vendredi 4 mars 2016

Deux vies parallèles 1 Lui




DEUX VIES PARALLELES

Ecrit par Françoise Dapples

1 LUI

Je suis né le 22 juillet 1917 à 9h30 du matin ; j'ai usé les genoux de mes salopettes en avançant à quatre pattes, fait mes premiers pas chancelants dans la poussière des sables, j'ai couru entre des murets de pierres de toutes les hauteurs, tournant à gauche, à droite, à droite encore, revenant en arrière, partant en diagonale, retrouvant toujours mon point de départ. Ben Amir, mon copain, se perdait régulièrement. Comment se fait-il qu'un petit Européen ait le sens de l'orientation alors que l'enfant du désert ne l'ait pas ? Plus tard, à la réflexion, je crois que Ben Amir nous oubliait tout simplement. Partis à sa recherche, nous le retrouvions dessinant des hiéroglyphes dans le sable, des oeuvres inachevées, semblables à celles que son père révélait parfois en brossant délicatement ce qui pouvait être un morceau de bas-relief. Oeuvres éphémères, dis-je, ressemblant quelque peu à cette scène de chasse du tombeau de Kénamoun à Thèbes, coupées d’entrelacs de lettres arabes, surprenant dans ce haut lieu vieux de quelques millénaires, peu atteint par l'influence de ses voisins, et ces traces vite recouvertes par les pas des ouvriers.

Peau blanche, peau brune, peau noire, nous n'avions jamais entendu parler de racisme, de discrimination, de transparence. D'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui, à 60 ans, et en me regardant tous les matins dans le miroir, je ne me suis jamais trouvé transparent. Quelle foutaise ! Nous avons tous des zones d'ombres dans nos vies, laissons-les là où elles se trouvent, c'est plus sage que de chercher dans un passé très lointain et peut-être trop douloureux à assumer.

Comme tous les enfants du monde, nous jouions à cache-cache, et des cachettes il y en avaient de multiples au milieu de toutes ces fouilles, jusque dans les tombes ouvertes dans le flan des collines alentours. Il nous était interdit d'y entrer, bien que je l'aie fait, le coeur battant, me guidant de mes mains le long des parois, m'attendant à tout instant à une rencontre fabuleuse qui ne vint jamais, toujours arrêté par un mur incontournable.


Un homme grand, vêtu de beige, les cheveux blonds, presque blancs sous le casque colonial, les yeux très bleus, le regard parfois perdu au loin, là où enfin, espérais-je, il découvrirait la statuette d'un dieu à tête de chacal, faucon, lionne, chien, bélier, taureau, ou celle d'un monarque, d'un personnage important qui ferait sa renommée. Lui, c'est mon père, archéologue, assistant de Sir Stone de l'Institut français d'archéologie orientale. Il paraît que je lui ressemble : les membres longs, les yeux clairs, la bouche mince, comme pincée, le front haut. Nous nous trouvions alors dans la Vallée des Rois, en Haute Egypte, où je suis né, et dont la renommée a traversé les siècles et les continents. Fabuleuse histoire que celles des pharaons et je suis déjà résolu à l'enseigner dans mon pays d'origine, la France, mais mon destin en décida autrement.

suite du récit le 11 mars  

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