il s'interrogeait. Qui
suis-je ? Qu'est-ce que j'ai fait de bien dans cette vie ?
Remonter la pente lui paraissait impossible alors qu'il devait lutter
pour ne pas tomber plus bas. Mais y a-t-il un haut et un bas ?
Haute question philosophique. Il s'était occupé de sa mère
vieillissante, avait conservé le château pour elle. Il s'en rendait
compte maintenant : il fallait vendre le château qui coûtait
cher à l'entretien et conserver les terres ; aujourd'hui celles
situées en bordure de la route avaient été revendues comme
terrains à bâtir avec une substantielle plus-value, seulement pas
pour lui. On ne connaît l'erreur de nos choix qu'une fois ceux-ci
faits, n'est-ce pas ?
Il était seul. La
solitude commençait à lui peser, un vague sentiment d'abandon, un
flou comme une brume semblait l'entourer, des fantômes habitaient
ses pensées, voilaient la lune en cette chaude soirée d'été mais
lourde d'échecs, de tristes cogitations, de préoccupations qu'il
aurait méprisées autrefois. Il se demandait sérieusement si
ses expéditions nocturnes, rares heureusement, ne finiraient pas
mal. N'allait-on pas le découvrir, le questionner ? Il faudrait
qu'il ait le courage d'y mettre fin, de renoncer à ces grands crus,
délectables, corsés, chauds, moelleux au palais et qu'il ne pouvait
plus s'offrir. Alors, il se servait, avec discrétion, mais peut-être
pas avec assez de parcimonie. Il s'était laissé entraîné vers le
toujours plus, et le toujours moins de précautions.
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