vendredi 3 avril 2015

Une cave-un galetas 2 Au-dessus du garage


Assis devant la fenêtre donnant sur de magnifiques tilleuls, écoutant roucouler les deux tourterelles turques qui revenaient là chaque printemps, toujours fidèles l'une à l'autre, se faisant la révérence comme au premier jour, lui, l'homme inconnu, s'admonesta : comment a-t-il été si bête de monter à l'étage alors qu'il s'était juré de ne jamais le faire ? Et pour découvrir quoi ? Il n'en n'était pas certain, et puis il ne pouvait en parler à personne, on lui aurait demandé ce qu'il faisait là bien sûr. Un secret bien gardé, des deux côtés certainement, car elle devait aussi en avoir un pour avoir remplacé le Gauguin, ça, il en était sur, par une vulgaire croûte, enfin était-ce une croûte ? Il n'avait pas eu le temps de regarder plus longuement avant d'être poussé vers la porte de sortie. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Des oeuvres de cette valeur non protégées par une alarme ? Pas de gardien, pas de chien méchant, pas de clôture électrifiée... Il laissa vagabonder son imagination, passa sa main dans ses cheveux, se souvenant subitement que ce soir-là il avait oublié de mettre son béret pour couvrir ses cheveux blancs qu'il savait beaux et surtout trop reconnaissables...

Après la vente du château, il s'était retiré, replié sur lui-même, caché au fin fond de ce petit village, inconnu de tous, croyait-il. Il vivait très simplement, faisant attention à ses dépenses avec, au début, un haut-le corps désagréable, une impression d'être déshabillé, surtout déclassé. Ses amis lui avaient tourné le dos, ou était-ce lui qui les fuyait ? En fait il n'osait plus se rendre dans les lieux où, autrefois, il brillait. Il ne se rendait pas compte qu'il brillait alors par son nom, son héritage, mais pas par lui-même.

Cette rencontre non programmée l'avait secoué, il s'interrogeait. Qui suis-je ? Qu'est-ce que j'ai fait de bien dans cette vie ? Remonter la pente lui paraissait impossible alors qu'il devait lutter pour ne pas tomber plus bas. Mais y a-t-il un haut et un bas ? Haute question philosophique. Il s'était occupé de sa mère vieillissante, avait conservé le château pour elle. Il s'en rendait compte maintenant : il fallait vendre le château qui coûtait cher à l'entretien et conserver les terres ; aujourd'hui celles situées en bordure de la route avaient été revendues comme terrains à bâtir avec une substantielle plus-value, seulement pas pour lui. On ne connaît l'erreur de nos choix qu'une fois ceux-ci faits, n'est-ce pas ?

Il était seul. La solitude commençait à lui peser, un vague sentiment d'abandon, un flou comme une brume semblait l'entourer, des fantômes habitaient ses pensées, voilaient la lune en cette chaude soirée d'été mais lourde d'échecs, de tristes cogitations, de préoccupations qu'il aurait méprisées autrefois. Il se demandait sérieusement si ses expéditions nocturnes, rares heureusement, ne finiraient pas mal. N'allait-on pas le découvrir, le questionner ? Il faudrait qu'il ait le courage d'y mettre fin, de renoncer à ces grands crus, délectables, corsés, chauds, moelleux au palais et qu'il ne pouvait plus s'offrir. Alors, il se servait, avec discrétion, mais peut-être pas avec assez de parcimonie. Il s'était laissé entraîné vers le toujours plus, et le toujours moins de précautions.





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