vendredi 15 janvier 2016

Un euro million : 14 Le camée


14 LE CAMEE

Jehane fait passer la broche de main en main, un magnifique camée ancien, ovale, nommé « La demoiselle à l'oiseau », entouré d'un gracieux et triple filet d'argent, « du platine » corrige Aloïs, serti de petites perles.

  • Pourquoi ne m'as-tu rien dit de tes soupçons ?
  • Quand on pose une question sous forme d'accusation, il faut s'attendre à tout, en-dehors de la réponse que nous aimerions entendre. Tu pouvais nier, t’enferrer dans le mensonge, à ne plus t'y reconnaître toi-même. Nous pouvons aussi nous demander quelle raison avait ta mère de te punir aussi souvent. S'agissait-il d'un acte répétitif de sa propre enfance ? La seule façon d'effacer le passer, c'est de reconnaître ses torts, mais pour se faire, parfois il faut atteindre une certaine maturité, ou, comme en ce moment, un évènement déclencheur. Tu peux remercier ton amie Laure qui a joué ce rôle.
  • A part cela, Papy Aloïs, où avez-vous trouvé ce camée ? demande cette dernière.
  • Un jour que je rangeais la chambre de Jehane pour la donner à des cousins de passage, je l'ai trouvée au fond de l'armoire, sous une pile de vieux vêtements.
  • Comme moi ma clé ! s'exclame Laure.
  • Ce camée, je ne vais pas l'encadrer comme tu l'as fait pour la clé, je vais le porter. Ce sera ma façon de montrer que j'aime ma mère, que je lui pardonne. J'espère qu'elle le verra sur ma blouse, ma robe, mon tailleur. Croyez-vous que cela soit possible ?
  • On dit que rien ne se perd, rien ne se crée, alors peut-être que c'est inscrit quelque part.
  • Je suis du même avis que Papy, mais penser que Mamy Adèle puisse le voir, j'espère que non. Quelle souffrance ce serait de voir « en-bas », sans pouvoir intervenir, sans pouvoir serrer sa fille dans ses bras.
  • Ce camée est absolument magnifique, quelle joie je vais avoir de le porter, de le faire admirer. Ne trouves-tu pas qu'il va se marier admirablement avec ta boutique « Art Nouveau » ?
  • Nous pourrions entreprendre une collection de camées, qu'en penses-tu, chère associée ?

Laure et Jehane se plongèrent assidument dans la connaissance des camées, allant de bibliothèques en musées, de livres en documents. Elles se formèrent l'oeil en apprenant à différencier l'agate de l'onyx, la sardoine de la cornaline, ivoire, ambre, corail, jais. Les camées revenant à la mode et les copies se multipliant, il fallait pouvoir les différencier. Elles coururent les petites et grandes foires, les journées « coffre ouvert » au cours desquelles des affaires pouvaient être réalisées, en particulier auprès d'amateurs. Elles s'habillaient souliers plats, jupe bon marché, une loupe dans la poche. Mais bientôt elles furent repérées, les prix montèrent ! Ensuite elles se rendirent sur des marchés de brocanteurs régionaux, variant le plus possible les lieux, se séparant sur le parking et se retrouvant au bistrot du coin. Elles participèrent aux ventes aux enchères des garde-meubles et obtinrent ainsi de multiples petits meubles « art nouveau » pour le magasin. D'un commun accord, elles ne firent pas l'acquisitions de bijoux de cette époque, se consacrant uniquement aux camées, le sujet était déjà bien assez vaste.

Deux, trois ans plus tard, leur réputation ayant dépassé les frontières invisibles de leur département, elles en prirent leur parti, se déplacèrent ensemble, ayant réalisé que deux paires d'yeux valaient mieux qu'une. Jehane avait une véritable affinité avec ce bijou : rien qu'en le regardant, le soupesant, le tournant à l'envers, elle pouvait dire s'il était ancien et bien rare furent les cas où elle se trompa.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire