Homme aux habitudes bien
ancrées, il quitta, comme chaque matin, son 3 pièces et hall vers
10h et sortit par le garage « Aux pneus tout temps ».
Vêtu de son pantalon de lin vert de gris, de son polo vert olive,
chaussé de ses basquettes, il allongea le pas en direction du
village suivant, en passant par des chemins peu fréquentés.
A l'angle de la Grand'Rue
et celle des Mousquetaires, il s'arrêta à l'auberge de la Clef et
s'assit sous la tonnelle. C'était une douce journée de la mi-juin,
quelques nuages blancs dans le ciel, rien de bien méchant. Trois
décis de bourgogne furent déposés devant lui, pas besoin de
commander, la maison le connaissait. Préoccupé par cette nuit à
interrogations, il perçu très vaguement cette ombre féminine qui
passa devant lui, ralentit un instant à sa hauteur, puis il entendit
une voix mélodieuse réserver une table pour 6, la suivit des yeux,
sans réellement la regarder jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière
la haie de troènes. Une curiosité subite lui fit demander son nom
au serveur.
- Il s'agit d'Angela de La Tourmaline, du château du même nom, mais celui-ci vous le connaissez Monsieur Armand. Oh, excusez !
- Pas de mal, on s'y fait, enfin je m'y suis fait, on s'adapte, il le faut, n'est-ce pas ?
- Elle a une galerie d'art à Dijonus. Le serveur allait continuer mais fut interrompu par un « Garçon, s'il vous plait ! »
Le lendemain, Armand prit
sa vieille limousine BMV noire et remarqua, en quittant le garage
« Aux pneus tout temps », une petite MG décapotable
rouge en stationnement devant celui-ci. Avec son but plein la tête,
il continua de rouler et pris l'auto-route jusqu'à Dijonus.
Déambulant dans la vieille ville, il suivit une ruelle animée, des
petites boutiques aux devantures encore entourées de bois :
épicerie, laverie, coiffeur avec l'inscription à demi effacée
« Barbier » au-dessus de la vitrine, un bazar, une
librairie, un cordonnier, enfin une enfilade de 5 vitrines à
carreaux : son but. Il passa sur le trottoir d'en face pour
mieux observer, sans être vu.
Demain il reviendrait et,
prenant tout son courage, il entrerait. Seulement, le lendemain, la
galerie était fermée. En s'éloignant du lieu, il fut subitement
attiré par le nom inscrit au bas de la porte : Marie-Ange
Vermeille. Ce nom, Vermeille, de Vermeille, le peintre René de
Vermeille et, fichtre, se dit-il, le propriétaire de la maison qu'il
avait visitée une certaine nuit. Sa collection ? Pourquoi
l'avoir enlevée ? Sa fille ?
Tenace, Armand y retourna
la semaine suivante. Il fut accueilli par une petite femme vive,
hautement maquillée, pas la silhouette entrevue, deux fois lui
semblait-t-il. Il se prit à bavarder, reconnaissant deux-trois
toiles de René de Vermeille. Il était décédé 8 ans au paravant
et sa fille avait donc ouvert cette galerie, entre autres pour
exposer ses oeuvres. « Venez-voir au premier, Marie-Ange y
présente ses propres toiles. Lentement, pas à pas, Armand se
rapprocha, recula, changea d'angle, se retourna, une impression de
déjà vu : un flou, une précision, une indécision aussi, des
fleurs, des paysages, certes une interprétation personnelle, puis
là, de loin ce qui pouvait ressembler, hum hum, à un Gauguin ?
Il alla se planter devant, subjugué. Ne retrouvant pas son
impression première, il regarda la signature : Marie-Ange
Vermeille. C'est donc bien la fille de René. Quelle relation avec le
château de La Tourmaline ?
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