vendredi 17 avril 2015

Une cave-un galetas 4 La cave


Elle descendit une dizaine de marches, frôla un entassement de pneus, de jantes éparses, des bidons de toutes tailles, des jerricans en métal, en plastique vert et brun, trébucha sur des cordes déroulées, des lanières de toutes sortes. Incommodée par l'odeur d'essence, de cambouis, elle longea trois, quatre caves à clair-voie et aperçu tout au fond du corridor une porte ouverte, une lumière crue, bleutée, froide. « C'est sûrement là » se dit-elle et entra.

  • Bonjour, fit-elle, je cherche Monsieur Armand. Pouvez-vous me dire où je peux le trouver, s'il vous plait ?

L'homme présent lâcha la motte de terre glaise qu'il tenait, un tiers par stupéfaction, un tiers captivé par cette voix mélodieuse qu'il reconnut, un tiers en regardant ses mains sales. Sans un mot, d'un geste pondéré, il enleva son tablier maculé, se lava les mains, les passa dans ses cheveux, ça devenait une habitude, puis enfila une veste bleue à la pochette rouge dépassant de sa poche de coeur.

Entre temps, elle s'était assise sur le vieux tabouret de piano et tournait tout azimut pour contempler, fascinée, l'inimaginable fouillis : des statuettes de femmes, nues, en voile léger, assises, debout, à genoux, se penchant sur le bord de fontaines, d'étangs, de rivières. Elle fut interrompue par cet homme aux magnifiques cheveux blancs qui se penchait sur elle ; il lui prit la main et la baisa en prononçant ces mots :

  • Armand Carnelian.
  • Marie-Ange de La Tourmaline. Après un court temps de réflexion, elle ajouta :
  • Vermeille est mon nom d'artiste.

« Oh bien sûr, se dit-il, la similitude entre Marie-Ange et Angela aurait dû me frapper : il s'agit de la même personne, que suis-je stupide de n'y avoir pas pensé ! Et maintenant que vais-je faire ? »

  • Et si nous quittions cet endroit ? dit-elle, comme si elle avait suivi ses pensées.

Il lui offrit son bras, ils montèrent ; il lui ouvrit la portière, elle s'installa sur le siège passager ; il se mit derrière le volant et démarra la petite MG rouge décapotée.


  • Et maintenant, où allons-nous, demanda-t-il ?
  • Le temps est magnifique, roulons, répondit Marie-Ange.
  • Et bien roulons, fit Armand en écho.

C'était un « 18 » au Gault et Millau. En y entrant ils firent sensation, ils formaient, c'était évident, un fort beau couple. Armand ne l'avait pas encore bien vue jusqu'alors mais remarqua que, d'un imperceptible mouvement des anches, elle faisait tourner les godets de sa jupe mi-longue, ses cheveux, bruns dorés, tombaient en grosses boucles jusque sur ses épaules. Etait-ce leur couleur naturelle ? Il ne s'en souciait nullement, la femme était superbe, c'est ce qui comptait.

  • Monsieur Armand, fit le Maître d'hôtel, quel plaisir de vous voir. Madame, fit-il, en inclinant la tête.
  • Bonjour Antonio, ma table est-elle prête ?
  • Oui, certainement, Monsieur le... Il se tut, Armand ayant posé le doigt sur sa bouche. Il reprit, mine de rien :
  • Oui, naturellement, près de la pièce d'eau, comme d'habitude.

Il y avait bien cinq ans qu' Armand n'était pas revenu dans cet endroit et Antonio n'avait rien oublié, vraiment un parfait Maître des lieux ! Le jardin était conçu à la façon « Le Nôtre » : des allées parallèles, séparées par des haies de buis coupés courts, des vasques remplies de fleurs de toutes les couleurs, de toutes les hauteurs, des coins et des recoins avec des tables aux nappes jaunes, fraîches comme des primevères.

Marie-Ange se retira un instant, ce qui permit au serveur de dresser la table et à Armand de se remettre de son choc. « Je suis fou, pensa-t-il, mais cette femme est magnifique , cela va être un choc aussi pour mon portefeuille,  enfin, c'est pour un jour... »

Ils parlèrent d'eux. Lui de son frère cadet parti vivre en Australie, au grand chagrin de leur mère, il y avait de cela environ quinze ans. Les premières années, ils s'écrivaient régulièrement de longues missives, donnant tous les détails. Puis ils passèrent à Internet, les messages devinrent plus courts, jusqu'au jour où sa boîte e-mail demeura vide, son frère ne répondait plus. Armand en tut les raisons, par discrétion.

Marie-Ange parla de son fils. Il avait douze ans quand elle avait divorcé. Autrefois, les enfants étaient attribués spontanément à leur mère, aujourd'hui on leur demande avec qui ils désirent vivre, n'est-ce pas leur donner une responsabilité au-dessus de leur âge, qui va engager tout leur avenir qu'ils ne peuvent encore concevoir ? Enfin, toujours est-il qu'il choisit de rester avec son père, mais elle n'était pas convaincue que c'était vraiment par amour pour lui et non pour le château, enfin, pour la vie de château. En s'agitant à ces souvenirs, de la main, elle manqua renverser son verre et quelques gouttes tombèrent sur la nappe. Armand lui passa sa pochette rouge pour les essuyer, Marie-Ange la mit dans son minuscule sac à main en disant : « J'adore cette couleur, c'est ma préférée! »

  • Votre blouse, dans cette couleur et ses manches bouffantes, vous va à ravir, vous êtes belle, Marie-Ange...

Quelques jours plus tard, elle redescendit les escaliers de la cave, il l'attendait le coeur ému comme un jeune homme. Ils choisirent, parmi tous ses modelages, des figurines vernissées d'une hauteur de 50cm à 1m, pas plus, les emballèrent doublement dans du plastic à bulles et les véhiculèrent jusqu'à la galerie de Dijonus. Elle lui avait dit :

  • Vos figurines m'intéresse, je pense que j'aurais des acheteurs. Elles ne sont pas trop grandes, originales avec un certain mouvement raccourci assez suggestif. Combien ?
  • Pris de court, Armand avait bafouillé : 500, 600 euros ? (Décidément aucun sens pratique, cet homme).
  • Non, je crois pouvoir les vendre 1000 à 1500 euros, il ne faut surtout pas les sous-estimer, encore moins les mésestimer, comme il le faisait de lui-même pensa-t-elle.











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