J'ai 9 ans, je suis une
enfant malingre, taciturne et sans joie exprimée ; à la
récréation, je n'aime pas les jeux trop bruyants de mes camarades ;
je m'assois, seule, sur les escaliers et je rêve. A quoi ? A
rien ou à si peu de choses, trop banales pour être racontées
; je n'ai pas d'imagination, je ne suis pas compétitive ;
j'aime ma vie tranquille, rue des Prouvaires, dans l'appartement que
mes parents louent au-dessus du magasin « Aux amis des
Halles », dans le 1er arrondissement de Paris ; c'est là
que je suis née.
Papa est un de ces hommes
en longue blouse blanche qui se tiennent debout de 6h à 18h, 6 jours
sur 7, dans le pavillon no 3 des Halles, celui des bouchers ;
c'est son métier. Il réceptionne les quartiers de viande, les
suspend, serrés sur une tringle, pour la vente en gros. A côté, il
découpe agneaux, veaux, boeufs et porcs, les arrange sur de grands
plats blancs qu'il dispose derrière la vitre, pour la vente au
détail.
Douze pavillons,
construits par Baltar, se succèdent et, en courant, je passe d'un
stand à l'autre. Dans cette agitation, entre tous ces va-et-vient de
livreurs, vendeurs, acheteurs, j'ai la tête qui tourne, je m'affole,
je me perds, je reviens vers lui, en larmes, la main dans la main
d'une femme, ou d'une autre, qui m'a reconnue. A chaque retour, je me
dis : « c'est la dernière fois que je viens aux Halles »
et pourtant, je recommence, têtue, engagée dans un tournoi contre
moi-même. En fin de compte, cependant, je me suis mise à noter le
nom des stands, leur numéro, et j'ai établi un plan avec une rose
des vent. Alors, au lieu de garder dans ma mémoire, pas toujours
infaillible : « tourner à gauche, à droite et
encore à droite », je me dis maintenant : « aller à
l'est, c'est la rue des Prouvaires, au nord l'Eglise St-Eustache, au
sud La Seine ». Enfin je m'y retrouve ! Ma ténacité dans
cet exercice allait m'être très utile, un jour, plus tard, mais ça,
je ne le sais pas encore.
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