DEUX VIES PARALLELES
Ecrit par Françoise
Dapples
1 LUI
Je suis né le 22 juillet
1917 à 9h30 du matin ; j'ai usé les genoux de mes salopettes
en avançant à quatre pattes, fait mes premiers pas chancelants dans
la poussière des sables, j'ai couru entre des murets de pierres de
toutes les hauteurs, tournant à gauche, à droite, à droite encore,
revenant en arrière, partant en diagonale, retrouvant toujours mon
point de départ. Ben Amir, mon copain, se perdait régulièrement.
Comment se fait-il qu'un petit Européen ait le sens de l'orientation
alors que l'enfant du désert ne l'ait pas ? Plus tard, à la
réflexion, je crois que Ben Amir nous oubliait tout simplement.
Partis à sa recherche, nous le retrouvions dessinant des
hiéroglyphes dans le sable, des oeuvres inachevées, semblables à
celles que son père révélait parfois en brossant délicatement ce
qui pouvait être un morceau de bas-relief. Oeuvres éphémères,
dis-je, ressemblant quelque peu à cette scène de chasse du tombeau
de Kénamoun à Thèbes, coupées d’entrelacs de lettres arabes,
surprenant dans ce haut lieu vieux de quelques millénaires, peu
atteint par l'influence de ses voisins, et ces traces vite
recouvertes par les pas des ouvriers.
Peau blanche, peau brune,
peau noire, nous n'avions jamais entendu parler de racisme, de
discrimination, de transparence. D'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, à
60 ans, et en me regardant tous les matins dans le miroir, je ne me
suis jamais trouvé transparent. Quelle foutaise ! Nous avons
tous des zones d'ombres dans nos vies, laissons-les là où elles se
trouvent, c'est plus sage que de chercher dans un passé très
lointain et peut-être trop douloureux à assumer.
Comme tous les enfants du
monde, nous jouions à cache-cache, et des cachettes il y en avaient
de multiples au milieu de toutes ces fouilles, jusque dans les tombes
ouvertes dans le flan des collines alentours. Il nous était interdit
d'y entrer, bien que je l'aie fait, le coeur battant, me guidant de
mes mains le long des parois, m'attendant à tout instant à une
rencontre fabuleuse qui ne vint jamais, toujours arrêté par un mur
incontournable.
Un homme grand, vêtu de
beige, les cheveux blonds, presque blancs sous le casque colonial,
les yeux très bleus, le regard parfois perdu au loin, là où enfin,
espérais-je, il découvrirait la statuette d'un dieu à tête de
chacal, faucon, lionne, chien, bélier, taureau, ou celle d'un
monarque, d'un personnage important qui ferait sa renommée. Lui,
c'est mon père, archéologue, assistant de Sir Stone de l'Institut
français d'archéologie orientale. Il paraît que je lui ressemble :
les membres longs, les yeux clairs, la bouche mince, comme pincée,
le front haut. Nous nous trouvions alors dans la Vallée des Rois, en
Haute Egypte, où je suis né, et dont la renommée a traversé les
siècles et les continents. Fabuleuse histoire que celles des
pharaons et je suis déjà résolu à l'enseigner dans mon pays
d'origine, la France, mais mon destin en décida autrement.
suite du récit le 11 mars
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