vendredi 13 mars 2015

Domaine Le Patriarche 16 Demain


La séance des Administrateurs était houleuse, contradictoire, tout le monde parlait à la fois, donnait son avis, approuvait, s'opposait, s'affrontait ; un seul restait muet, abasourdi par l'annonce faite par son fils ; mais l'était-il vraiment ? Ne s'en était-il pas douté ? Il attendait qu'il lui en parle, lui demande son opinion. Étaient-ils trop occupés de part et d'autre pour discuter ? Le mal, peut être le bien, qui sait, était fait, que pouvait-il ajouter ?

L'attitude de Julien était si frappante que Fantasio se tut à son tour. il garda pour lui ce formidable projet qui lui tenait tellement à coeur : avoir enfin une menuiserie à lui. Sur le Domaine Le Patriarche, il n'y avait plus aucun ancien bâtiment qu'il aurait pu transformer, tout était occupé et il n'avait pas, ou pas encore, les moyens d'acheter du terrain et de faire construire, même en ayant les capacités pour en monter une partie lui-même. Il avait abordé ce sujet avec Greorg lorsque celui-ci lui avait confié qu'il avait acheté le domaine de Marci ; la ferme abandonnée et ses dépendances étaient en mauvais état, mais cela n'était pas pour lui faire peur ; Greorg avait presque dit oui, en tout cas il était intéressé.

Julien fut brusquement tiré de ses pensées par une voix égrillarde précisant que l'achat avait été fait également avec son argent. Ah cette voix, qu'elle est désagréable, se dit-il, changeant de réflexions. Mais, bon, c'est Eléonore, sa belle-fille, il doit l'accepter avec ses prétentions d'être l'égale de Greorg en tout, ainsi sont les femmes aujourd'hui. Et puis, elle lui avait donné son premier petit-fils, tout rose, tout rond, tout rieur. Ils faisaient la paire tous les deux, on les entendait rire jusqu'au fond de la cours. Il prêta soudain attention à cette autre voix, modulée, étonnamment forte, qui s'imposait, savait se faire entendre et avait rétabli spontanément une écoute générale : Amelia avait prit la parole.

  • Très récemment j'ai lu un article de Jacques Bourgeois, (voir page 23 du 22 septembre 2014 de Migros Magazine) : il affirme que partout dans le monde où il y a eu des OGM semés, il y a eu contamination et certains types d'agriculture ont été rendus impossibles, entre autre le bio. Je rappelle aussi que les graines peuvent dormir dans le sol pendant plus de 5 ans avant de germer ou être transportées par un oiseau sur des kilomètres. Sois prudent et n'espère pas pouvoir ensemencer les champs de Marci avant 4 ou 5 ans. Compte large pour ne pas avoir de mauvaise surprise. Le pollen peut se déplacer au moins sur 800 m, soit 8X plus que les distances imposées entre les cultures OGM et conventionnelles, le risque de contamination est beaucoup plus important qu'on ne le pensait il y a quelques années. Pensez bien à tout ça, mes chers Greorg et Eléonore.
  • Tu as raison. Voici ce que je vais faire : dans des cageots de 10 cm de haut, partagés en 4 parties, je vais les remplir de bouse de vache, ils resteront sous 70 cm de terre les trois mois d'hiver, au printemps la bouse aura séché et aura perdu une grande partie de sa mauvaise odeur. Délayée dans de l'eau, j'en aspergerai les champs de Marci. Cet engrais naturel fera germer les graines restantes, puis je les arracherai et les ferai brûler. Je ferai de même l'année suivante et si nécessaire une troisième année, donc jusqu’à ce que toute semence indésirable aie disparu.
  • Un gros travail, fit le maître vacher, tu ne peux pas y arriver seul.
  • Il n'y a pas de semaine, interrompit Eléonore, sans que des migrants ne passent au bureau pour demander du travail, il ne sera donc pas difficile de trouver des bras payés à la journée.
  • C'est beau de vouloir redonner sa fertilité à la terre fit Olingha, rose de bonheur, car c'était la première réunion des Administrateurs à laquelle elle participait.
  • Je me permets de suggérer de planter des arbres, prononça à voix douce Mariana, maraîchère et bras droit de Niangha, des pommiers à cidre par exemple. Des crêperies s'ouvrent partout sur le continent et la demande en cidre ne cesse d'augmenter.

C'est alors que Greorg, réfléchissant à cette idée, prit conscience du silence de son père et réalisa que dans son enthousiasme il avait complètement oublié de lui parler de cet achat. Mais, s'il voulait être véridique avec lui-même, ne l'avait-il pas volontairement omis ? Un besoin de s'affranchir du rayonnement de son père, de s'affermir ? C'était aussi une question que Julien se posait, murissant le fait que le temps de la nouvelle génération était arrivé ; il y a bien des années, juste après la naissance d'Adrien, il avait mis le domaine en indivis, un héritage non partageable entre ses enfants afin de conserver sa part à son fils aîné, espérant toujours son retour. En argumentant qu'il fallait une certaine dimension à un domaine pour être rentable, le sien l'avait atteint et la garderait puisque son bien étant commun, personne ne pourrait le vendre ou le donner en garantie d'un prêt. Une certaine façon de maintenir l'unité entre toute cette jeunesse née de mères différentes.

  • Je suis solide, ambitieux, je veux réaliser des nouveautés, comme toi papa. Te ressembler, être ton digne successeur ; devenir un jour à mon tour « Le Patriarche ». Soudain Greorg fut interrompu : sous une brusque poussée, la porte s'ouvrit et Adrien entra en trombe, criant :
  • Maman, Maman, il y a deux nouveaux canards sur l'étang !


FIN




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