vendredi 27 mars 2015

Une cave-un galetas 1 Cambriolage


Il s'est approché à pas de loup, se courbant derrière une haie de buissons épais, il a fait attention de ne pas marcher sur le gravier qui entoure la propriété. Chut...

Il est un heure du matin. Chaussé feutré, vêtements foncés, une musette noire en bandoulière, un tourne-vis à la main, le voilà qui démonte la serrure de la porte de cette cave, éclairée par une lune malicieuse .

Une fois à l'intérieur, il s'agit de ne pas allumer ; il se repère aux odeurs : une senteur de pommes, donc la cave à fruits, à gauche des effluves de mazout, c'est la chaufferie. Plus loin, quelques parfums doucereux, savon, lissus, la chambre à lessive. Enfin une senteur à nulle autre pareille, mêlée de bois de hêtre, de poussière, il venait de pénétrer dans l'entre d'Ali Baba, irrésistible...

Des yeux, il cherche une lucarne, une ouverture ; il n'y en a pas, alors il se risque à allumer sa torche ; le coeur battant, il en promène le faisceau le long des étagères, lit les étiquettes, s'arrête subjugué : Romanée-Conti, Aloxe Corton, Chambertin, Clos Vougeot... Des souvenirs de grands domaines viticoles, des hectares de vignobles sous un soleil prometteur du mois de mai, ah la Bourgdoz ! Rapidement, d'une main impatiente, il sort un tire-bouchon de sa musette. Un bouchon, un bouchon en vrai liège, celui-ci, et long, fragrance prometteuse d'un grand cru, à n'en pas douter.

Légèrement éméché, une bouteille sous le bras, le voilà, tâtonnant dans le noir, qui grimpe des escaliers. Grandes baies vitrées, il y fait assez clair dans ce spacieux salon, la lune est là lui faisant un clin d'oeil. Contre les murs des toiles, signées. Est-ce croyable : Rouaud, Sisley, Monnet... Ai-je bien lu se dit-il ? Et contre cette parois : un Gauguin. J'ai la berlue ! J'ai trop bu, c'est certain. Allons, tant qu'à faire, ouvrons une dernière bouteille et buvons à la santé de ces grands maîtres !

Une tasse de café dans la main, elle jette un coup d'oeil à son allure distinguée que lui renvoie les miroirs de la porte à deux battants du salon et l'ouvre. Elle veut revoir une dernière fois, dans le silence du jour naissant, sa galerie de tableaux. Evaluer, peser, se rassurer sur leur qualité. A peine entrée et à sa grande stupéfaction, elle est arrêtée nette par un bruit de ronflements, oui de ronflements provenant semblait-t-il de cette forme masculine affalée dans la bergère LV et profondément endormie, une bouteille de vin vide posée sur le tapis d'orient. Rapidement, sans réfléchir plus loin, avec des gestes précis, résolus, elle va décrocher les tableaux, les enferme et suspend à leur place une ou deux croûtes et réveille le bonhomme. Sans explication, sans aucune forme de procès, elle le pousse hors de la maison. Sur le seuil, cependant, elle reste ébahie : dans la lumière du jour, l'homme qui lui tourne le dos avait de beaux cheveux blancs, touffus, légèrement ondulés, des habits de velours côtelé un peu surannés mais de belle coupe, sa démarche, son port de tête est presque noble sans cette vague hésitation. Pas un vagabond, pas un clochard. Qui  peut-il bien être ? Elle ne peut pas le lui demander, le faire revenir de crainte d'amener des questions auxquelles elle ne peut, ne doit pas répondre, encore moins provoquer. Chut !

Un frisson coure le long de sa colonne vertébrale, un sentiment de mal être l’enveloppe, la peur s'insinue rapidement en elle... Elle se précipite au haut de la rampe jusque sous les combles et s'arrête devant l'atelier qui, autrefois, avait été celui de son père. Elle fait croire à tout un chacun qu'elle l'aime tant, le respecte tant qu'elle désire que cette pièce reste telle qu'il l'avait laissée à son décès ; ainsi personne n'a le droit d'y toucher, donc d'y entrer, à part elle. A son soulagement, elle constata que la porte n'avait pas été forcée et trouva l'ordre, parmi son désordre, comme elle l'avait laissé le jour précédant.

Mais, cette fois, il n'y a plus à hésiter : elle doit impérativement tout trier, en jeter un max, porter dans la dépendance tout ce lot de dessins, ni vu, ni connu, puis aller brûler ces toiles inachevées, des essais, à l'incinérateur communal. Son coeur se serre à l'idée de se séparer de tout ce monde merveilleux pour lequel elle s'est découverte un réel talent ; seulement voilà, elle n'est pas la seule à l'avoir décelé. Ah Marc-Antoine, pourquoi es-tu entré dans ma vie ? Heureusement, demain « ils » seront tous partis.




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